Vos écrits
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment : -28%
Brandt LVE127J – Lave-vaisselle encastrable 12 ...
Voir le deal
279.99 €

Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20

5 participants

Aller en bas

Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20 Empty Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20

Message  Hellian Sam 2 Mai 2009 - 15:00

Chapitre 17 –Le maître de l’hypnose



Dans la chambre d'Hubert, Dulouard avait fermé les volets. Sheppard n'osait plus parler, fasciné par le rituel. Il détaillait les gestes précis de son ami tout en gardant un œil sur le jeune homme. Voilà maintenant deux heures que l'injection lui avait été administrée et que les deux médecins le veillaient, à l'affût du moindre signe. Hubert commençait à s'animer. D'abord les mâchoires qu'il avait figées depuis plusieurs jours semblaient se détendre laissant s’entrouvrir la bouche. La tension qui avait transformé son faciès en un masque de terreur faiblissait Pour lisser ses traits et lui rendre l'aspect du dormeur apaisé.
C'est alors que Dulouard posa sur la table de chevet le petit carnet sur lequel il n'avait cessé de prendre des notes, s'approcha du jeune homme, passa la main sur ses paupières qu'il écarquilla. La fixité du regard avait disparu, les pupilles s'étaient rétrécies. Il sembla à Sheppard qu'une certaine sérénité habitait désormais son patient.
-- Encore quelques minutes et nous pourrons passer à la seconde phase.
-- C'est-à-dire ?
-- L’hypnose. Il faut attendre encore. les défenses ne sont pas complètement tombées.

Les minutes qui suivirent parurent longues à Sheppard. La métamorphose continuait de façon spectaculaire. La bouche était grande ouverte. Le corps reposait abandonné tandis qu’un léger ronflement traduisait un état d'endormissement véritable.
-- C'est le moment ! décida Dulouard. Hubert, ouvre les yeux !
Docilement s’ouvrirent les yeux. Le regard, cette fois, était attentif. Le jeune homme tourna la tête de gauche et de droite découvrant sans surprise les deux hommes.
Dulouard approcha son index et sortit de sa poche une petite lampe torche à faible faisceau avec lequel il visa son doigt qui devint le seul objet éclairé de la pièce.
-- Hubert, regarde ce doigt ! ordonna-t-il tout en rapprochant l’index des yeux du garçon, puis l'éloignant, le rapprochant à nouveau. Il répéta ce manège. Sous le rayon , le doigt semblait animé d'une vie propre. Sheppard lui-même se surprit à suivre le mouvement de l’objet digital qui, séparé de la main, devenait un animal phosphorescent. D'une voix monocorde et grave, Dulouard se mit à psalmodier :
-- Hubert Galichon, regarde cet objet, regarde cet objet, Hubert regarde cet objet, cet objet te regarde, Hubert ... !
Sheppard se laissait porter par la voix et regardait lui aussi le doigt qui n'était plus un doigt mais une luciole érigée dans la pénombre. Les mots perdaient leur sens pour devenir un mantra.
-- Hubert, cet objet va pénétrer dans ton esprit et tu vas l'accompagner dans ta mémoire.
La luciole touchait presque le front du jeune homme,
-- Maintenant, pénètre ta mémoire, Hubert, entre en toi-même, que vois-tu?. Dis nous ce que tu vois, Hubert, dis nous !
Hubert ferma les yeux. Sa bouche se referma tandis que s'échappait un soupir. Comme en écho, un autre soupir se fit entendre à côté du professeur. Scheppard ! Il s'était endormi lui aussi, zézayant un léger ronflement que du estima peu professionnelle.
- docteur Sheppard !
L'autre s’ébroua, prenant conscience de son absence et des pouvoirs de l'hypnose et réajustant la position. Avec Dulouard il fixa Hubert . C'est alors que leur parvinrent les mots, lentement, comme appliqués.
-- Je suis dans la bibliothèque... Là-haut, un livre... Il est vieux... très vieux. Je veux l'ouvrir... Je prends l'échelle... Je mets la main sur le livre. Il me résiste.... On dirait qu'il ne veut pas... Non, ce sont les autres qui ne veulent pas. Lui, il veut venir, mais les autres le retiennent... Il faut que je le libère... Je... je vais chercher quelque chose pour le délivrer... Voilà, j'ai trouvé. Je le sépare des autres... ça y est ! Il est libre....... Comme il est vieux ! Il a souffert... le feu ! La couverture est noircie ... Je le pose sur le dernier barreau... Je l'ouvre...., il résiste. je l'ouvre. ..en son milieu... C'est beau, histoire, c'est triste... les phrases, les mots... les mots bougent sur la page. On dirait qu'ils dansent... Ils font une farandole. Ils tournent... Ils quittent la page !... Les mots ! Un serpent... Ils m'attaquent... Les mots m'attaquent... Ils...
Le jeune homme était la proie d'une agitation intense. La voix se précipitait.
-- Calme-toi, Hubert. Tu n'as rien à craindre. Calme-toi !
Mais la voix profonde de Dulouard n’y faisait rien.
-- Les mots... Ce sont les mots... un visage... Non, je ne croix... Non, un sabre... Ils viennent vers moi... Je veux refermer le livre, je ne peux pas... Ils vont entrer dans ma tête... Ça y est ! Il y en a un qui est entré. Il a fait un trou dans ma tête.... Et les autres... Ils pénètrent... Le sabre ! mon cerveau.... Je suis paralysé !... Non, je ne veux pas... Je ne veux pas !

