Atelier de radoub

Compliqué, tout ça; ces trois semaines ailleurs vont me dépayser, et me laver le cerveau de tous les sédiments que j'ai accumulés ici durant l'année. Quelle joie de ne plus rien entendre pendant quelque temps qui ait trait à l'atelier ou à la maison. Les mecs? Qu'ils apprennent à vivre sans moi. C'est pas faute de leur répéter, merde:
« et si je meurs, vous faites quoi? » « et si je me pète une jambe, vous croyez que je vais venir à l'atilier avec li biquiye, msiou Abdel? Ah oui, msiou Louk li tri zenti, i va pa no lassi to sol to trist. »
Rêvez pas les mecs, Luc, il n'est pas dévoré par son boulot, c'est pas un samaritain, ni l'abbé Pierre. Il s'efforce de bien analyser votre besoin, et de vous accompagner le plus efficacement possible. Irais-je jusqu'à vous confesser que msiou saint Luc, célèbre anachorète des temps dits modernes, fonctionne beaucoup au feeling, et que, s'il s'est formé de manière construite attestée par son diplôme d'Etat qui ne trône pas fièrement dans son bureau car il le trouve atroce tant esthétiquement que dans l'exposé des vertus du titulaire : nul énoncé des admirables capacités du diplômé; nul éloge de sa pédagogie, adaptée et inventive; nulle mention de son talent d'improvisateur, jamais en défaut et lui permettant d'enrober chaque apprentissage d'une délicate mantille de faits historiques parsemés de rigolade, il croit surtout en la rencontre au sens que Deligny lui donnait, c'est à dire un espace de parler vrai, ou un autre théâtre, c'est selon, mais sur la scène duquel des choses fortes vont pouvoir se dire de manière allégorique.

— Quand j'ai commencé, Abdel, j'avais peur de tout, peur de me tromper, peur de pas savoir par où commencer, peur que msiou Luc il se moque de moi en disant
« ah, msiou Hassan il a un na'hdin CiAPi, et il sait rien faire di to. »
Je me sentais nul, je savais même pas monter les outils sur la toupie, Luc il se bidonnait, il me disait « faut jouer à pile ou face, Hassan, comme ça une fois sur deux vous tombez juste » ou il me sortait une kouniri où je me bidonnais et il m'expliquait le truc mais pas genre CFA, tranquille, en te montrant le pourquoi. N'empêche, l'air de rien, au bout d'un moment, j'ai pris la confiance, allez, je réglais, et allez, roule! Bon, des fois tu te chies, crois pas, là msiou Luc il m'a toujours scié, il te raconte des couilles qu'il a faites, mais mortelles. Et il te dit
« vous voyez msiou Hassan, à une époque je faisais des cagades plus grosses que moi, et vous voyez que ça va mieux maintenant »
Putain que ça va mieux, tu le vois bosser, le salaud, tu te dis: fastoche, avec son ciseau il dégrossit les joues du petit angelot qu'il est en train de refaire? Même pas mal, je vais me prendre une chute et faire pareil, sans dec. Tu rigoles, déjà le ciseau il coupe pas. Et lui qui te dit en se poilant « Ci l'affotaj ci li gran sikri di l'a'banistiri » et il te prend ton ciseau que tu t'es fait chier une demi-heure pour qu'il coupe moins qu'avant et en trois passes il se rase les poils du bras même qu'i ldit ce con
« et encore je vous montre pas sur la zigounette parce que j'ai peur de me couper, vous vous rendez compte, j'arrive à la maison, ma femme qui me dit et comment tu t'es fait ça? Et moi je lui réponds c'est en montrant aux gars comment ça doit couper quand c'est affûté, sûr de chez sûr je dors dehors  et bien content si elle me tape pas »
voilà les couilles qu'il nous sort tout le temps. Mais l'air de rien tu t'en rends même pas compte mais plus y dit des kouniris ou il invente des histoires, mieux tu retiens les trucs qu'il te dit.
— Sérieux? Moi je suis pas habitué à un prof qui blague...je sais jamais si c'est vrai ou c'est du flan...
