Atelier de radoub

Quelques mois ont passé amenant de substantiels changements dans l'association qui gère hébergement et atelier. Le directeur a été remplacé par un presque sexagénaire au bord de la retraite. Il fait la course aux fonds de tiroir et d'une manière générale met le nez un peu partout. Il prétend légiférer sur des domaines sur lesquels il n'a pas compétence, car la convention est muette sur ces points. Depuis des années, l'asso fait de la cavalerie, jongle et rebouche un trou comptable qui s'agrandit en finançant des missions déficitaires par d'autres mieux dotées. A un moment , Luc s'en émeut, car , alors qu'il a des projets de développement de l'atelier, tout lui est systématiquement refusé car les fonds filent ailleurs, et rédige un courrier qu'il envoie d'abord au nouveau directeur, puis, ne recevant pas de réponse, à la DDASS. D'autres point sont abordés, notamment le fait que le directeur prétend décider de tout et dicter sa loi, au mépris des conventions existantes.

Monsieur le Directeur,

ayant pris connaissance –et note- de votre édit concernant les congés trimestriels qui doivent obligatoirement pris en bloc, je sollicite l’établissement d’un tableau officiel et consultable par tous, qui permette à chacun de constater que le mode de fonctionnement de l’asso en a fini avec les fâcheux passe-droits qui émaillaient si fréquemment le quotidien, probablement trop terne, jusque là.

Par ailleurs, apprenant par la chef de service que mon atelier tendrement construit par mes soins attentifs serait déficitaire, je m’interroge, et souhaite vous rencontrer à ce propos. Il me paraît pour le moins curieux qu’un déficit ait été reconduit, sauf bien sûr si des jeux d’écriture, comme je le subodore, ponctionnaient les subventions attribuées à l’atelier pour rustiner d’autres secteurs de l’asso. Si tel était le cas, j’en tirerais toutes les conclusions utiles.

Vous avez largement invité le corps éducatif à s’approprier la gestion des subventions, j’en ai été le témoin à plusieurs reprises, témoin doué de mémoire et ayant pris des notes : je souhaiterais donc connaître un peu plus précisément de quoi il retourne.

D’autant que l’atelier générant des fonds de par sa production, et lesdits fonds devant être affectés à de l’équipement complémentaire, comme convenu avec l’administrateur votre prédécesseur, il me serait franchement pénible que ces sommes allassent à quoi que ce soit d’autre que leur destination première.

Dans l’attente de vous rencontrer, avec mes meilleures salutations,
Luc Poumarède

suivi du courrier à la DDASS

Monsieur le Directeur,

je vous transmets ci-joint un document envoyé à Mr Cariman, directeur à l’essai de l’association Boudu.
En effet l’atelier que j’ai patiemment construit depuis 4 ans et qui constitue à l’heure actuelle un bel et bon outil pour les usagers que nous accompagnons va se trouver lourdement pénalisé par les décisions prises, malgré le désaccord très net que j’avais manifesté dès le départ : il me semble en effet que l’éducateur technique responsable de l’atelier que je suis a quelques avis à faire valoir sur la question.
Je tenais à vous communiquer mon opinion sur la question, et suis à votre disposition pour tout complément d’information qui puisse vous intéresser,

avec mes meilleures salutations,
Luc Poumarède

L'excellent, mais naïf Poumarède, reçoit en retour un courrier de la direction dans les termes suivants

Monsieur,

suite à votre courrier du ….., nous sommes amenés à prendre à votre encontre une mesure disciplinaire.
En effet, le ton sur lequel vous rédigez vos revendications délirantes est proprement inadmissible, et le fait que vous en ayez transmis copie à la DDASS constitue à nos yeux une faute majeure.
En conséquence, nous prononçons un blâme à votre encontre, et portons à votre dossier un avertissement pour faute grave.

Avec mes salutations,

Le directeur

— Bruno, salut, c'est Luc...tu es au courant ?
— Écoute mon biquet, je sais que l'info passe mal dans l'asso, mais une sanction disciplinaire, ils sont obligés de la signaler aux délégués du personnel; donc, bien sûr, on est au courant...
— Alors?
— Alors? N'importe quoi...il n'y a aucune base juridique de quoi de que ce soit dans son torchon; c'est même extrêmement maladroit: à mon avis, ce n'est pas très finaud de sa part, parce qu'il est à l'essai.
— Qu'est-ce que tu me conseilles?
— Laisse pisser pour l'instant: sa période d'essai finit dans 3 semaines; j'ai déjà alerté le CA (c'est une association, donc dotée d'un Conseil d'Administration qui choisit les directeurs), ils te soutiennent à fond
J'avais déjà appelé Paul (trésorier actuel, ancien président de l'asso, avec qui Luc a des liens privilégiés) et il m'avait dit de ne pas m'inquiéter...
Si le dirlo précipite les choses, tu pourras toujours porter l'affaire devant l'inspection du Travail; mais honnêtement, je ne pense pas que tu en auras besoin...
— OK, je patiente...

Atelier.