L'excitation était à son comble. En dépit des efforts de Dulouard, Hubert était secoué de convulsions. Il criait -- Non ! Au secours ! Les mots sont en moi ! Ils me dévorent... Ah... ah... je brûle... ah... je... je... je tombe !
Il s'effondra dans son lit, inerte.
Derrière eux, la porte s'ouvrit avec violence.
-- Qu'est-ce que vous faites à mon fils ? -- Qu'est-ce qui se passe ? Ah, je le sdavais ! j’aurais jamais dû... Hubert ! Hubert !
Hubert était retourné à l'inconscience. C'est à peine s'il respirait. Dulouard avait pris sa main et cherchait son pouls. Sheppard avait dégainé son stéthoscope et tentait d’écouter son cœur. Les deux praticiens dont la science était parvenue à aggraver l’état de l'enfant unique de Josette Galichon, stoïques sous les invectives de la mère, s'efforçaient d'accomplir des gestes médicaux parfaitement inutiles.
-- Sorciers ! Vous n'êtes que des sorciers !
Dulouard se tourna vers elle.
-- Madame, si vous tenez à la vie de votre fils, taisez-vous ! Allez téléphoner au centre de secours. Ce garçon doit être immédiatement transporté à l'hôpital. Allez, exécution !
Madame Galichon stupéfaite regarda Dulouard, tourna les talons, descendit aussi vite qu'elle put et se précipita sur le téléphone.








Chapitre 18 – De la cohérence


Il n'y avait pas loin du commissariat au clocher de l'église Saint-Romain. Fidèles, les cloches signalaient chaque heure et quart d'heure, mais avec une particularité : deux fois plus de battements que d'heures à la montre et le double aussi dans les quarts d'heure. Pour qui n'était pas né à Belmont ou n'y habitait de longue date, cette avalanche sonore ne demeurait pittoresque que l'espace d'une demi-journée. Ensuite, l'insupportable l'emportait