— T'inquiète, tu lui demandes: tout le temps il le dit,
« vous croyez que je suis payé pour quoi, les mecs? Pour admirer vos tronches? Si c'est ça, vous me filez votre photo et je reste chez moi. Vous êtes ici pour me faire chier, je déconne pas, pour me déstabiliser: qu'est-ce que vous croyez, si vous me provoquez pas, moi, je fais comme les chevaux, sans blague. Vous avez vu comment ils font les chevaux? Vous les sollicitez pas, ils dorment dans un coin; vous croyez que c'est eux qui vont aller chercher la selle ? Pareil sur les obstacles, je peux vous dire, un cheval, il saute s'il peut pas faire autrement; mais vous verrez jamais des chevaux qui s'amusent à sauter par eux-mêmes. »
Bon, des fois, je sais pas trop où il veut en venir.

Pues, esta ya en el avion. No le puedo acompañar esta vez. Porque digo eso? Nunca hemos esta'o juntos de viaje. Ni hemos ido de luna de miel. A ver la familia, que claro que importaba, pero que eso no se llama luna de miel. Yo no le habia creiodo eso lque me comento el desde el principio que vivir con el costaba mucho. Seguro que si. Le hemos passa'o duro, eso si. Pero juntos juntos que no me acuerdo haber esta'o a si con cualquier otro. Es aue me queria de verdad y yo tambien a el. Vida dura claro que hemos pasa'o pero que no me importaba. Cuando venia la familia lo unoco que decian era que felices sois. Claro que se notaba. No se como han cambia'o las cosas. A mi me se me parece que se ha echo poco a poco sin darnos cuenta. Si es verdad lo que me dijo tal vez, que tenia el sentimiento que habia gast'o su tiempo en estos años de educar a los crios. Pues lo que veo es que son muy unidos y valientes, y eso es por todo el tiempo que hemos invertido en estar con ellos. La depresion tambien. Despues de estos años de angustia con Rachel que n tenia estos dolores teribles en la tripa. Tantos meses sin dormir. Y ademas el cuchillazo que el me dio cuando me dijo que lo que habiamos edificado juntos ne tenia ningun interes ni valor y que lamentaba haber gasta'o tantos años en eso. Vaya pugnalada. Es que me lo creo todo, y siempre me le he creido todo lo que el me decia. Ahora no. Tengo que protegerme. Claro que le quiero todavia. Pero desconfio de el. Yo creo que tiene algo de locura. Demasiado inteligente aparte con las cosas del corazon. Cuando pienso que tiene el valor de decir que se puede tener mas intimidad y intercambio con un perfecto desconocido que con sus proprios niños. Eso si que duele oir y seguro que lo piensa del corazon.
Y es verdad que con la menopausa casi no tengo ganas ahora. Haciendolo si que me gusta. Pero lo de antes, cuando le corria detras o le saltaba encima con un afan terrible, eso se me ha pasa'o. Claro que a el le molesta. Por eso le digo que se haga a la idea de encontrar a otra. Porque veo que el no es feliz. Antes seguro que no hubiera ententado empiezar una relacion con otra ; ahora no se; desde el tiempo que le estoy diciendo que se busque una...No se si lo habra hecho o no. Igual si y no tiene el valor de decirme lo. Yo he acaba'o con los hombres: no quiero otro despues de el. Una mujer sin problemas.
Bon, il est dans l'avion. Je peux pas aller avec lui ce coup ci. Pourquoi je dis cà? On n'a jamais fait de voyage ensemble. On n'a pas eu de lune de miel. Rencontrer la famille, bien sûr qu'il fallait, mais ça s'appelle pas lune de miel. J'avais pas cru ce qu'il m'a dit dès le début que la vie était dure avec lui. Ca, c'est sûr. Ca, on en a bavé. Mais tellement unis que je me rappelle pas avoir éprouvé ça avec personne. Il m'aimait vraiment et moi pareil. La vie était dure mais je m'en foutais. Quand la famille venait, ils disaient « qu'est-ce que vous êtes heureux »? pour sûr que ça se voyait. Je sais pas comment les choses ont changé. Petit à petit je crois, sans qu'on le voie.Ah si, ce qu'il m'a déclaré cette fois-là qu'il vait l'impression d'avoir perdu son temps à élever des gosses. Ce que je vois c'est qu'ils sont super proches et courageux, grâce au temps qu'on a passé avec eux. Et la dépression. Après les années d'angoisse à propos de Rachel avec ces douleurs atroces aux intestins. Tant de mois d'insomnie. El le coup de couteau quand il m'a dit que ce que nous avions construit ensemble n'avit aucun intérêt pour lui et qu'il regrettait d'avoir « gaspillé » tant de temps à ca. Putain de coup de poignard. Moi, je crois tout, j'ai toujours cru tout ce qu'il me disait. Plus maintenant. Il faut que je me protège. Bien sûr que je l'aime encore. Mais je m'en méfie. Je crois qu'il est un peu fou? Trop intelligent sauf dans les sentiments. Dire qu'il avait le courage de soutenir qu'on peur être plus proche d'un parfait inconnu que de ses ppropres gosses. Ça c'est dur à entendre, et en plus c'est ce qu'il pense. C'est vrai que je n'ai plus de désir depuis la méopause. Quand on le fait ça me plait. Mais ce qui se passait avant, quand le le poursuivais ou lui sautais dessus avec une envie terrible, plus du tout. Évidemment ça lui va pas. C'est pour ça que je l'encourage à en trouver une autre. Je vois bien qu'il n'est pas heureux. Avant, il n'aurait jamais essayer de démarrer quelque chose avec une autre; maintenant je ne sais pas..depuis que je lui dis d'en chercher une...Je sais pas s'il l'a fait ou pas. Peut-être qu'il l'a fait sans oser me le dire. Moi, je veux plus de mecs, et surtout après lui. Une femme, pas de problème.