— Je peux vous voir deux minutes, Luc?
— Bien sûr Hervé
— Je ferme la porte?
— Ma foi, sinon, on peut demander l'avis des autres: ça sera intéressant l'avis d'Abdel sur ce qui vous tracasse, non?
— Bon, voilà, je ne sais pas par quel bout commencer...
— C'est souvent comme ça, ne vous en faites pas...
— C'est pas au niveau de l'atelier, hein, ça n'a rien à voir...
— Vous piquez ma curiosité...alors?
— Vous savez que je suis super content d'être ici, je pars en chantant le matin, ma femme n'en revient pas...
— Bon, jusque là, ça va, alors...
— C'est ma femme qui fait bouillir la marmite et ça, je le supporte pas...
— C'est-à-dire?
— Pendant des années, quand j'étais routier, puis dépanneur, je ramenais des bonnes payes à la maison; remarquez, je passais plus de temps dans mon camion qu'à la maison; mais depuis mon accident, et la dépression, maintenant que je n'ai plus que l'allocation d'handicapé, je me sens minable...
— Vous avez le pécule de l'atelier qui se rajoute, c'est pas si mal...
— Oui, mais c'est ma femme qui ramène le plus gros...
— Elle s'en plaint?
— Pas du tout...
— Elle considère sans doute que vous avez largement fait vos preuves; vous avez trimé combien comme routier et dépanneur?
— 27 ans...
— Vous pensez pas que vous pouvez lever un peu le pied?
— C'est que...on n'a rien à nous...on est en location
— Pourquoi vous n'avez rien acheté quand vous aviez de la thune qui rentrait?
— Parce que j'avais besoin de décompresser après des 3 semaines en international, Turquie, même Iran une fois, Pologne...on partait en bringue avec ma femme...on claquait tout...
— Bon, venons en au fait dont vous vouliez me parler...
— Voilà, un copain m'a proposé de bosser avec lui comme commercial
— Dans quoi?
— Les maisons à ossature bois
— Vous avez des compétences la-dedans?
— Non, mais j'apprends vite
— Vous le connaissez comment le bonhomme? Je veux dire, comment vous connaît-il, kui? Il est au courant de vos soucis?
— Ben, pas trop...
— Parce que je ne vais pas vous apprendre que le problème, c'est que quand vous travaillez au Leclerc pour Noël à l'écaillage, ça va pour la période de 3 semaines; mais c'est vous qui m'avez dit la dernière fois: il n'aurait pas fallu que ça dure 2 jours de plus...
— Ben oui
— Qu'est-ce qui se serait passé si ça s'était prolongé?
— Comme dab; j'aurais décompensé, méga dépression, internement, médocs à donf, 6 mois sans sortir...
— C'est à ça que je voulais en venir: vous êtes sûr de ce que ça va donner là? Il y a du monde sur le coup, surtout en ce moment...les maisons, ça n'est pas du petit commerce de détail: il ne s'en vend pas une tous les matins; en plus, si j'ai bien compris, c'est dans l'idée d'accroître vos revenus que vous vous lancez là-dedans, non? Ca va être sur quelle base avec le bonhomme?
— On en a pas trop parlé...
— C'est extraordinaire! Vous ne savez même pas les conditions dans lesquelles il veut vous embaucher; allez, je prends un pari, et on en reparle la prochaine fois: il va vous demander de faire l'avance des frais, déplacements, ta ti ta ta, en vous disant que vous serez remboursé sur la première vente, avec votre commission. Vous lui demandez et on en reparle?
— Oh, il est pas comme ça...
— Demandez, et si possible, un document écrit: mon petit doigt me dit que soit il n'y aura pas de papier, soit l'imprimante sera en panne, soit le stylo n'aura plus d'encre...

Il faut que je tire ça au clair...

— Louisa? C'est Luc...
— Je peux te rappeler? Je suis en entretien...
— No problem

Plus tard

— Luc? De quoi tu voulais me parler?
— De notre routier de choc (en fait, je préfèrerais évoquer ton beau visage, avec ces éclat si particulier de ton regard, qui te donne cette expression des statues grecques aux yeux sertis de pâte de verre; sans parler de ton corps, que je devine admirable)
— Et alors?
— Il t'as pas mis au parfum, toi, son idole, sur ses projets prestigieux?
— Son idole...comme tu y vas...( pourquoi tu me dis ça, toi?)
— Je sais ce que je sais; mais bon, tu sais mieux que moi que c'est un transfert des plus courants, même pas mal...
— Tu parles du projet d'agent immobilier? Oui, il m'en a un peu parlé...
— Ça a grandi dans sa tête, il piaffe...
— Qu'est-ce que tu lui en dis, toi?
— Tu sais, je ne crois pas qu'on puisse le freiner: il est convaincu qu'il va non seulement ramener de l'argent, mais peut-être, à travers ça, offrir une maison à sa famille. La seule chose qu'on puisse faire à mon avis, c'est préparer l 'atterrissage pour qu'il ne se fasse pas trop mal...
— Je pense que tu vois juste...
— Je vais lui faire un contrat de stage en entreprise où il sera détaché de l'atelier, comme ça il continuera à percevoir son pécule, parce qu 'à mon avis il ne va pas voir un fifrelin, et je pourrai toujours le récupérer quand ça prendra fin
— Écoute, je te remercie d'avoir pensé à tout ça (ça m'étonne que ce soit seulement pour Hervé que tu sois si attentionné; à creuser...)
— Tu avais raison, il est attachant: avec ses yeux en boules de loto, c'est un mix entre Jacques Tati et Charles Trenet; et il plane encore plus que les deux ensemble...
— Tiens, mais t'as raison, je me demandais à qui il me faisait penser: à Trenet qui chante Ya d'la joie...
— Allez, à plus, beauté, j'ai du taf, moi: il sont en train de s'étriper à côté
— Tu déconnes...
— Bien sûr; comme dab...