Deux clans s'étaient formés opposant les habitants plus encore que le traditionnel clivage politique : d'un côté les clochophiles, de l'autre les clochophobes. Les premiers voyaient dans l'incessant tintinnabulement un élément essentiel de l'identité belmontaise. Les autres n'hésitaient pas à parler de persécution ecclésiale et osaient affirmer que ce harcèlement faisait fuir les touristes. On trouvait dans ce groupe une grande partie des hôteliers du centre-ville qui n'avaient pas hésité à faire une pétition pour que la municipalité intervienne auprès de l'évêché. Le débat avait occupé une séance entière du conseil municipal et Basile Bertrand, voyant dans ce mouvement une opportunité favorable à sa carrière politique, s'était fait le héraut des clochophobes. Cela n'avait pas manqué de surprendre une partie de son électorat plutôt traditionaliste. Il avait eu ce mot malheureux : « Mettons les cloches hors d'état de nuire !», ce qui lui avait valu une volée de bois vert de la part du « Réveil belmontais » qui, sous la plume d'Ésope Galendon avait titré : «Bébé mène la croisade des cloches » Monsieur le maire, avec son art consommé de l’esquive, avait enlisé le débat de belle manière en faisant observer que cette histoire de cloches posait de graves problèmes de compétences, puisqu'en effet la gestion du clocher relevait du pouvoir du curé et non de l’autorité laïque. Des voix s'étaient élevées pour souligner que les nuisances sonores touchaient à l'ordre public dont le maire était garant et que si rien n'était fait « on irait plus haut ! » Le curé, invité comme consultant avait pris la parole en faisant observer que s'agissant des cloches de son église, il n’y avait pas plus haut que le bon Dieu lui-même et qu'il en faisait son affaire. Il s'était retiré, l’air grave. La séance avait été levée sans que l'on sache à quel saint ces maudites cloches devaient être vouées.
Le lendemain soir, à partir de 21 heures, les cloches étaient restées muettes ce qui avait valu à la majorité des habitants une nuit d'insomnie tant le silence inhabituel du clocher parut étrange. Ainsi en avait décidé l’abbé Tissier qui, soucieux de rester maître de son église, avait rendu Belmont orphelin de l'airain du clocher. Au petit matin, aucune sonnerie ne vint réveiller les habitants. Il en fut de même pendant plus d'une semaine, le temps de plonger Belmont dans une véritable neurasthénie qui gagna même bon nombre de clochophobes .
C’est alors qu’une délégation se rendit au presbytère pour prier le curé de rendre sa voix au clocher. Lorsqu'il eut ainsi donné la leçon qu'il souhaitait aux Belmontais, l’ecclésiastique rendit la vie à ses cloches en concédant toutefois qu'il les ferait taire durant la nuit. Mais ce qu'il ne leur précisa pas c'est que désormais, il allait faire sonner doublement les heures et les quarts d'heure. Voilà pourquoi entre 19 et 20 heures, chaque soir, le clocher Saint-Romain égrenait quarante-quatre coups rappelant de manière lancinante les habitants aux impératifs de leurs dévotions vespérales.

Il n'était ce jour-là que quinze heures et au commissariat de Belmont Gulliver ne dormait pas. Rien à faire, sa demi-heure de sieste lui échappait et il se surprenait à compter les ding et les dong alors que d'ordinaire les deux ou trois derniers servaient à le réveiller. Depuis quatorze heures qu'il s'était retiré dans son bureau il ne cessait de se poser la question : et si Bellemare avait été innocent ? l’hypothèse n'était pas à exclure, ce d'autant que lui revenait en boucle la phrase que Galendon lui avait sournoisement glissée en guise d’au revoir: « Je sais où se trouvait Bellemare la nuit du crime... » Bon dieu ! Mais pourquoi n'avait-il pas voulu en dire plus ? Et si ce malheureux avait payé de sa vie une monstrueuse méprise ? Certes, il avait avoué la tentative sur Hubert Galichon ; il l’avait même revendiquée. Mais justement, s'il en faisait une question d'honneur, pourquoi se défenestrer chez le juge, sinon parce qu'on lui faisait endosser un crime qu'il n'avait pas commis. Il y avait autre chose qui ne collait pas : comment un homme qui a commis deux crimes coup sur coup prendrait-t-il le risque d'en revendiquer un s'il voulait cacher le second ? Ou bien il sait qu'en livrant le premier, il s'expose à l'évidence que l'autre soit découvert. Or en pareil cas il est prêt à assumer les deux ; ou bien il nie tout. Mais cette manière de faire n'avait pas de sens !