Qu'est-ce qui m'arrive, là? Depuis le départ de maman, les décisions que j'avais prises, je m'y suis tenue, les mecs d'accord, mais pas question de quoi que ce soit de sentimental. De la baise, tant que vous voulez. Des mecs jeunes, performants, plaquettes de chocolat, surfers, grands, qui sentent l'eau de mer et la crème Nivea. Enfin, la crème pour les brûlures. Ils ont leur vie, j'ai la mienne, moi quand je rentre chez moi, il faut pas venir m'emmerder. C'est pas pour rien que j'habite à une heure de mon lieu de travail; les collègues qui vivent à Bartaban...bon plaisir. Arpenter les allées et « bonjour Mlle Legouen, ça va? » Tu parles que ça va, il va y en avoir beaucoup encore de sortie? Moi, je fonctionne comme ça, le boulot c'est le boulot, hors du boulot je suis une autre.
Mais ce coup-ci, je comprends plus. Je tourne et je retourne, je comprends pas. J'ai toujours aimé le style de Luc, sa désinvolture souvent un peu pataude; non pas pataude, c'est pas ça, sans manière, non empruntée, ni affectée. En fait il est comme ça, il ne joue pas; il est vraiment à l'aise avec ses gars, il n'a pas à se forcer. S'il a envie de gueuler un coup il gueule. Il n'est pas toujours à contenir. Professionnalisme, ils nous serinent tout au long de la formation et des stages. Vous devez être imperméables, vous êtes des opérateurs. Tout ce qui n'est pas distance professionnelle est de l'amateurisme, et un danger pour vous.
Eh bien Luc, il arrive à gérer ça cent fois mieux que moi; c'est vrai qu'on fait pas le même boulot, et qu' il a un support qui lui permet de parler les problèmes autrement. Il faut reconnaître qu'il a à la fois un outil et une place d'enfer. De par la démonstration qu'il est toujours à même de faire de la raison pour laquelle c'est lui qui est là, dans l'atelier, et pas tartempion, il a une crédibilté et une reconnaissance des gars qui imprègne tout le reste de la relation. Ce qui est totalement con, sur le principe, si on y réfléchit: alors sous prétexte que je suis compétent dans un domaine, j'assure nécessairement dans un autre qui n'a rien à voir?
Et pourtant force est de constater que l'esprit humain marche assez sur ces analogies, comment comprendre autrement qu'un notable, prof de médecine ou juriste, qui se lance dans la politique, a du succès électoral alors que ce n'est aucunement son domaine de compétence, et que peut-être même il sera catastrophique?
Luc j'ai toujours été ahurie de la manière dont les gars en parlent; pour certains, c'est presque de la dévotion « Luc nous a dit ça... ».
J'ai pas trop aimé son truc là, bisou bisou, je t'ai dis, je pars en Inde, salut.