Atelier.

Une après-midi calme, peu de stagiaires. Luc Poumarède bosse sur une réalisation personnelle, comme il en a tout le temps en cours. Selon lui, outre que ça lui permet d'être juste à côté des gars, d'œuvrer en leur compagnie, cela leur ouvre aussi la vision sur les temps normaux d'exécution; même si, comme il le leur explique, le savoir-faire, c'est comme un muscle, non sollicité, il se relâche;
« les petits lapins, leur dit-il, si je devais maintenant gagner à nouveau ma vie avec ma production, je mangerais pas tous les jours; déjà que dans nos métiers il faut un bon rendement pour sortir un petit salaire, parce que les charges sont trop lourdes sur les métiers d'art, nous devrions être subventionnés puisque nous perpétuons un savoir-faire, comme les tapissiers-garnisseurs, les doreurs, les ornemanistes... »
— c'est quoi ornemaniste?
— Ce sont les sculpteurs utiles, Abdel, pas ceux qui font des mémères à gros nichons pour mettre dans les jardins publics, ceux qui font les petits zigouigouis que vous trouvez jolis, là, sur cette chaise, ces petits rubans qui flottent, là, vous voyez. Quelqu'un se souvient du style de la chaise?
— C'est le même style que celles de ma proprio, non, Luc?
— C'est ça Céline, c'est du Louis XVI, celui-là est plus tardif, 1920 je dirais...
— Mais comment vous le savez chef?
— Parce que je suis sorcier, Abdel: quand je regarde un meuble, il me chuchote son nom, son âge, et la couleur de sa culotte...
— Putain, c'est cool...et son numéro de portable aussi?
— Presque; donc là, c'est plus riquiqui que celles que vous aviez peintes, vous vous souvenez? Chaque époque interprète à sa manière les créations des siècles précédents; le vrai Louis XVI utilitaire, de mobilier tel que ces chaises, c'est costaud. Je vous répète toujours que des métiers du bois, l'artisan que j'admire le plus personnellement, c'est le menuisier en siège: il doit combiner la vision dans l'espace du charpentier, la précision des assemblages du charron, l'élégance de l'ébéniste, et avoir en plus l'esprit d'équipe, parce qu'après lui vient le sculpteur, parfois le doreur, et le garnisseur.
— Mais vous faites la sculpture, non, chef?
— A un niveau élémentaire, oui: je refais assez facilement d'après modèle; mais créer des motifs dans la cohérence du style, c'est une autre paire de manches. C'est comme tout, c'est de la pratique incessante; disons que je me dépanne, que c'est regardable, mais ce n'est pas mon point fort.
— Vous nous dites toujours que le savoir-faire démontré dans les chaises paillées en fruitier, vous nous avez dit, cerisier en général, vous tombez à genoux devant...
— Rendez-vous compte que les chaisiers de campagne, c'étaient, dans notre coin, des itinérants, souvent des italiens, je ne sais pas pourquoi; ils allaient de ferme en ferme louer leurs bras, et le soir, à la veillée -eh oui, il y a 100 ans seulement, on n'avait pas l'électricité dans la plupart des fermes, la veillée, c'était à la lampe à pétrole- ils fabriquaient des chaises avec le bois qu'on avait mis de côté, pommier, poirier, alisier, cormier, prunier; ils n'avaient que leurs outils à main, et encore, bien peu, la scie allemande, pour les formes courbes, la scie à tenon, celle avec le cadre, là, qu'on tend avec la ficelle, un rabot, une plane,
— C'est quoi?
— C'est l'outil magique, Abdel, l'outil qui remonte au néolithique, et qui entre des mains expertes fait des merveilles. Il est commun à tous les métiers du bois; regardez, avec ses deux poignées de buis, vous avez un levier formidable, vous pouvez enlever des copeaux énormes, mais vous pouvez aussi affleurer et polir...
— Et pour les trous?
La tarière, ou le vilebrequin: une mèche en cuiller bien affûtée, vous percez les bois les plus durs en quelques instants; vous savez que l'affûtage, c'est mon cheval de bataille: un outil bien affûté fait du bon travail, et presque tout seul
— Vous y allez fort, chef...
— Mais non, regardez mon rabot, je le promène du bout du doigt, regardez, je ne le tiens pas, il m'affleure la surface parfaitement, c'est vrai ou pas?
— Oui, si c'est vous; pourquoi ça marche pas avec nous?
— Et pourquoi j'arrive pas à hacher l'oignon comme un cuistot, en quelques secondes? Parce que c'est du savoir-faire qui se combine à de la virtuosité, voilà pourquoi...
— Et ce que vous faites là, chef, c'est quoi exactement? Vous avez démonté une vieille chaise? Pour quoi faire?
— Pour la brûler, Abdel: mais comme je suis écolo, je ne la brûle pas en vrac comme un gros barbare, je la dépèce, comme font les serial killers, pour me faire le plaisir de la brûler petit bout par petit bout, qu'elle souffre bien...
— Vous me faites marcher...
— Bien sûr qu'il te fait marcher, Abdel; tu crois que s'il voulait vraiment la brûler il se donnerait ce mal? Deux coups de pieds, crac-crac et au feu...Non, c'est une transformation, non?
— Oui, Céline, à partir de cette carcasse, je vais faire une chaise-escabeau. Vous en avez peut-être vu dans des brocantes, un modèle assez commun, très carré, avec une assise en bois, qui devient, quand on bascule le dossier vers l'avant, un bel escabeau à quatre marches? Honnêtement, il est mieux en escabeau qu'en chaise, surtout pour le délicat derrière des jolies dames
— Au contraire, les belles dames l'ont bien rembourré: elles n'ont pas besoin de coussins...
— Toujours est-il que j'ai crée un modèle beaucoup plus harmonieux, tout en courbes, que j'adapte à de carcasses anciennes, parce que je répugne à jeter de vieilles chaises en mauvais état: là, elle reprennent une nouvelle vie, et cela m'enchante. En plus, des carcasses anciennes, j'en ai beaucoup: quand j'étais artisan, je voulais me faire un petit conservatoire personnel de ces témoignages de savoir-faire. Bien sûr à l'époque, je pensais les restaurer...
— Et l'assise, donc, vous allez la pailler, comme d'origine?
— Ces filles, elles voient tout...Non, l'assise sera cannée, parce que c'est moins épais, et plus harmonieux dans l'esprit de ce que je réalise; et le joli derrière des dames s'en trouvera bien aise...
— Donc, vous êtes obligé de mettre la marche sous l'assise en cannage?
— Tout à fait, et on ne la voit que quand on déplie, par l'articulation en compas, et qu'on passe en escabeau...
— En tous cas, ça a de la gueule...

Un peu plus tard

— Luc?
— Oui, Céline (arrête de me parler avec ta voix de petite fille, je vais te prendre dans les bras)
— Vous vous souvenez de ce dont je vous avais parlé, la formation...?
— Oui, pour les chats crevés, les chiens puants, les perroquets obscènes, les serpents cauteleux, et alors?
— J'ai reçu les papelards, je suis prise à l'école...
— C'était pour assistante de service vétérinaire, c'est ça, hein?
— Oui, tout à fait
— Ça commence quand?
— Dans quinze jours
— Écoutez Céline, d'un côté, je suis heureux pour vous, vous allez faire un truc que vous aimez, de l'autre, l'atelier va être bien vide; pour une fois qu'on avait quelque chose de joli à regarder, et avec une jolie voix en plus. Bon, c'est dit, toutes les semaines, un des gars sera obligé de venir en drag-queen; celui qui veut pas, je le gicle
— C'est quoi drag-queen chef?
— C'est les grandes folles, Abdel, t'as vu à la télé, quand même, avec les talons d'un mètre, le fume-cigarette, la perruque, la jupe fendue, tu vois, non?
— Ah ouais...et il va falloir venir comme ça?
— Pas le choix mon pote, tatie Céline veut nous quitter
— Ah ouais, tu t'en vas Céline? C'est pas à cause de nous?
— Mais non Abdel, tu rigoles; c'est pour faire une formation...
— De quoi?
— Pour aider les vétos, tu sais, quand ils ont des bestioles qui sont pas tranquilles, qu'ils puissent bosser peinards...
— Ah ouais, une piquouze, et dodo...
— Non justement, souvent il faut qu'il soient éveillés, donc il faut les rassurer ou les calmer
— Et si ils te mordent?
— Tu sais, ils mordent pas beaucoup, si on leur parle et on les rassure
— Eh ben...tu vas nous manquer
— T'es chou de me dire ça, Abdel
— Ben c'est vrai
— Vous voyez Céline, c'est un avis universel (j'veux pas qu'tu t'en ailles, j'veux pas qu'tu t'en ailles, j'veux pas qu'tu t'en ailles fais gaffe à toi j'vais t'faire mal, t'as peur, tu pleures, eh ben ça m'est égal...ta gueule Jonasz, arrête de me brâmer ta cantilène dans les oreilles, elle s'en va, so what. So what? Ben ça fait chier)
— Je passerai de temps en temps...
— J'espère bien

Eh bien, quelle désaffection progressive; bien sûr, c'est le but même de l'atelier , que les bénéficiaires puissent accéder à un autre chose; mais c'est un petit pincement à chaque fois; dans quelques jours, quand Céline sera partie, il ne restera plus qu'Abdel et Hassan, imperturbables, les vieux fidèles; ah oui, et Jean Tarbet, que l'on ne voit plus déjà depuis quelques jours; il dit qu'il cherche du taf en interim. Je suis passablement sceptique sur le taf qu'il recherche réellement. Nous verrons bien. Hervé vendeur de cabanes déguisées en maison, Antonio galopant dans les bas-fonds de la ville, nuitamment, j'imagine, Paturel jouant les pastoureaux, on va être en tout petit comité, avec les deux compères.
Je crois que je vais en profiter pour poser quelques congés; à mon retour, les demandes afflueront certainement....

— Luc? C'est la compta...t'es au courant pour ton zouave?
— D'abord quel zouave, j'en ai un escadron, ensuite, si tu le vois, dis-lui à propos de la main de ma sœur, qu'il veuille bien la laisser à l'accueil, elle passera la prendre...
— Tu dois t'emmerder quand tu as pas une connerie à dire, hein?
— C'est bien pour ça que je ne reste jamais trop longtemps sans en élaborer...
— En tous cas, les mails que tu nous envoie, on se pisse de rire presque à chaque fois...
— Comment presque? C'est très vexant, ce presque...
— Mais il faut que tu fasses gaffe, les messages sont souvent lus en bas...fais gaffe à ce que tu écris...
— Bon alors, le zouave, qui d'abord?
— Tarbet.
— Il vient plus depuis au moins 10 jours; soi-disant en prospection d'intérim...
— Il se baladait dans l'hébergement avec un pistolet...
— Il a bien raison: comme ça, quand il s'ennuie, il peut dégommer des pigeons...
— Comme tu dis...
(des hordes de pigeons ont envahi les combles de l'hébergement, juste au dessus de la tête des hébergés. Outre le bruit, incessant, l'air est saturé de duvet en suspension; cette situation est manifestement insalubre. Rien n'y fait, ni répulsifs, ni grillage tentant de condamner les trous d'entrée sous les tuiles)
— Bon, et alors?
— Et alors, le président l'a mis à pied pour le week-end, et lui, il en a profité pour se fritter dans une boîte de nuit, les flics sont venus, il s'est fait embarquer avec son artillerie...
— C'est le plus étonnant: il devait avoir un coup dans l'aile, parce que sinon ça aurait tourné au grabuge
— Comparution immédiate, inculpation de port d'arme sans permis, on ne sait pas si sa probation saute ou pas...
— Bon, eh bien ça conforte ma décision de prendre quelques congés: il ne va pas revenir demain
— Ça, il n'y a pas de doute...

Atelier.

— Bon, ben, les gars, tout le monde nous quitte, on est sur le Titanic là: ça reste rien ki li vio fidel, msiou Hassan et msiou Abdel; vous savez que tonton Luc va prendre quelques jours de congé...
— Et nous, qu'est-ce qu'on devient?
— Voilà bien l'ingratitude des enfants: vous leur donnez la main, ils vous coupent le bras; eh bien, regardez comme je suis sadique et comme je ricane avec joie: vous allez faire sans moi. Msiou Abdel, maintenant qu'il s'est entraîné, qu'il a récupéré son permis, et tout et tout, il va pouvoir faire des expéditions jusqu'au Leader Price de l'autre côté de la téci. Msiou Hassan, tout requinqué de sa liberté toute neuve, va pouvoir travailler chez lui à mille petites merveilles qui agrémenteront son quotidien: je crois qu'avec tous les petits objets dont je vous ai montré qu'on pouvait les réaliser avec pratiquement rien, vous aurez de quoi faire...
— Par contre, ce qui fait chier, c'est les pécules...
— Ben comment donc...monsieur mène une vie de grand seigneur, et dilapide son traitement d'ambassadeur dans des bouges interlopes avec des femmes de mauvaise vie...
— C'est quoi il a dit le chef, Hassan?
— Que je gaspillais le pécule en boîte avec des putes...
— Et c'est vrai que tu fais ça?
— Bien sûr, t'as pas vu ma Ferrari dehors? C'est vrai que l'argent me tient pas aux doigts...
— Si, d'une certaine façon: regardez, vous avez pu vous offrir ce joli buffet en noyer que vous avez restauré vous même: plaignez vous, payé pour travailler sur un meuble que vous avez pu acquérir grâce à la formule spécial Luc: jti priliv à la source, kom ça ti li sen pas..
— J'ai rien capté...
— Je fais allusion, Abdel, au système que j'ai mis en place pour vous aussi, dans lequel vous remboursez à l'atelier le prix du bois en percevant moins de pécule chaque semaine...
— Ça, le pécule chaque semaine, c'est trop cool...
— C'est ma sainteté qui l'a mis en place: même si vous ne le soupçonneriez pas un instant, à voir le luxe tapageur que j'exhibe -ça veut dire quoi ce que je dis Abdel-?
— Que vous faites l'exhibitionnisme? Ça m'étonne de vous...
— Mais non, il dit qu'il est pété de thunes...
— C'est vrai, chef? J'aurais pas cru...Déjà votre Micra...
— Qu'est-ce qui va pas avec ma Micra? Ti cherch la merde, toi?Bon, on était sur le pécule, je l'ai mis hebdo parce que je me souviens du temps où c'était si long d'attendre la fin du mois...maintenant, vous mettriez un peu de côté, vous auriez 'al flouss pour les périodes de fermeture. Car il ne vous aura pas échappé que ma sainteté est irremplaçable, et que quand je fairrre vacances, atelier ferrrmé (accent prétendument roumain. Ou slave)
— De toutes façons, ça serait quelqu'un d'autre, moins j'oserais pas venir...
— Qu'il est mignon ce petit Abdel...et si c'était une jolie fifille, qui vous téléphone le matin en vous disant « Abdel, j'aimerais bien que tu viennes à l'atelier, je t'attends, » ça ferait comme dans celle de Brel qui vous plaît bien, vous savez, « va zy va Gaston, même si elle te raconte que sa mère est gentille », quand elle lui dit …
— Abdel? (Hassan prend l'intonation de la femme de la chanson)
— Ah ouais, c'est sûr...
— Bon, donc, puisqu'il faut penser à tout à votre place, j'ai fait mettre de côté par la compta 10% de vos gains depuis le début pour que vous ne soyez pas sans rien quand la bise sera venue: pas un seul petit morceau de mouche ou de vermisseau...
— Ça va pas non, chef? Moi je mange pas ces trucs...
— La chochotte...Bon, demain, on se fait une bouffe au chinois de la route de Pastel, aux frais de l'atelier: je vais prévenir les autres...
Waow, trop cool...

Plus tard

— Louisa? C'est le père Luc...(ça passe où ça casse; ou elle embraye direct, ou je l'oublie)
— Oh mon père, vous tombez bien, j'ai une furieuse envie de me confesser (eh ben, c'est pas trop tôt, pépé se décide; je me demandais s'il fallait que je l'assiège)
— Vous savez que cela peut prêter à confusion, ma chère fille, dans une lecture lacanienne et contrepétante...(deuxième test; ou tu suis, ou adieu zizi)
— Fesser le con? Vous êtes un pervers, l'abbé, je vais vous dénoncer: qui sait ce que vous avez sous la soutane...
— Vous savez, pour des pénitentes telles que vous, je peux être très compréhensif; que diriez vous si je vous entendais en confession dans la petite chapelle de la place Royale?
— Celle avec la musique latino et les margaritas?
— Celle-là même: je suis sûr que les margaritas disposeront favorablement votre âme au repentir...
— Mais vous savez, ce brouhaha m'incommode fort pour une telle confession; j'ai de très longs péchés à vous confesser...
— C'est pourquoi j'ai réservé une petite cellule dans le couvent attenant
— Le Crown Plaza?
— Celui-là même: il est d'une austérité parfaite et nous n'y serons pas dérangés...
— Mon père...vous jouez au loto?
— Non ma fille, je pille les troncs et je rançonne les scouts: il faut bien pallier la baisse du denier du culte
— Je souscris entièrement à l'affectation de ces saintes oboles; vous ne pouvez savoir à quel point il me tarde d'être confessée par vous...c'est pour quand?
— Demain soir, ma fille: je confesse terriblement, en ce moment: les gens veulent partir en vacances confessés de frais
— Gardez moi un peu d'absolution, mon père...
— N'ayez crainte, mon enfant...

Alors là, je n'en reviens pas. Je partais en déconnade, bon, un peu orientée, et la miss m'enchaîne pire que Jacky Chan. Putain, j'ai des petites remises à niveau à faire, moi. Bon, ben il ne me reste qu'à m'inventer un concert sur Bartaban pour demain, qui me bloque. Je vais mettre Nico dans le coup, comme point d'hébergement plausible.

Le lendemain. Le chinois, buffet grandiloquent, mais maison. Luc connait les lieux, pas suicidaire, tout est frais, il est copain avec le fils du patron. C'est vraiment des cuistos.

— Alors Hervé, comment ça a démarré?
— Super, j'ai mon bureau...
— Oui, j'imagine que vous ne téléphonez pas dans la rue; avec un ordi?
— Oui; le seul problème, c'est que je ne m'en suis jamais servi...
— Il va falloir speeder, garçon, avant que le mec s'en aperçoive...
— Ma femme a commencé à me montrer...
— Bon, de toutes façons, c'est surtout internet qui va vous servir, et vous allez voir, dès que vous aurez compris comment on va sur les sites de cul, ça ira tout seul...
— Ma femme, ça m'étonnerait qu'elle me montre ça...
— Vous n'aurez pas besoin d'elle, vaï. Il vous a signé le contrat? Déjà, il vous l'a fait lire?
— Ben...il l'avait oublié...mais j'ai confiance...
— C'est beau, Hervé, c'est beau
— Tu vas te faire mettre, Hervé...
— Pourquoi tu dis ça, Hassan? Tu le connais pas , le mec...
— Parce que ça prend une tournure qui sent pas bon; mais bon, vis ta vie, monsieur l'aventurier...
— Ben moi, je vois que je vais avoir une maison...
— Comme cadeau de bienvenue? Il est cool ton patron...
— Non, mais avec mes commissions, ça va pouvoir se faire...
— Tu verras bien...
— Luc (petite voix de Céline)
— Oui, Céline...
— Je peux passer à l'atelier cet aprem? J'ai oublié mon pinceau perso, vous savez celui en poil de martre?
— Oh, moi qui comptais le garder en souvenir..
— C'est vrai? Alors...
— Je plaisante, princesse, pas de problème, j'y serai...
— Je peux peut-être venir avec vous, non?
— Que vont penser mes électeurs? Notrrre député s'affiche avec des jeunesses? Il ne voit pas qu'il est dégarrrni? Il va encorrre nous dilapider des forrrtunes...
— Je me ferai toute petite...
— De mieux en mieux...pour qu'on croie que vous me faites une petite gâterie dans la voiture...et quoi encore?
— Arrêtez de me faire rire, j'ai mal aux côtes...
— Aux côtelettes dans votre cas, Céline. Les côtes, c'est pour les rondelettes

Retour à l'atelier. Les gars ont fini leur semaine. Ils sont rentrés directement chez eux.

— Ben, vraiment, je voulais vous remercier pour tout...
— De faire mon boulot? Vous êtes mignonnette; je vais aller remercier le facteur de me distribuer le courrier, la caissière de me faire le ticket de caisse...
— Je veux dire, vous faites plein de choses que vous n'êtes pas obligé...
— Oui, mais comme il y en a plein que je voudrais faire et que je fais pas, ça compense...
— L'autre jour, j'ai eu l'impression que vous saviez des choses sur moi et ça m'a énervé...
— Qu'est-ce que vous voulez que je sache d'autre que ce que vous me dites et ce que je ressens? Vous connaissez le mot empathie? C'est un mot d'éduc et de pros du social en général; je lui préfère d'ailleurs sympathie, parce qu'étymologiquement il veut dire souffrir avec; mais c'est un mot dont le sens s'est affadi...Ça ne s'explique pas, Céline, cette force que vous avez, cette mansuétude vis-à-vis des autres, cette attitude tellement maternelle...(elle éclate en sanglots)
— Maternelle, non, non, je peux pas l'être...
— Pourquoi, petite? (il l'entoure de ses bras; elle est comme un moineau minuscule, perdu et niché dans ses bras musculeux d'homme qui travaille de ses mains; elle a sa tête sur sa poitrine, et ses larmes coulent en torrent; il se balance, juif à la synagogue, et d'ailleurs, sans se rendre compte, il chantonne en hébreu, un des chants du seder Pessah, Ehad ani yodea, je sais bien ce qui est Un. C'est très doux et paisible, et ses larmes coulent sans discontinuer. De temps en temps, il la serre un peu plus fort sur son torse d'ours, comme son grand-père le faisait avec lui quand il avait un gros chagrin. Petit à petit, les sanglots se ralentissent, jusqu'à ne plus être que des hoquets par intermittence. Puis puis rien, elle respire doucement. Au bout d'un long moment, il relâche doucement son étreinte)
— J'étais tellement bien...Je ne me souvenais plus de ça...
— Vous l'avez connue, cette sensation?
— Oui, quand j'étais toute petite...
— Alors, qu'est-ce qui a provoqué ce terrible chagrin? Ne m'en parlez que si cela vous fait du bien...
— Je ne pourrais pas avoir d'enfants, même si j'en voulais...
— Ou on en veut, ou pas, Céline, je ne comprends pas...
— Des fois, je me dis que si je rencontrais quelqu'un qui...
— Qui vous câline comme je l'ai fait? Mais ça, ça n'est pas un compagnon, Céline, c'est un papa...
— Après ce qui m'est arrivé, vers 16 ans, j'ai fugué et je me suis retrouvée dans dans la rue. Une nuit, j'ai été chopée par une bande. Ils me sont tous passés dessus. Et je me suis retrouvée enceinte. Je ne m'en suis aperçue que très tard, j'ai décidé d'avorter, et le seul endroit que j'ai trouvé était en Espagne. Ils m'ont charcuté comme vous pouvez pas imaginer. C'était dans un ancien couvent transformé en clinique. Je crois que les infirmières, c'étaient d'anciennes bonnes sœurs. Elles trouvaient bien que je souffre, elle me disaient « asi entenderas », comme ça tu vas comprendre. De retour, je ne comprenais pas, j'avais des hémorragies continuelles. J'ai été me faire examiner. Utérus gravement lésé. Trompes pareil. Plus d'enfants possibles. Jamais.
— Ma petite...(Il l'étreint quelques secondes)
— Voilà...je peux être une tatie...je peux m'occuper des animaux...mais c'est tout...
— Vous pourriez adopter; mais il faut être à deux...
— Vous savez, je n'ai pas la haine des mecs, mais je m'en méfie; il faudrait que je sois sûre...
— Déjà, il faudrait admettre que c'est peut-être possible. Et puis, il n'y a pas que les mecs...
— Vous voulez dire une femme? Ça choquerait trop ma mère...
— Donc vous y avez pensé; pourquoi ça la choquerait?
— Je ne sais pas; je le sens...elle est très classique, vous savez...
— Qu'est-ce qui vous empêche d'essayer de la sonder un peu plus? Qui plus est, c'est vous qu'elle aime, pas les convenances, non?
— Ma foi, je vais y réfléchir...

Atelier.

Qu'est ce que j'ai encore été lui raconter là? Pas pro, mon ptit bonhomme, ton truc, câlinage d'une usagère, suggestion de relations saphiques, avec éventualité d'adoption si faire se pouvait, et quoi encore, pépère? Tu aurais sorti des trouvailles de ce genre sur ton étude de cas à l'examen, même en te réclamant de l'antipsychiatrie, de Tosquelles et de Deligny, dans la doxa actuelle, ce genre de petites fantaisies n'auraient vraisemblablement pas plu. Alors que quand même, le contenu, est-ce qu'il était si important dans ce cas-là? Est-ce que cette môme écorchée a bu comme paroles d'évangile les pauvres mots que je lui servais? Y-a-t-il un risque qu'elle m'attaque devant une juridiction quelconque pour faux espoirs, incitation à des relations homosexuelles, tentative de déstabilisation d'une relation maternelle, et je ne sais quoi d'autre? Évidemment non, elle a pris mon verbiage comme cela devait être, comme une communication non-verbale, dans laquelle j'aurais pu parler en n'importe quoi -tiens, j'aurais dû faire la mama africaine, bien sûr auraient manqués les gros nénés pour s'y musser, « alo' mon petit oisillon, qu'est-ce que c'est qui ne va pas? 'aconte à ta maman noi'e » c'est le ton et le débit du langage qui importait, comme quand on parle à un cheval effrayé pour le calmer, qu'importe ce qu'on lui dit il ne s'offusquera pas des pires obscénités tu veux une bonne saillie mon pépère là je n'ai rien sous la main attends que j'aille chercher ce qu'il te faut.
Elle va me manquer la pitchounette, ça, c'est certain. Ce côté pudique et réservé qu'elle a, malgré sa négation et son mépris de son corps, cette finesse diaphane de son beau visage. Son corps importe peu, il n'existe que pour porter son souffle, il confine à l'immatérialité, mince enveloppe de chair sous laquelle transparait déjà l'ossature. Pour l'instant, ça va encore, proche de l'oiseau, toute la structure interne rendue visible, côtes, bassin -ces hanches de petite fille, combien émouvantes, sans le galbe que les amas graisseux y déposent, avec plus ou moins de bonheur dans la sédimentation que les alimentations des homos sapiens à congélateurs et graisses nobles à profusion amène-, hanches sèches, pas vraiment de petit garçon, la courbure est là, la largeur pour le passage du têtard est bien présente, mais ne portant que le strict poids de muscles nécessaires pour mouvoir cette combinaison si légère. Rapport optimal d'ailleurs, quintessence de la résistance jointe à la force sans aucun poids parasite: et de fait, ce colibri délicat soulève des charges étonnantes avec une désinvolture détachée, et se montre surprise que le sanglier Delbosc, pachyderme puissant mais fatigable, souffle comme un hippopotame à monter l'échelle avec son camion, alors qu'elle monte et descend la sienne avec la grâce des entités qui la parcouraient dans le rêve de notre seigneur Iaakov, béni soit-il.

― Que tal, guapetona?(quoi de neuf, mignonnette?) Luc, quoique laïc, ramène toujours de beaux objets d'artisanat local de ses périples, comme les Pères Blancs; en l'occurrence, d'une virée sudaméricaine, une compagne
― Nada, porque me llamas? T'ha pasa'o algo?(rien, pourquoi tu appelles? Un problème?)
― Es que hay un encuentro de musicos a noche aqui en Bartaban...(il y a une rencontre de musicos ici à Bartaban...)
― Pero no tienes tu guitarra, quieres que te la traiga? (mais tu as pas ta guitare, tu veux que je te l'amène?)
― Que va , Drazen me va prestar una de la suyas (Non non, Drazen va me prêter une des siennes)
― Y que tipo de musica vais hacer?(et vous allez jouer quel style?)
― Cosas que no te gustan, sabes, folk y algo de manouche (Des trucs que t'aime pas, du folk et du gypsie)
― Pues...si que me gusta, porque dices esto? (mais...bien sûr que ça me plaît, pourquoi tu dis ça?)
― Porque estoy seguro que en este caso no te va gustar (parce que je suis sûr que ce coup-ci ça ne te plaira pas)
― Pero hace tanto tiento que no te he oido tocar con otros (mais ça fait tellement longtemps que je t'ai pas entendu jouer avec d'autres)
― No sé que decirte; ami me parece que te vas aburrir (je sais pas quoi te dire; il me semble que tu vas te faire chier)
― Mira majo, a mi me parece que no deseas que sea yo presente; tu te accuerdas de que se pilla al mentidoso antes del cojo? (tu sais mon mignon, il me semble à moi que tu ne tiens pas à ce que j'y sois; tu te souviens qu'on attrape le menteur plus vite que le boiteux?)
― Como andas! Que te vas imaginar? (Comme tu y vas! Qu'est ce que tu t'imagines?)
― Me da de lado, guapo. Que t'entretenges...Y me imagino que igual no entraras (ça m'est égal, mon joli; amuse-toi bien...et je suppose que tu vas pas rentrer?)
― No sé, depende de cuando terminara (Je sais pas, ça dépend de quand ça finit)
― En tal caso, donde vas a dormir? (dans ce cas, tu dors où?)
― Donde Nico (chez Nico)
― Vale; que aprobeches (bien; amuse-toi bien)

Ouhlala, ça sent pas bon, tout ça... Je suis d'une nullité pour monter une histoire plausible...Bon, en plus, il faut que j'appelle Nico, qu'au moins il soit au courant...

― Nico? Salut, c'est Luc, bon, tu ne le sais pas, et même tu ne vas pas t'en rendre compte, mais je dors chez toi ce soir...
― Ah ouais? Tu vas avoir du mal, on part pour Saint-Lary là, dans 1 heure...C'est quoi cette embrouille?
― Ben...j'ai un rendez-vous avec une...
― Ah ah ah, sacré Luc, tu vas batifoler, monsieur l'éducateur...
― Je vois pas le rapport...
― Je la connais?
― Hum...oui, mais je vais pas te dire...
― T'as peur que je te la pique?
― Arrête tes conneries, je veux juste que ça s'ébruite pas...
― Avec moi, tu risques rien...
― J'en sais rien; bon, on verra; pour l'instant, j'ai rien envie de dire...
― Bon; en tout cas, pour le dodo chez Nico, c'est cuit...
― J'inventerai autre chose...
― Dis-donc, mec; moi qui te voyais tellement clean, tellement fusionnel avec ta chérie aussi...
― Arrête de me gonfler, j'ai déjà des remords...
― Ah ah ah, non seulement il trompe sa chérie, mais en plus il va pas en profiter...
― Arrête de me faire chier...