Officiellement, Gulliver ne devait plus s’occuper du dossier. « Affaire classée ! » avait déclaré le procureur, « l’action publique est éteinte du fait de la mort du mis en examen. » Tu parles !
Gulliver avait un problème avec les « affaires classées » et ce problème s’appelait la cohérence. Il avait toujours constaté une distance entre le fonctionnement judiciaire et celui du réel. La justice, elle, n’a qu’une approche tronquée de la vie. Elle la triture à sa sauce, avec ses articles de loi qui sont autant d’étiquettes apposées sur les comportements humains. La loi fabrique des cases dans lesquelles les juges rangent scrupuleusement les actions des hommes. Mais si une action ne rentre pas exactement dans la case, alors elle délaisse le sujet. En fait, le réel ne l’intéresse pas, songea Gulliver. L’affaire Bellemare en était l’illustration. Bellemare mort, l’affaire l’est aussi « Action publique éteinte ! » Qu'importent les motifs de ses crimes, la manière dont il a procédé ! Passons à autre chose ! Gulliver ne pouvait se résigner à cet inachèvement. Ce qui l’avait incité à entrer dans la police, c’était précisément son obstination à disséquer les comportements, sa volonté de scruter les motivations de ses semblables ; il pensait qu’un assassinat constituait une manifestation paroxystique, un point de rupture avec l’humanité qui faisait passer son auteur vers un ailleurs existentiel. Et ce phénomène lui paraissait justifier une attention inlassable que la mort du possible coupable ne devait pas évincer. Là se posait pour lui la question de la cohérence. C’est pourquoi il se mettait toujours en devoir d’assister au procès d’assises des criminels qu’il avait eu l’occasion d’arrêter. Les audiences d’assises lui paraissaient un haut lieu de la cohérence. Le défilé des témoins, des experts, ces journées entières consacrées à l’évocation du cheminement d’un homme jusqu’au crime, tout cela plus que la peine elle-même constituait, la vraie réponse au déchirement que le meurtre avait causé dans le tissu social : comprendre et par la compréhension reconstituer la cohérence. Voilà quelle était selon Gulliver la vraie mission de la justice. Et pour l’heure, il lui semblait qu’elle avait failli.

Il en était là de ses réflexions lorsque Landrin, comme à son habitude, frappa à la porte de son bureau après l’avoir ouverte :
- Monsieur le commissaire, il y a là deux messieurs qui veulent vous parler. Ils disent que c’est important.
Hellian
Hellian

Nombre de messages : 1858
Age : 74
Localisation : Normandie
Date d'inscription : 14/02/2009

Revenir en haut Aller en bas

Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20 Empty Re: Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20

Message  Hellian Sam 2 Mai 2009 - 15:04

Chapitre19 - confidences



Ésope Galendon n’avait pas perdu de temps. Arrivé à proximité de la maison des Galichon, il croisale véhicule des pompiers, sirène hurlante, qui remontait vers le centre hospitalier. Immédiatement à sa suite, il reconnut la voiture du docteur Sheppard. Ésope avait su tisser un authentique réseau de renseignements grâce à une convivialité que certains qualifiaient d’opportuniste. Il tutoyait la moitié du commissariat, l’adjudant de gendarmerie, les trois permanents du poste de secours et nombre d’infirmières du service d’urgence. Cela lui valait quelques faveurs lorsqu’un événement se produisait. Il pouvait compter sur un coup de fil discret qui lui permettait souvent d’être le premier sur le coup. « Un bon journaliste possède cent z’yeux et cent z’oreilles » ; telle était ce qu’il se plaisait à nommer sa devise et cela fonctionnait à merveille. En l’occurrence, c’est le standardiste du poste de secours qui l’avait prévenu : « Y a du grabuge chez les Galichon ! » Juste le temps de sauter dans sa voiture, direction la vallée de la Polissonne, en amont de Belmont, où s’érigeait la prospère bâtisse des Galichon.

Le plus dur restait à faire : interroger la mère d’Hubert qui jusqu’alors avait obstinément refusé toute révélation depuis l’agression de son fils. Madame Galichon nourrissait cette méfiance paysanne envers les journalistes qui en fait d’insupportables curieux passant leur temps à donner le malheur des uns en pâture autres. Par deux fois, Ésope avait tenté d’éclaircir le mystère qui planait sur la maison Galichon, mais il n’avait pu en franchir le seuil. La maîtresse de maison s’était plantée devant lui en délivrant un « Bonjour monsieur » qui valait un « Au revoir » Il avait eu beau déployer sourires et politesses, le visage de la dame était resté fermé et l’entretien s’était conclu par la même phrase : « chez nous on cause pas de nos malheurs . Ésope était reparti dépité sans butin. Cette fois il était bien décidé à en savoir plus. Il se savait en situation avantageuse : si précédemment il avait eu affaire à une mère protectrice toutes griffes dehors, il rencontrerait aujourd’hui une femme dans le désarroi et le désarroi fait le lit des confidences. Aussi allait-il se présenter en allié.