Petit déjeuner, super, en bas, moi, j'étais encore sur mon petit nuage, il faut dire ce qui est, il a assuré le papi. Pas pleins de saillies à la suite, comme certains de mes jeunots, là, les surfeurs, mais plutôt mieux. Bon, en fait, c'est que j'avais envie, et que ça me rendais réceptive. Mais quand même, j'ai joui, il y avait longtemps que ça n'avait pas été aussi bon...Pas la performance, mais cette sensation de satiété...Le plus beau, c'est qu'à peine fini, j'aurais voulu recommencer; ça change des mauvais coups: l'autre fois, avec l'autre là, où ça ramait, et ça ramait, et c'était chiant, et quand tu dis au mec « tu comptes limer encore longtemps? Parce que t 'as pas trouvé la serrure... » il se vexe le connard, l'air fermé et tout. Parce qu'il est urologue il croit qu'il a la bite enchantée?
Puis bon, il fait pas qu'un truc, le gars, il m'a sciée, là, dans son rade pourri. Glauque, c'est glauque; sans lui, je crois que j'aurais passé pas mal de vies sans jamais y entrer. On voyait qu'il était chez lui. Le deuxième truc qu'il a fait, là, son truc qu'il a mis en musique, je sais plus, le dernier bar, putain, pour un truc juste bricolé comme ça vite fait, ça balançait bien, les paroles étaient excellentes, ah mais ouais, maintenant je me souviens, on l'avait étudié, c'était un pantoum, attends, comment c'était ... forme poétique ...non...poème à forme fixe, emprunté à la poésie malaise, composé d'une série de quatrains à rimes croisées, dans lesquels le deuxième et le quatrième vers d'une strophe sont repris par le premier et le troisième vers de la strophe suivante, le dernier vers du poème reprenant en principe le vers initial. Dis donc, le par cœur ça reste. Donc, c'était pas tout à fait ça, là, parce que les vers se transformaient d'une strophe à l'autre, au lieu d'être identiques. C'était d'ailleurs beaucoup mieux. Ah, le seul truc, je me souviens, le pantoum est à l'origine un poème érotique, là j'ai pas vu grand chose de tel, plutôt le contraire même, le désespoir. Il l'a chopé sur internet, un site, là, il paraît qu'il y a des pointures, il m'a dit le nom, Aux Écrits...aux Écrits...non, c'est pas ça, c'est Vos Écrits qu'il a dit.
En tous cas il tourne bien, son truc, l'air est joli, bluesy, il colle bien au texte; il dit qu'il veut une trompi je sais pas quoi, je trouve que la guitare va très bien. Comme ils l'ont fait là, avec la contrebasse et la batterie, ça allait déjà super bien. Alors tu parles s'il rajoute le piano comme il disait...moi je connais quelqu'un qui joue...ouais, un ex, moyen. Pas envie qu'ils se connaissent.
Ça m'énerve la manière dont j'ai ça dans la tête. Et ça m'énerve encore plus la façon dont il a posé les choses, en me précisant bien comment il le voit, et qu'il va contrôler comment ça se passe. J'ai jamais dit à un mec « tu m'emmènes? » comme ça sur un coup de tête. Et en plus c'était vraiment ça que j'aurais voulu, à ce moment là. Je suis pas habituée à ce genre de choses, moi, d'habitude c'est les mecs qui font mille contorsions.
Lui, quand même c'est bizarre, on dirait qu'il ne cherche pas plus que ça...j'ai pas l'impression que ce soit dans ces habitudes ce genre de fantaisies...j'ai dû lui faire de l'effet...je me demande même s'il ne s'est pas jeté à l'eau le jour où il m'a invitée, j'ai l'impression que c'est un timide qui lance des choses qui sont énormes pour lui et qui est tout étonné d'avoir un retour.
Quand je pense qu'il ne voulait pas me donner son adresse mail...oui, je vais être tout le temps à bouger, c'est galère pour trouver un cyber café -là, il me prend pour une conne, une fois en discutant avec Gé et lui, il disait qu'en Inde ya partout des cyber, parce que les gens n'ont pas d'ordis persos, et qu'en plus c'est ouvert tout le temps. I
En fait, il n'a pas envie de s'imposer de contraintes.
Et moi ça devrait pas me préoccuper autant.