C’est une femme à la mine défaite qui vint lui ouvrir.
- Bonjour chère madame.
Enchaînant immédiatement :
- Je connais la triste nouvelle et je me suis dit que s’il y avait quelque chose à faire pour vous aider…
- Entrez, monsieur, entrez mon petit gars.
- Madame, ce n’est pas le journaliste que vous avez devant vous mais un homme sensible à la détresse d’une mère. Que pouvons-nous faire pour vous ?
Il y avait dans ce « nous » un démenti à l’affirmation précédente. Mais madame Galichon n’y discerna qu’une solidarité bienvenue.
- C’est terrible, monsieur Galendon, ils ont emmené mon fils.
- Qui ça « ils » ?
- Eh ben les médecins ! Ils l’ont emmené à l’hôpital. Il paraît même qu'ils vont le mettre chez les fous. Vous vous rendez compte, mon Hubert chez les fous…
- Mais ce n’est pas Dieu possible. Hubert est un garçon parfaitement équilibré.
Il avait glissé le mot Dieu à dessein
- Plus maintenant, monsieur Galendon, plus maintenant, hélas !
- Comment ça plus maintenant ? Et si vous m’expliquiez un peu ce qui se passe ?
- Mais c’est à cause du livre tout ça.
- Le livre ? Mais quel livre ?
- Les médecins ont hynoptisé Hubert, vous vous rendez compte. Pour des médecins, c’est pas joli. Comme à la foire de la saint Médard !
- Ils ont fait ça ! C’est pas possible !
- Oui, comme que je vous le dis, monsieur Galendon, trois heures que ça a duré ; je voulais pas moi. Je leur avais bien dit que c’était des pratiques du diable. Mais vous comprenez, ces beaux messieurs ils s’en moquent du diable.
Avec un automatisme qui surprit Ésope, elle ponctua d’un signe de croix appuyé qui laissa une légère trace blanche sur son front.
- Mais je ne vois pas le rapport avec le livre.
- Mais si ! C’est les médecins qui l’ont dit. Il paraît que sous l’hyp... Sous leur truc-là, mon petit gars a parlé et qu’à la bibliothèque il aurait lu un livre qui l’aurait rendu fou. Vous vous rendez compte, y a des livres qui rendent fou maintenant ! Et pourtant mon Hubert vous savez il en a lu des livres avec ses études, c’est pas pour me vanter, mais il en a lus.
- Ça ne serait pas pendant le déménagement que tout ça se serait passé ?
- Mais oui, en haut de l’échelle, même que ça serait ça qui l’aurait fait tomber. Vous vous rendez compte, un livre qui fait tomber d’une échelle. Pour moi tout ça c’est des histoires qu’ils racontent parce qu’ils n’arrivent pas à le soigner.
En évoquant l’impuissance de la science , madame Galichon fut secouée d’un long sanglot. Ésope s’abandonna à lui prendre la main. Cette familiarité eut pour effet d’arrêter net les larmes . Elle retira prestement sa main, se leva dignement.
- Monsieur Galendon, je vous remercie de votre bonté. Mais voyez-vous, il faut que j’aille à l’église prier saint Benoît.





Chapitre 20 – De la rigueur avant toute chose




- Messieurs, je suis très respectueux de la science et je remercie tout particulièrement le professeur Dulouard de son intéressant exposé. Mais je dois vous confier que dans la discipline que je pratique, il y a des impératifs au nombre desquels celui de la preuve. Or vous me dites que vous avez recueilli sous hypnose les déclarations de ce garçon qui vous aurait révélé être tombé de son échelle après avoir consulté un ouvrage de la bibliothèque.
- C’est à peu près cela, confirma Dulouard et il n’a été nullement question d’agression.
- Il est vraisemblable, précisa Sheppard, que la blessure à la cuisse est purement accidentelle. Il nous a précisé avoir glissé le coupe-papier dans sa ceinture juste avant d’ouvrir le livre. Or, ce mouvement naturel suppose que la lame de l’outil était orientée vers le bas le long de sa cuisse et dans sa chute, il est probable qu’elle s’est enfoncée toute seule dans l’artère fémorale.
- Je ne doute pas un instant de votre compétence, mais quel crédit voulez-vous que la justice accorde à des propos recueillis auprès d’une victime en état de stupeur par le truchement de l’hypnose. Et puis soyons sérieux, cette histoire de livre et de mots qui bougent, enfin c’est du roman, c’est… c’est un scénario de série télévisée.Au demeurant, j’imagine que vous n’avez pas recueilli sa… comment dirais-je… déposition. L’auriez-vous fait d’ailleurs que nous ne pourrions voir là qu’un témoignage de second degré et, permettez-moi de vous le dire, un témoignage très… farfelu.
Le mot était de trop. Dulouard n’appréciait guère être traité de farfelu par un commissaire de province. Il se leva et tendit la main à Gulliver.
- Eh bien permettez au farfelu que je suis de vous dire au revoir , commissaire.
- Monsieur le professeur, je n’ai pas voulu vous offenser, mais comprenez-moi. J’ai des comptes à rendre. Et puis pour ne rien vous cacher, l’affaire est classée depuis le décès du présumé coupable.
- Vous voulez dire le présumé innocent, rectifia Dulouard, si j’en crois ma modeste culture juridique.
- Oui, enfin nous nous sommes compris…
- Eh bien justement je ne crois pas, commissaire, car s’il s’avère que la blessure du jeune Hubert Galichon n’était qu’accidentelle, cela signifie que Bellemare, votre présumé coupable, était en réalité non seulement présumé innocent, mais véritablement innocent.
- Je vous l’accorde. Mais ce n’est qu’une hypothèse.
- Si vous le voulez bien, allons jusqu’au bout de cette hypothèse. Si Bellemare n’est pas l’agresseur de ce garçon, cela signifie qu’il n’est pas celui de la seconde victime. Autrement dit, cela implique que le meurtrier de madame Schaefer est toujours en liberté.
- Hypothèse pour hypothèse, monsieur le professeur et si le jeune Galichon vous avait raconté n’importe quoi sous hypnose ?
- Impossible ! trancha Dulouard.
- Et pourquoi donc ?
- Tout simplement parce que l’ibogaïne…
- Quoi l’ibogaïne ?
- L’ibogaïne impose au sujet un revécu véritable de sa réalité.
- Admettons, concéda Gulliver sans demander à Dulouard d’où il tenait cette certitude, mais alors que faites-vous des aveux, je dirais même plus, des proclamations de Bellemare quant à l’agression d’Hubert. Et surtout, du morceau de cordon que l’on a découvert chez lui, je veux parler de l’autre extrémité du cordon que l’on a retrouvée dans la main de madame Schaefer ?
- Récapitulons, monsieur le commissaire. Votre prétendu assassin non seulement passe aux aveux de la première agression, mais la revendique, ce qui en soi paraît plutôt suspect. C’est bien ce que vous venez de me dire n’est-ce pas ?
- Exact.
- Vous ne trouvez pas étrange qu’il prenne le risque de n’avouer qu’un crime s’il en a commis deux ?
- Et bien c’est tout simplement parce que le second est… disons... horrible qu’il refuse de l’assumer.
- Justement ! Ce n’est pas cohérent.

Le mot avait touché juste. Toujours ce problème de la cohérence auquel Gulliver avait dédié sa carrière.
- Pour être sincère, monsieur le professeur, votre analyse rejoint un peu la mienne. Ce que je n’arrive pas à comprendre, voyez-vous, c’est cette contradiction. Et puis, puisque nous en sommes à parler à cœur ouvert d’un dossier aujourd’hui refermé, il y a autre chose qui me tracasse…
Dulouard et Sheppard fixaient Gulliver avec insistance. Celui-ci marqua une pause, comme gêné par la révélation qu’il s’apprêtait à faire. Il regarda vers la porte qui était bien close, puis baissant le ton :
- Je fais évidemment appel à votre discrétion la plus absolue, n’est-ce pas… Je parle à des médecins.
Les deux autres acquiescèrent.
- Et bien, c’est ce que m’a dit ce journaliste.
- - Quel journaliste ?
- Ésope Galendon, du Réveil belmontais. Il m’a dit, le jour de la présentation de Bellemare au palais de justice qu’il savait où était Bellemare la nuit du meurtre de madame Schaefer …
- Et vous n’avez pas cherché à en savoir plus ? observa Dulouard sur un ton qu’il ne voulut pas être de reproche.
- Bien sûr que si. Je lui ai demandé ce qu’il savait mais il s’est retranché derrière le secret professionnel. Comment voulez-vous ? Et puis j’étais dessaisi du dossier.
- Monsieur le commissaire, tout cela me paraît sans équivoque. Bellemare n’est pas l’assassin de madame Schaefer, pas plus qu’il n’est l’agresseur d’Hubert Galichon. Il y a donc dans cette ville un meurtrier en liberté.
- Mais et le cordon qu’on a retrouvé chez Bellemare ?
- La réponse est simple : quelqu’un avait intérêt à l’y déposer…
Hellian
Hellian