Ouais ben moi ce que je vois c'est que msiou Luc il pense rien qu'à sa gueule voilà c'est pas compliqué. J'ai bossé toute l'année je prends des congés je pars me balader c'est fastoche. Déjà les weekends si tu regardes bien bien le mec tranquillos dans sa cambrousse au diable pas fou le 'ataï rien di to ji mi pavane en centre ville que ji risk ji tomb sur msiou Hassan ou msiou Abdel et ji oubliji li parli. Pas fou msiou Luc ji habite tri loin siparatsiounn li travail li mizon. Il manque pas d'air bordel c't'enculé, qu'est-ce qui m'a sorti l'autre jour en plus il met son air de juif sentencieux là qu'on dirait un inspecteur des impôts
« et msiou Hassan, vous devez crouler sous l'or que vous avez planqué sous le matelas, vous allez vous les faire belles les vacances... »
ah ouais me les faire belles que le pécule de la semaine le samedi soir il est déjà claqué que dès fois le dimanche c'est déjà la misère même que des fois faut que j'envoie Isma chez ma mère pour lui demander pour le pain. L'autre qui me sort
« enfin vous m'arrêtez si j'affabule »
la vie d'ma mère qu'il parle comme ça ce ouf je sais kesk ça veut dire c'est pas la question même je fais exprès des fois aux Addictions de leur sortir ontologie ou tautologie, ou thuriféraire juste pour voir leur tronche après je leur dis non non j'ai rien dit, mais là j'affabule j'affabule, na'din youd en plus il se la joue il s'est cru qu'il est mon daron tellement il a pris la confiance
« si je compte bien Hassan vous m'arrêtez sinon avec le RMI plus le pécule vu que les allocs logement que vous touchez vous payent le loyer intégral, il vous reste plus que moi à la fin du mois quand j'ai fini de raquer pour la maison et mes mômes qui en finissent pas de pas devenir autonomes et le reste »
sur le papier sûr qu'il a raison il en passe li flouss mais moi je fais quoi les weekends si j'ai pas l'alcool pour tenir et le teuch? Il est bon lui. Putain ya des moments j'ai envie de lui éclater sa cheutron de feuj la vid'ma mère que c'est un feuj il le porte sur la gueule tellement je suis jaloux de ses gosses en plus paraît qu'ils sont toujours à réclamer pour tout putain ils savent pas qu'est-ce que c'est une baraque où ya rien mais le vrai rien rien dans les placards rien à bouffer pas de meubles. En même temps j'aurais envie qu'il soit mon père jsuis trop naze quand même d'un côté le mec il veut le tuer de l'autre il veut qu'il soit son daron. Je me rappelle la fois qu'il m'a dit
« c'est du super boulot Hassan, venez voir les autres »,
je me suis senti tellement mal qu'il a fallu que j'aille aux chiottes en courant, même je tremblais après.
Les vacances sûr qu'il a droit Luc c'est pas la question c'est que moi je me fais l'impression qu'il m'a laissé comme les petits chiens là que les gens ils laissent sur les parkings quand ils partent en vacances, ces gros fils de putes. Sûr qu'il va pas m'emmener avec lui en Inde que déjà il emmène pas la patronne comme il dit.

Hassan on voit qu'il est mal, là, avec les congés. Déjà quand y commence qu'y dit plus rien wallou c'est que ça va pas; déjà les weekends depuis un moment ça se sentait venir, avant y venait me voir y braillait derrière la porte
« oh Abdel, ouvre, t'inquiète, c'est pas les condés, ouvre abruti, c'est Hassan »
bon à la fin j'ouvrais parce que sinon je pouvais pas remettre la téloche ce con y restait derrière la porte à guetter. Moi ça va, les weekends peinard, maintenant j'ai récupéré 'al parmis li conduire, j'ai la voiture, Luc y me demande si on m'a payé pour la prendre n'empêche maintenant je peux aller chercher Mouss chez sa daronne, l'assistante elle a vu les meubles tellement elle hallucinait elle croyait pas c'était moi. Même il a fallu que j'y montre les photos qu'il m'a fait dans l'atelier en train de travailler avec le tour, la raboteuse. Un album carrément il m'a fait, avec la reliure spirale et tout. Même avec des trucs écrits, mon frère il croit que je l'ai volé y croit pas qu'il l'a fait exprès pour moi. Il dit
« comme ça vous saurez toujours que vous êtes capable de faire ces trucs »
Hassan il part en couilles grave, moi je vois; dans le temps que j'ai acheté la caisse, lui que dalle; pas une thune de côté; même il est toujours « ouais Abdel, fais tourner une roulée, fais pas le jeuf »
même que Luc l'autre jour il lui a dit
« oh là pépère, le feuj c'est moi et il fume pas »
qu'il savait plus quoi dire ce con, y lui disait
« c'est juste des kouniris chef, c'est nous on dit les feujs y lâchent rien, c'est pas pour vous, chef »
et Luc qui l'enchaînait grave
« ah ouais, et si yen avait dans l'atelier des feujs, vous seriez à leur dire qu'ils lâchent rien et tout? »
et Hassan de plus en plus mal qui y disait
« mais non c'est des couilles, des feujs j'en connais pas »
et le Luc qui l'achève trop grave
« ah ouais? Mais moi j'en suis un, mec, vous savez pas qu'est-ce qui faisait mon grand-père? Marchand de savon, il vendait celui qu'on avait fait avec ma grand-mère et ma tante »
Putain le Hassan y savait plus où se mettre y disait
« je savais pas chef, je savais pas; excusez-moi »
et le Luc
« et même sans savoir, vous croyez pas qu'il y a un petit souci à répéter comme ça les trucs qu'on vous a dit, putain, ça me déçoit Hassan »
vous l'auriez vu le Hassan presque y chialait on aurait dit un môme dans le bac à sable quand on y pique son rateau.