Nombre de messages : 1858
Age : 74
Localisation : Normandie
Date d'inscription : 14/02/2009

Revenir en haut Aller en bas

Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20 Empty Re: Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20

Message  Invité Sam 2 Mai 2009 - 16:37

Oui, tout s'enchaîne bien, ça avance et ça me plaît. Une remarque cependant à propos des cloches de Belmont : au début de la lecture, j'avais l'impression qu'elles avaient toujours sonné double ; il a fallu le récit du déroulement des événements clochemerlesques pour que je comprisse le coup de la vengeance du curé. Du coup, cela laisse une partie un peu floue dans une histoire par ailleurs fort bien bâtie.
C'est toujours passionnant !

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20 Empty Re: Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20

Message  Hellian Sam 2 Mai 2009 - 19:06

socque a écrit:Oui, tout s'enchaîne bien, ça avance et ça me plaît. Une remarque cependant à propos des cloches de Belmont : au début de la lecture, j'avais l'impression qu'elles avaient toujours sonné double ; il a fallu le récit du déroulement des événements clochemerlesques pour que je comprisse le coup de la vengeance du curé. Du coup, cela laisse une partie un peu floue dans une histoire par ailleurs fort bien bâtie.
C'est toujours passionnant !

Exact, chère Socque ! rien ne vous échappe.

il peut y avoir, en effet matière à confusion. Je réparerai ce petit flou d'une ou deux phrases. L'idée est que l'identité belmontaise réside dans ses cloches qui, jusqu'à "la crise", sonnaient également durant la nuit.

J'ai tiré cette anecdote d'un court séjour à la Roche Bernard " où, voilà quelques années, j'avais fait étape dans le seul établissement hôtelier de centre ville. Je dus me résigner à passer une nuit blanche en raison de la proximité du clocher dont les cloches ne cessaient de sonner heures et quarts d'heure en pleine nuit.

L'hôtelier me retrouva furieux dans le salon de l'hôtel à 6 heures du matin et bon apôtre, me fit cadeau du prix de la chambre où je n'avais pas dormi. Il m'assura qu'il ne cessait de se plaindre au maire de ce désastre sonore et économique.

Je vous concède que dans ce chapitre le récit a besoin d'être clarifié.
Hellian
Hellian

Nombre de messages : 1858
Age : 74
Localisation : Normandie
Date d'inscription : 14/02/2009

Revenir en haut Aller en bas

Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20 Empty Re: Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20

Message  Roz-gingembre Sam 2 Mai 2009 - 20:04

Ah! quelle histoire, et comme tu nous balades avec facilité et humour de tes doubles cloches qui donnent le rythme au rire, sans parler des clochophiles et des clochophobes dont il faut bien avouer qu'à choisir on ne sait lequel prendre.
Encore une facétie à la Esope.
Roz-gingembre
Roz-gingembre

Nombre de messages : 1044
Age : 61
Date d'inscription : 14/11/2008

Revenir en haut Aller en bas

Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20 Empty Re: Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20

Message  Invité Dim 3 Mai 2009 - 20:16

Pas claire l'histoire des cloches qui donnent dès le début du chapitre l'impression qu'elles ont toujours sonné double et suscité le mécontentement initial de la population. A revoir donc, comme promis !!
Ce que j'aime dans ce récit c'est qu'on ne se perd pas dans les personnages, chacun est à sa place, avec ses particularités ; ça n'a l'air de rien dit comme ça mais cela contribue grandement au plaisir de lecture.

Invité
Invité


Revenir en haut Aller en bas

Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20 Empty Re: Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20

Message  Sahkti Mar 5 Mai 2009 - 9:16

Le maître de l’hypnose
Cette séance me paraît un brin rocambolesque mais j'imagine que c'est volontaire, pour rester dans le ton général. Ces deux toubibs sont assez marrants quand j'y pense, dans leur maladresse, mais dans ce chapitre, ils perdent pas mal en sérieux et en crédibilité. Est-ce un effet voulu?

De la cohérence
Cette partie me paraît plus laborieuse, même si intéressante. Les explications sur les cloches amènent un petit plus mais on ne comprend pas forcément leur finalité. Idem pour le monologue intérieur de Gulliver, qui pourrait être allégé ou rendu plus vivant.