Bon moi yen a pas le proublim, je me fais mes petites courses, je me monte tout chez moi bien peinard, je me fous devant la téloche, l'orangeade à volonté, les bonbecs, le halva, les bichocos, comme un prince. J'ai la thune, j'ai envie d'un truc je vais au Leader Price, maintenant même pas mal quand je pense avant même l'idée de sortir j'étais malade, là, tranquille.

― Cela fait bon nombre de fois que nous l'envisageons cette cure, Mr Delbosc; d'ordinaire, vous avez des argument à nous opposer pour la différer. Vous comprenez bien qu'il n'y a pas beaucoup de marge de manœuvre: soit vous devenez abstinent, avec une cure suivie d'une post-cure, soit nous continuons comme ça, avec tous les risques divers que vous connaissez mieux que personne...sur votre santé, sur les conséquences au dehors...
― Ah écoutez, mes parents, ils pensent que c'est une bonne chose...
― C'est une heureuse nouvelle, parce que s'ils pensaient le contraire, et surtout s'ils vous le disaient, ça serait difficile de démarrer sur ces bases; mais vous, qu'est-ce que vous en pensez?
― Les gars de l'atelier pareil, ils m'ont dit que c'est super. Il paraît que vous avez eu Abdel, il m'a dit? Comment il était Abdel? Plus bien ou plus mal que moi?
― Vous comprenez bien que je ne risque pas de vous parler d'un autre patient...
― Vous en faites pas, que lui il m'a dit, vaï; vous avez du en voir de belles, il m'a raconté, la fois de la voiture qu'il a défoncé le poteau...
― C'est votre opinion qui m'importe, monsieur Delbosc...
― Hassan il dit pareil, notez...vous le connaissez pas Hassan, pardi, c'est encore un arabe (chuchoté), qu'est-ce que vous voulez, il n'y a plus que ça, on n'est plus en France, remarquez moi ceux qui travaillent, j'ai rien contre, mais il y en a guère...oui, Hassan, c'est sûr que vous pouvez pas le connaître, c'est un drogué: c'est pas chez vous qu'il va
― Même s'il venait chez nous comme vous dites, je n'aurais aucune raison de l'évoquer...
― Bon en attendant, lui aussi il trouve que c'est une bonne idée; lui aussi il picole, remarquez: je vais lui dire de venir vous voir...
― Je vous suis très reconnaissante de penser à nous faire de la publicité; cela dit, vous savez comme moi que sans une démarche volontaire de la personne, les cures, ça ne sert pas à grand chose...
― Mr Poumarède aussi, il trouve que c'est une bonne idée; miladiou, évidemment qu'il va pas dire que je ferais mieux de continuer comme avant; quand même, je suis con, pas vrai madame la docteresse? C'est bien comme ça qu'on dit?
― Ça n'est pas très important; je n'ai toujours pas entendu ce que vous, vous en pensez...
― Mon frère, là, oui, celui que je vous ai dit, là, le gendarme, enfin, le ca-pi-tai-ne-de-gen-dar-me-rie (il détache chacune des syllabes), il est sceptique, il dit ça dépend de l'endroit...
― Mais enfin, je crois que nous en avons longuement parlé, Mr Delbosc, c'est une clinique spécialisée avec un accompagnement spécifique, des psychologues avec lesquels vous allez pouvoir travailler...
― Travailler? Il y a des ateliers?
― Travailler sur vous-même, nous en avons déjà parlé...Je n'ai toujours pas votre position personnelle, Mr Delbosc...
― C'est que sur le fond, ça me plaît bien; mais d'un autre côté, ça m'embête de plus rien toucher...
― Peut-être alors allons nous annuler cette cure, le temps que vous soyez vraiment sûr de le vouloir...
― Non non, écoutez, je suis sûr de vouloir arrêter de picoler: toutes les cagades qui me tombent sur le nez depuis des années, ça vient de là; mais ça me fait peur...
― C'était un esclavage qui vous rassurait en même temps?
― Bien sûr; vous savez, le boulot, c'est plein de contrariétés: regardez, moi, je peux pas travailler dans un chantier sale, et je peux pas laisser sale en partant non plus. Vous vous rendez compte que le patron, il voudrait que je laisse tout dégueulasse des fois? Que c'est une honte...Moi, quand il y a des coups comme ça, si je bois pas, je casse tout...
― Nous l'avons déjà longuement abordé: d'une part l'alcool a le bon côté de faire baisser votre rage, de l'autre c'est un excitant et il réalimente d'autres problèmes...
― C'est vrai que j'aimerais pouvoir prendre les choses sans avoir besoin du...biberon
― Nous restons sur la cure, alors?
― J'ai envie de le tenter.

C'est que même le truc qu'il m'a sorti l'autre jour, là, le Luc, il a de la chance qu'il me l'a sorti comme ça sans que je sois préparé, que sinon, je sais pas...l'air de rien, là, il me fait
« vous réalisez que vos parents sont mortels? »
c'est des choses à dire, ça? Que mes parents sont mortels? Qu'est-ce qu'il veut dire, d'abord? Que c'est pas le petit Jésus, qu'ils sont pas éternels? Je le sais bien qu'ils sont pas éternels. Pourquoi il me dit qu'ils sont mortels? C'est vrai qu'ils meurent demain, couillon, je saurais pas quoi faire. Si je reste la semaine sans aller les voir, j'en suis malade. Tu vois qu'ils meurent quand je suis en cure? Rien que de me le penser, con, j'ai envie d'annuler. Oui mais demain ils font une attaque, aussi bien j'y vais, je les trouve partis tous les deux. C'est vrai que mon appartement, c'est bien. Maintenant que je l'ai, j'y suis comme un pacha. Je me le suis arrangé comme j'aime, 9 couches de peinture partout, et les fenêtres et les portes...j'en avais tellement mis sur les fenêtres qu'en forçant pour ouvrir celle de devant, j'ai pété un carreau. Et le proprio qui me dit:
« c'est à votre charge ».
Je lui dis « mais c'est en peignant votre appartement »,
il me répond
« mais je vous avais rien demandé, vous voulez peindre, je vais pas vous empêcher, mais le carreau, désolé, c'est à votre charge »
Voilà, tous pareils. Et quand je raconte ça au Luc, là, il riait tellement qu'il se tapait les cuisses. Je voyais rien de drôle, moi. Il me fait:
« mais vous leur avez monnayé le boulot que vous avez fait avant, au moins? »
du coup, j'osais rien dire, que je voyais bien qu'il trouvait pas ça normal. Je lui ai pas dit que j'ai payé la peinture, pardi, il se serait foutu de moi deux fois plus.
En tous cas c'est propre que tu y manges par terre. De toute façon, c'est pas compliqué, une poussière par terre, je prends le balai. Même ça me fait peine de manger, pourtant j'aime manger, attention, je me soigne, l'argent, moi, c'est là qu'il va, pas dans la drogue, que les drogués, ça se voit que ça mange pas, la petite, là, belle comme elle est, Céline, on dirait une agasse, tu y vois les côtes. Même manger presque je mangerais dehors, que les miettes ça me rend malade, j'en vois une par terre je pourrais pas dormir.
Un autre que Luc qui me sort ce truc que mes parents ils peuvent mourir, je crois que je l'assomme. Encore lui, c'est qu'il m'a eu par surprise, je m'y attendais pas. Même il le disait pas méchamment. N'empêche il se rend pas compte, moi ça m'a fait un choc dans la poitrine. Comme au rugby (se prononce, même dans sa tête, ruby) quand tu t'en prends un de face, là; et rappelle-toi que je fais cent huit kilos, couillon.
Et l'autre truc, comment il l'a dit, là
« que peut-être à travers cette cure vous allez construire les ressources dont vous allez avoir besoin à un moment ou un autre » qu'est-ce qu'il veut me dire par là?