Confidences
Dialogue bien mené, avec toujours ce personnage de mère éplorée que tu maîtrises bien, elle me plaît : - )

De la rigueur avant toute chose
Tu relances habilement l'histoire et je trouve cette partie efficace, vive et prenante.

Depuis le début du Murmure des Bergers, je prends beaucoup de plaisir à te lire Hellian, c'est un régal. Bravo et merci !
Sahkti
Sahkti

Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005

Revenir en haut Aller en bas

Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20 Empty Re: Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20

Message  Hellian Mar 5 Mai 2009 - 17:19

Sahkti a écrit:Le maître de l’hypnose
Cette séance me paraît un brin rocambolesque mais j'imagine que c'est volontaire, pour rester dans le ton général. Ces deux toubibs sont assez marrants quand j'y pense, dans leur maladresse, mais dans ce chapitre, ils perdent pas mal en sérieux et en crédibilité. Est-ce un effet voulu?

Ah, si je pouvais tout te dire... En fait personne n'est jamais vraiment à prendre au sérieux, même pas dans la vie, Alors tu penses, dans un roman....

De la cohérence
Cette partie me paraît plus laborieuse, même si intéressante. Les explications sur les cloches amènent un petit plus mais on ne comprend pas forcément leur finalité. Idem pour le monologue intérieur de Gulliver, qui pourrait être allégé ou rendu plus vivant.

Tu as raison. j'y travaillerai. disons que c'est un chapitre d'exposition

Confidences
Dialogue bien mené, avec toujours ce personnage de mère éplorée que tu maîtrises bien, elle me plaît : - )

De la rigueur avant toute chose
Tu relances habilement l'histoire et je trouve cette partie efficace, vive et prenante.

Eh ben, tu vois !

Depuis le début du Murmure des Bergers, je prends beaucoup de plaisir à te lire Hellian, c'est un régal. Bravo et merci !


Tu vas me faire rougir...Mais tu me fais pplaisir
Hellian
Hellian

Nombre de messages : 1858
Age : 74
Localisation : Normandie
Date d'inscription : 14/02/2009

Revenir en haut Aller en bas

Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20 Empty Re: Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20

Message  Soliflore Sam 11 Juil 2009 - 17:17

Un peu de Don Camillo dans Cloche-merle! Moi, j'aime bien entendre les cloches!!!

On est maintenant convaincu: le réel n'intéresse pas la justice

Mais, je vous vois venir... "Il y a des livres qui rendent fou!" et même "un livre qui fait tomber d'une échelle"!

...Et l'assassin coure toujours....

Il est pas mal ce commissaire , il a de bons principes.
Soliflore
Soliflore

Nombre de messages : 380
Age : 71
Date d'inscription : 17/02/2009

Revenir en haut Aller en bas

Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20 Empty Re: Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20

Message  Halicante Mar 8 Sep 2009 - 17:10

Chapitre 17 :
« Docilement s’ouvrirent les yeux. » : l’inversion ne me semble pas nécessaire (« Docilement, les yeux s’ouvrirent. ») (p 97)

Chapitre 18 :
« Pour qui n'était pas né à Belmont ou n'y habitait de longue date, cette avalanche sonore ne demeurait pittoresque que l'espace d'une demi-journée. » : il manque un « pas » (il est d’ailleurs mis entre parenthèses sur la version papier.) (p 101)

Chapitre 19 :
« Avec un automatisme qui surprit Ésope, elle ponctua d’un signe de croix appuyé qui laissa une légère trace blanche sur son front. » : il me semble qu’il manque un COD (par ex. : elle ponctua la phrase d’un signe de croix…) (p 108)

« Et pourtant mon Hubert vous savez il en a lu des livres avec ses études, c’est pas pour me vanter, mais il en a lus. » : il en a lu (p 109)

Chapitre 20 :
« Et bien c’est tout simplement parce que le second est… disons... horrible qu’il refuse de l’assumer. » Eh bien (p 112)
Halicante
Halicante

Nombre de messages : 1794
Age : 54
Localisation : Ici et maintenant.
Date d'inscription : 25/05/2008

http://www.loceanique.org

Revenir en haut Aller en bas

Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20 Empty Re: Le murmure des bergers (VIII) - Chap. 17, 18, 19, 20

Message  Contenu sponsorisé


Contenu sponsorisé


Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum