Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
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Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
- Spoiler:
- Début d'une histoire, qui je suppose a de nombreux défauts que je n'ai pas vu =D et puisque je n'ai pas posté depuis longtemps, j'ose le faire !
Pétales de roses blanches ou de lilas, la neige tombait sur la ville de Chambéry. Immenses silhouettes, les hautes tours de la cité semblaient dicter leurs lois. Autoritaires, elles surplombaient les rues, les courts et les parcs, mais la neige sans crainte recouvrait leurs toits, leurs balcons et leurs terrasses.
J'avais douze ans. J'étais là, seul, à une fenêtre à regarder le temps passer. J'observais la puissance de la pierre ployer sous la tendresse, la noirceur du béton austère disparaître sous de candides flocons blancs, et comme si rudesse n'était plus, le silence détrônait le bruit des moteurs, des cris violents et de la folie urbaine.
Parfois dans nos jeux, nous étions des dieux bienfaisants. Je jouais la sagesse, et lui le protecteur. Alors j'eus droit moi aussi à mes rêves de grandeur. Je m'imaginais écrivain, poète peut-être, musicien, oui, pianiste, et philosophe, penseur, précurseur. C'était sans doute le froid, puisque j'avais le nez collé à la vitre. Un regard sur la droite m'indiqua qu'il était trois heures du matin.
« Tu vois, lui lançais-je, on va la réussir cette fichue nuit blanche ! »
Je soupirai et me tournai vers le lit. Mes parents eux ronflaient amoureusement en cadence, mais dos à dos. Ils n'étaient pas moches. Innocents mais pas dupes. Innocents parce qu'ils croyaient que je dormais. Pas dupes parce qu'ils allaient voir mes yeux demain matin, enfin plutôt ce matin, dans quelques heures quoi.
Et ce fut le cas.
« T'as passé la nuit à bouquiner c'est ça, vociféra ma mère ? »
Pas tellement non, j'avais encore besoin de lumière pour lire. Mais je me suis contenté de baisser les yeux, parce que je ne savais faire que ça.
C'était le dernier jour des vacances et ma mère se battait avec la valise pour tout y caser, tandis que mon père geignait dans son lit, pas encore remis de l'alcool de la veille.
Grâce à ma paresse, je pu l'aider, ma mère, pas mon père, en m'asseyant sur la valise. Un bref « merci » et elle commença à arranger la chambre, vérifier si tout était en ordre et faire sortir l'ours de sa tanière.
Dans certaines familles règne un équilibre dans les tâches de chacun. Pas dans la mienne. Ainsi, bien que ma mère se soit occupée d'organiser nos vacances, de préparer les repas pendant tout notre séjour et de s'occuper des bagages, ce fut aussi à elle de conduire le vieux Scénic sur le trajet du retour.
Par chance les routes n'étaient pas verglacées, la neige avait cédé sa place à la pluie et au vent qui frappaient sans aucune pitié l'innocent pare-brise, et pas pare-bourrasque. Les essuies-glaces malmenés par des hordes de gouttes d'eau crissaient sur le verre, la force de la nature face à la faiblesse de l'ingéniosité humaine. Et je regardais la route, la route brillante, sous les feux des antibrouillards, défilait, filait, se sauvait alors que c'était moi qui partais.
« Tu ne dis rien, me demanda ma mère ?
Je pense, lui répondis-je. »
Elle rit, passa sa main droite dans l'habitacle et me caressa le genou sans me regarder.
« Papa dort, c'est l'occasion de parler, décida-t-elle, à quoi tu penses ?
Je pense aux vacances, expliquai-je, ce qui n'était pas tout-à-fait vrai, je pensais à lui, à son sang sur mes genoux. »
Je la vis sourire de le rétroviseur. Bien que fatigantes, ces vacances étaient une coupure pour elle. Elle s'était donnée tant de mal qu'il m'était impossible de lui avouer que je n'avais pas tout apprécié. C'est ainsi qu'à coup de mensonges, d'amour et de rires tantôt forcés tantôt spontanés nous retournâmes sur les sols plats de la Champagne-Ardennes
Une nuit blanche, une journée de voiture et pourtant, ce soir-là, impossible de trouver le sommeil. Mes sens étaient alertes, je me perdais dans un océan de pensées folles qui tourbillonnaient et martelaient mon crâne. Je pensais à lui et à la pensée. La pensée, l'infinité de la pensée, l'infiniment grand face à l'infime condition humaine. L'infinité du rêve toisant l'effectivement faisable, je lui faisais un pied-de-nez, je poussais les limites de ma méditation passive jusqu'à ce que toute once de sommeil eusse disparu. Mon cœur battait la cadence extravagante sur laquelle défilaient ma réflexion comme le faisaient les heures sur mon réveil-matin. Dans cette grande fanfare s'ajoutaient non sans joie les trompettes de ces bruits qui d'habitude nous gênent, qu'animaient en éclairs blancs les cymbales d'un ciel en vérité silencieux et sans nuage. J'hurlai à mon cerveau de cesser ce vacarme, tout son boucan, son tintamarre d'idées insensées qu'une forme intellectuelle maintenait en éveil.
Après avoir bataillé vainement pendant plusieurs heures je laissai mes yeux s'ouvrir et constatai à quel point rien dans l'obscurité de la nuit n'avait changé. Les mêmes rayons de lumière blanche éclairaient la même chambre, les mêmes meubles, les mêmes objets et ce même moi. Les livres que mes mains peu soigneuses avaient éparpillés souriaient au sol et de leur voix faible me poussaient à l'insomnie. La silhouette haute et fière de ma lampe de chevet, de sa démagogie faussement sage, m'attirait hors mon lit et je fus prêt à céder.
Si un bruit de verre brisé n'avait pas soudain arrêté mon geste.
Quelle surprise ! Quelqu'un d'autre était réveillé ? Un cambrioleur peut-être ! Ou bien sans doute le verre était tombé tout seul... Cependant, le bruit d'un placard qu'on ouvre et d'une pelle en plastique qui racle le sol m'ôta les deux dernières hypothèses. Je m'assis, un peu étourdi, mais prêt à braver tous les dangers pour découvrir la source de ces bruits.
Ma mère était là, les cheveux en pagaille, en chemise de nuit. Face à l'évier, elle astiquait la vaisselle avec violence, la lançant presque sur l'égouttoir. Plusieurs portes de placards étaient ouvertes, sur le sol gisaient encore quelques bouts de verre, sur le plan de travail, des casseroles mal rangées, des assiettes mal séchées gouttaient, gouttaient en une petite flaque d'eau brillante.
J'étais étonné de la voir encore éveillée. Ce n'était pas dans ses habitudes. Étonné, mais rassuré. Je n'étais pas seul.
« Maman, s'enquis-je timidement ?
Je n'étais pas encore descendu des escaliers, j'espérais trouver en elle un peu de réconfort, quelques mots doux. Ces mots doux et magiques qui éveilleraient mes rêves tandis que s'assoupiraient le volcan sans lave de mon trop-plein prêt à exploser.
« Encore là toi, s'énerva-t-elle ! Retourne immédiatement de coucher ! Immédiatement, répéta-t-elle ! »
Je bouillonnais d'une profonde frustration et pour la contenir je hurlai un bref « j'en ai marre », j'ouvris la porte d'entrée et sans comprendre comment, je me retrouvais en train de courir dans la rue, sans pleurer.
Sans pleurer parce que l'air était doux, il ne faisait pas froid. Il n'y avait ni lune, ni étoile, seuls des nuages rosés par les lumières de la ville. Le vent était humide, chargé de chagrin, mais étrangement ce n'était pas le mien.
Après quelques rues, je m'assis sur le goudron obscur. Je n'avais pas peur, car il était partout, j'avais oublié son sang sur mes genoux. Je m'allongeai, je m'endormis.
Je ressentais une caresse, un frisson. Le sol était froid, mais la lumière câline m'enveloppait de bonté et de chaleur.
« Allez, lève-toi, semblait-elle me dire. »
Je m'étirai, j'avais mal au dos. Et les yeux embrumés, je découvrit la vie sous un ciel-plafond d'un bleu éclatant, et l'horizon comme mur sans béton. Je devins fou de ces odeurs qu'apportait la rosée de ce matin d'hiver, je le voyais partout, il souriait, moi aussi, j'étais bête et heureux, c'est tellement agréable parfois.
J'étais en retard, les cours reprenaient ce jour-là. D'un pas léger je retournai chez moi.
Le temps habitait sur la façade de ma maison et se perdait en lézardes grises. À l'abandon, comme l'était ma mère, la ferraille du portail perdait son noir pour laisser place à des rougeurs vétus de poussières et d'anciennes blessures. La porte d'entrée était restée ouverte, telle un sombre gouffre dans mon monde merveilleux. Je pris une profonde respiration, poussai doucement le portail et
m'engouffrai dans cette grotte terrifiante.
Un étrange sentiment envahit mes poumons, une senteur sans odeur, une lourdeur pesait sur mes épaules alors, j'appelai :
« Maman ? »
Je recommençai, plus fort. Puis dans toutes les pièces, enfin presque. Rien. Était-elle partie ? Sa voiture n'avait pas bougé. Sans doute me savait-elle dans le quartier, alors il était plus sensé de me chercher à pied. Oui, elle me cherchait, et moi aussi. Quelle drôle d'histoire. J'étais en retard, je n'aimais pas ça, mais il restait une pièce dans laquelle je n'avais pas cherché. Je n'aimais pas cette pièce, on y voyait la charpente pas encore finie d'être isolée, on n'y vivait pas, elle ne servait que pour le rangement. Mais je n'étais plus à ça près. C'était donc par curiosité que je montais les escaliers. Plus je montais, plus je me sentais lourd, très lourd. J'entendais des bruits, j'étais pris de vertiges mais je mettais ça sur le compte de la peur, et c'était vrai, j'avais peur.
Il y avait une silhouette, qui flottait à contre jour à quelques centimètres du sol. Je retins un hurlement, un fantôme ? Ses mains pendaient le long de son corps, il semblait vêtu d'un drap, mais en observant mieux, j'y vu des cheveux. Des cheveux qui descendaient le long d'un visage qui ne me regardait pas, qui vixait le sol. Je tremblais, j'avais la trouille de bouger. J'étais en retard, mais il fallait que je sache. Je m'approchai. Plus près, encore plus près, le fantôme ne faisait pas un mouvement, il ne remarquait pas ma présence. Pas un bruit, le sol n'osait pas craquer, même si j'étais lourd, vraiment très lourd.
C'était ma mère.
J'étais en retard.
Il fallait que j'aille en cours
Alors je parti en courant. J'empoignai mon sac et je ne pensais plus, ou si, je pensais trop, ou non, je ne sais pas. Je pris le chemin du collège.
Phoenamandre- Nombre de messages : 2423
Age : 33
Date d'inscription : 08/03/2009
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Alors là, je suis emballée, complètement.
J'adore ce texte et son mystère, le danger à chaque ligne, atténué par une certaine douceur, une mélancolie lucide.
Je ne sais pas si tu as lu mon début "parentèle", mais je retrouve des lignes parallèles.
J'ai commencé à lire un livre récent qui s'appelle Vie animale (Justin Torres, chez Verticales), sur l'enfance, les parents pas du tout rassurants, je te le conseille.
En tout cas, chapeau (malgré des maladresses, presque sans importance mais qu'il faut corriger, je laisse le soin à nos précieux pros !)
Et la fin, super aussi : on a des parents inquiétants, un fantôme dans la maison, mais faut aller au collège.
À continuer absolument.
J'adore ce texte et son mystère, le danger à chaque ligne, atténué par une certaine douceur, une mélancolie lucide.
Je ne sais pas si tu as lu mon début "parentèle", mais je retrouve des lignes parallèles.
J'ai commencé à lire un livre récent qui s'appelle Vie animale (Justin Torres, chez Verticales), sur l'enfance, les parents pas du tout rassurants, je te le conseille.
En tout cas, chapeau (malgré des maladresses, presque sans importance mais qu'il faut corriger, je laisse le soin à nos précieux pros !)
Et la fin, super aussi : on a des parents inquiétants, un fantôme dans la maison, mais faut aller au collège.
À continuer absolument.
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Fluidité.
Tout ça est posé, maîtrisé, et avance, se défait comme une pelote dont le fil ne s'emmêlerait nulle part.
Je n'ai pas tout saisi, mais j'ai apprécié la fluidité du récit.
Ubik.
Je n'ai pas tout saisi, mais j'ai apprécié la fluidité du récit.
Ubik.
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Bonsoir,
Pas trop fan ... il y a toujours des patrofanes, il faut s'en convaincre ...
Amicalement,
midnightrambler
Pas trop fan ... il y a toujours des patrofanes, il faut s'en convaincre ...
Amicalement,
midnightrambler
midnightrambler- Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
vous prenez soin de vos lecteurs, les prenant par la main. c'est gentil.
hi wen- Nombre de messages : 899
Age : 27
Date d'inscription : 07/01/2011
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Je ne me suis pas du tout sentie prise par la main mais plutôt par les tripes !
J'ai adoré ce texte, Phoenamandre, adoré ! Alors que les trois premières phrases, qui toutes commencent par une apposition, m'avaient fait froncer le nez, j'ai vite balayé toute réticence et me suis laissée empoigner par ce dosage parfait de mystère ( le sang sur les genoux.. de qui ce sang ?) de descriptions dans le mouvement de l'histoire, de sentiments ambivalents, de... je ne sais quoi, mais un cocktail vraiment détonnant !
Je suppose que ce n'est pas un texte isolé, mais pris dans un ensemble plus vaste, je me trompe ?
En tout cas, chapeau !!!
J'ai adoré ce texte, Phoenamandre, adoré ! Alors que les trois premières phrases, qui toutes commencent par une apposition, m'avaient fait froncer le nez, j'ai vite balayé toute réticence et me suis laissée empoigner par ce dosage parfait de mystère ( le sang sur les genoux.. de qui ce sang ?) de descriptions dans le mouvement de l'histoire, de sentiments ambivalents, de... je ne sais quoi, mais un cocktail vraiment détonnant !
Je suppose que ce n'est pas un texte isolé, mais pris dans un ensemble plus vaste, je me trompe ?
En tout cas, chapeau !!!
Invité- Invité
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Juste le titre qui ne m'avait pas accrochée plus que ça... et dont je ne trouve pas dans le texte la justification ( ce qui m'incite encore plus à penser qu'il y aura une suite, chouette !)
Invité- Invité
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
"Pétales de roses blanches ou de lilas, la neige tombait sur la ville de Chambéry. Immenses silhouettes, les hautes tours de la cité semblaient dicter leurs lois."
L'accroche est difficile, comme le remarquait Coline. C'est toujours risqué de commencer par qualifier par analogie la chose que tu nous représentes, étant donné qu'on ne la connait pas encore -tu ne l'as pas encore annoncée. Mieux vaut l'apercevoir d'abord et ensuite la décrire par une comparaison, en tout cas en amorce de récit.
"la neige sans crainte"
Je ne suis pas forcément fan de cette personnification.
"Pas dupes parce qu'ils allaient voir mes yeux demain matin, enfin plutôt ce matin, dans quelques heures quoi."
Une rupture syntaxique gênante.
"je puS"
"Dans certaines familles règne un équilibre dans les tâches de chacun. Pas dans la mienne."
J'aime cette implication du lecteur qui marche très bien : réflexion généralisante puis phrase courte, sèche, percutante.
"et pas pare-bourrasque"
Humour un peu facile, peut-être, pour être vraiment efficace. C'est étrange mais intéressant dans le contexte de ce texte-ci. On sent un narrateur plutôt triste, mélancolique, mature, et l'on dirait qu'il essaie par cette réflexion de se redonner un sourire ; seulement, lui seul l'aura.
"faiblesse de l'ingéniosité humaine"
De même, moralisation un peu facile et clichée, dommage.
"Et je regardais la route, la route brillante, sous les feux des antibrouillards, défilait, filait, se sauvait alors que c'était moi qui partais."
Tu voulais mettre "défilait, se sauvait, filait" à l'infinitif, non ? Mets au troisième groupe : je regardais la route mordre....etc. Sans doute une erreur d'inattention. Sinon, la phrase, surtout au niveau du rythme, mais aussi au niveau de l'évocation, est particulièrement excellente. Il y a un mouvement, un souffle. Tu prends de l'ampleur dans ta narration, de l'élan.
"La pensée, l'infinité de la pensée, l'infiniment grand face à l'infime condition humaine."
Idem, côté philosophie de comptoir qui me repousse un peu. C'est peut-être l'adjectif "infirme" qui apporte l'exagération à l'origine du cliché.
"L'infinité du rêve toisant l'effectivement faisable"
Superbe.
La première partie du troisième paragraphe a été plus laborieuse à écrire, non ? Elle paraît en dessous du niveau du reste du texte. Plus d'adjectifs, d'énumérations qui alourdissent ta prose et apportent une confusion regrettée.
"Quelle surprise ! Quelqu'un d'autre était réveillé ? Un cambrioleur peut-être !"
Non. Là, ça ne marche pas. L'interrogation sonne faux, on n'y croit pas.
"Quelle drôle d'histoire." -> idem
Le début du texte me semble meilleur, dans l'ensemble. Tu maîtrises moins, ensuite. Mais il y a des idées que j'ai envie de suivre, de bonnes choses vraiment. Je lirai la suite. J'aime le regard du narrateur qu'on perçoit sur son "soi" plus jeune dans la première partie du texte, le mouvement du voyage en voiture, le cadre météorologique, cette peinture du père et de la mère.
La suite me plaît moins, elle paraît plus attendue, ce corps qui pend dans sa maison, et son comportement, bof, je ne sais pas, il y a moins de choses qui nous retiennent. J'aime beaucoup en revanche le passage où le narrateur se réveille et ressent le paysage, la fraîcheur du matin. Le fait qu'il ne ressente pas de tristesse, également, après que sa mère l'aie chassé de la cuisine.
Ce personnage dont tu parles au début du texte m'intrigue, on sent qu'il est important, on ne sait pas si c'est un frère ou...
Bisous.
L'accroche est difficile, comme le remarquait Coline. C'est toujours risqué de commencer par qualifier par analogie la chose que tu nous représentes, étant donné qu'on ne la connait pas encore -tu ne l'as pas encore annoncée. Mieux vaut l'apercevoir d'abord et ensuite la décrire par une comparaison, en tout cas en amorce de récit.
"la neige sans crainte"
Je ne suis pas forcément fan de cette personnification.
"Pas dupes parce qu'ils allaient voir mes yeux demain matin, enfin plutôt ce matin, dans quelques heures quoi."
Une rupture syntaxique gênante.
"je puS"
"Dans certaines familles règne un équilibre dans les tâches de chacun. Pas dans la mienne."
J'aime cette implication du lecteur qui marche très bien : réflexion généralisante puis phrase courte, sèche, percutante.
"et pas pare-bourrasque"
Humour un peu facile, peut-être, pour être vraiment efficace. C'est étrange mais intéressant dans le contexte de ce texte-ci. On sent un narrateur plutôt triste, mélancolique, mature, et l'on dirait qu'il essaie par cette réflexion de se redonner un sourire ; seulement, lui seul l'aura.
"faiblesse de l'ingéniosité humaine"
De même, moralisation un peu facile et clichée, dommage.
"Et je regardais la route, la route brillante, sous les feux des antibrouillards, défilait, filait, se sauvait alors que c'était moi qui partais."
Tu voulais mettre "défilait, se sauvait, filait" à l'infinitif, non ? Mets au troisième groupe : je regardais la route mordre....etc. Sans doute une erreur d'inattention. Sinon, la phrase, surtout au niveau du rythme, mais aussi au niveau de l'évocation, est particulièrement excellente. Il y a un mouvement, un souffle. Tu prends de l'ampleur dans ta narration, de l'élan.
"La pensée, l'infinité de la pensée, l'infiniment grand face à l'infime condition humaine."
Idem, côté philosophie de comptoir qui me repousse un peu. C'est peut-être l'adjectif "infirme" qui apporte l'exagération à l'origine du cliché.
"L'infinité du rêve toisant l'effectivement faisable"
Superbe.
La première partie du troisième paragraphe a été plus laborieuse à écrire, non ? Elle paraît en dessous du niveau du reste du texte. Plus d'adjectifs, d'énumérations qui alourdissent ta prose et apportent une confusion regrettée.
"Quelle surprise ! Quelqu'un d'autre était réveillé ? Un cambrioleur peut-être !"
Non. Là, ça ne marche pas. L'interrogation sonne faux, on n'y croit pas.
"Quelle drôle d'histoire." -> idem
Le début du texte me semble meilleur, dans l'ensemble. Tu maîtrises moins, ensuite. Mais il y a des idées que j'ai envie de suivre, de bonnes choses vraiment. Je lirai la suite. J'aime le regard du narrateur qu'on perçoit sur son "soi" plus jeune dans la première partie du texte, le mouvement du voyage en voiture, le cadre météorologique, cette peinture du père et de la mère.
La suite me plaît moins, elle paraît plus attendue, ce corps qui pend dans sa maison, et son comportement, bof, je ne sais pas, il y a moins de choses qui nous retiennent. J'aime beaucoup en revanche le passage où le narrateur se réveille et ressent le paysage, la fraîcheur du matin. Le fait qu'il ne ressente pas de tristesse, également, après que sa mère l'aie chassé de la cuisine.
Ce personnage dont tu parles au début du texte m'intrigue, on sent qu'il est important, on ne sait pas si c'est un frère ou...
Bisous.
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
ah coline, je suis très contente de ne pas être la seule à avoir vu dans ce texte quelque chose de fort et de très singulier.
go, go phono.. (je n'arrive jamais à retenir ton pseudo, mon pôv)
go, go phono.. (je n'arrive jamais à retenir ton pseudo, mon pôv)
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
"J'étais en retard, je n'aimais pas ça, mais il restait une pièce dans laquelle je n'avais pas cherché. Je n'aimais pas cette pièce"
Double répétition du verbe aimer et de la pièce. On sent que tu t'es moins relu, sur la fin.
"Il y avait une silhouette, qui flottait à contre jour à quelques centimètres du sol"
L'association de "il y a" avec la subordonnée relative n'est pas géniale.
Oui, dans l'ensemble, l'effort de construction et d'harmonie se perd dans la fin du texte (dernier long paragraphe notamment), sans doute parce que, pris dans le mouvement d'un passage sympathique à écrire, tu es davantage parti dans ton trip en oubliant de maîtriser quand même le flux de ton écriture. Rien de grave.
Double répétition du verbe aimer et de la pièce. On sent que tu t'es moins relu, sur la fin.
"Il y avait une silhouette, qui flottait à contre jour à quelques centimètres du sol"
L'association de "il y a" avec la subordonnée relative n'est pas géniale.
Oui, dans l'ensemble, l'effort de construction et d'harmonie se perd dans la fin du texte (dernier long paragraphe notamment), sans doute parce que, pris dans le mouvement d'un passage sympathique à écrire, tu es davantage parti dans ton trip en oubliant de maîtriser quand même le flux de ton écriture. Rien de grave.
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Voici, avec retard, une correction orthotypographique :
– « les rues, les courts et les parcs » : « cours » ;
– « à une fenêtre à regarder » : virgule après le deuxième « à » ;
– « on va la réussir cette fichue nuit blanche » : virgule après « réussir » ;
– « Mes parents eux ronflaient » : « eux » encadré de virgules ;
– « c'est ça, vociféra ma mère ? » : le point d'interrogation est très mal placé ;
– « Pas tellement non, » : virgule après « tellement » ;
– « Grâce à ma paresse, je pu l'aider » : « pus » ;
– « et pas pare-bourrasque » : maladroit ;
– « Les essuies-glaces malmenés » : « essuie-glaces » ;
– « sous les feux des antibrouillards » : « antibrouillard » (invariable) ;
– « Je pense » : manque un tiret cadratin pour introduire la réplique ;
– « ce qui n'était pas tout-à-fait vrai » : « tout à fait » ;
– « Je pense aux vacances » : manque le tiret cadratin ;
– « Je la vis sourire de le rétroviseur » : « dans le rétroviseur » ;
– « de la Champagne-Ardennes » : « Champagne-Ardenne » et le point ;
– « jusqu'à ce que toute once de sommeil eusse disparu » : qu'on se le dise enfin, « eusse » ne s'emploie que pour la première personne ! Il faut écrire « eût disparu ». Ce genre de fautes laisse une désagréable sensation de pédantisme ;
– « sur laquelle défilaient ma réflexion » : « défilait » ;
– « et sans nuage » : vous écrivez un peu plus haut « sans nuages », me semble-t-il, choisissez ! ;
– « Après avoir bataillé vainement pendant plusieurs heures je laissai » : virgule après « heures » ;
– « et ce même moi » : je ne comprends pas ;
– « le verre était tombé tout seul... » : ce ne sont pas les bons points de suspension « … » (Alt + 0133) ;
– « sur le plan de travail, des casseroles mal rangées » : pas de virgule ;
– « « Maman, s'enquis-je » : « m'enquis-je » ;
– « Je n'étais pas encore descendu des escaliers » : « Je n'avais pas encore descendu les escaliers » ;
– « Encore là toi » : virgule après « là » ;
– « s'énerva-t-elle ! » : il faut placer le point d'exclamation après « toi » en supprimant la virgule ;
– « Retourne immédiatement de coucher ! » : « te » et non « de » ;
– « Immédiatement, répéta-t-elle ! » : le point d'exclamation doit être placé après « immédiatement » ;
– « Il n'y avait ni lune, ni étoile » : « étoiles » ;
– « « Allez, lève-toi » : pourquoi ne pas employer partout des tirets cadratins, au lieu d'employer ces guillemets problématiques ? ;
– « je découvrit la vie » : « découvris » ;
– « place à des rougeurs vétus de poussières » : « vêtues » ;
– « telle un sombre gouffre » : « tel un sombre gouffre » ;
– « et
m'engouffrai dans » : retour à la ligne impromptu ;
– « sur mes épaules alors, j'appelai » : la virgule est-elle bien placée ? ;
– « C'était donc par curiosité que je montais » : « montais » ou « montai » ? ;
– « qui flottait à contre jour » : « à contre-jour » (trait d'union) ;
– « qui vixait le sol » : « fixait » ;
– « que j'aille en cours » : point ;
– « je parti en courant » : « partis ».
– « les rues, les courts et les parcs » : « cours » ;
– « à une fenêtre à regarder » : virgule après le deuxième « à » ;
– « on va la réussir cette fichue nuit blanche » : virgule après « réussir » ;
– « Mes parents eux ronflaient » : « eux » encadré de virgules ;
– « c'est ça, vociféra ma mère ? » : le point d'interrogation est très mal placé ;
– « Pas tellement non, » : virgule après « tellement » ;
– « Grâce à ma paresse, je pu l'aider » : « pus » ;
– « et pas pare-bourrasque » : maladroit ;
– « Les essuies-glaces malmenés » : « essuie-glaces » ;
– « sous les feux des antibrouillards » : « antibrouillard » (invariable) ;
– « Je pense » : manque un tiret cadratin pour introduire la réplique ;
– « ce qui n'était pas tout-à-fait vrai » : « tout à fait » ;
– « Je pense aux vacances » : manque le tiret cadratin ;
– « Je la vis sourire de le rétroviseur » : « dans le rétroviseur » ;
– « de la Champagne-Ardennes » : « Champagne-Ardenne » et le point ;
– « jusqu'à ce que toute once de sommeil eusse disparu » : qu'on se le dise enfin, « eusse » ne s'emploie que pour la première personne ! Il faut écrire « eût disparu ». Ce genre de fautes laisse une désagréable sensation de pédantisme ;
– « sur laquelle défilaient ma réflexion » : « défilait » ;
– « et sans nuage » : vous écrivez un peu plus haut « sans nuages », me semble-t-il, choisissez ! ;
– « Après avoir bataillé vainement pendant plusieurs heures je laissai » : virgule après « heures » ;
– « et ce même moi » : je ne comprends pas ;
– « le verre était tombé tout seul... » : ce ne sont pas les bons points de suspension « … » (Alt + 0133) ;
– « sur le plan de travail, des casseroles mal rangées » : pas de virgule ;
– « « Maman, s'enquis-je » : « m'enquis-je » ;
– « Je n'étais pas encore descendu des escaliers » : « Je n'avais pas encore descendu les escaliers » ;
– « Encore là toi » : virgule après « là » ;
– « s'énerva-t-elle ! » : il faut placer le point d'exclamation après « toi » en supprimant la virgule ;
– « Retourne immédiatement de coucher ! » : « te » et non « de » ;
– « Immédiatement, répéta-t-elle ! » : le point d'exclamation doit être placé après « immédiatement » ;
– « Il n'y avait ni lune, ni étoile » : « étoiles » ;
– « « Allez, lève-toi » : pourquoi ne pas employer partout des tirets cadratins, au lieu d'employer ces guillemets problématiques ? ;
– « je découvrit la vie » : « découvris » ;
– « place à des rougeurs vétus de poussières » : « vêtues » ;
– « telle un sombre gouffre » : « tel un sombre gouffre » ;
– « et
m'engouffrai dans » : retour à la ligne impromptu ;
– « sur mes épaules alors, j'appelai » : la virgule est-elle bien placée ? ;
– « C'était donc par curiosité que je montais » : « montais » ou « montai » ? ;
– « qui flottait à contre jour » : « à contre-jour » (trait d'union) ;
– « qui vixait le sol » : « fixait » ;
– « que j'aille en cours » : point ;
– « je parti en courant » : « partis ».
Invité- Invité
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Une histoire qui intrigue, forcément on se perd en suppositions ( la mère s'est pendue? le narrateur rêve etc...) l'écriture est dans l'ensemble trés maitrisée malgré certaines facilités relevées fort justement par Marine, ça sera un plaisir de revenir lire la suite.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
S'il y a une suite, comptez sur moi pour la lire ! La plume est bien maîtrisée et le texte coule de lui-même. Des belles images et une histoire intrigante.
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Mon impression en fin de lecture, c'est celle de non-dits, de violence sourde et cachée, de peurs non exprimées. Un climat familial pesant, presque violent. Et au milieu de tout cela, un enfant qui subsiste à coups de rêves ou de cauchemars qu'il garde pour lui.
J'ai aimé ce texte. Je pense qu'il appelle une suite que je ne manquerai pas de lire. Dans la suite, peut-être aurons-nous un éclaircicement sur ce sang sur le genou, et cette présence qui semble accompagner l'enfant.
J'ai aimé ce texte. Je pense qu'il appelle une suite que je ne manquerai pas de lire. Dans la suite, peut-être aurons-nous un éclaircicement sur ce sang sur le genou, et cette présence qui semble accompagner l'enfant.
Invité- Invité
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Je re-poste le début corrigé avec vos conseils, la typographie ne passant pas au copier/coller je m'en excuse d'avance !
- Spoiler:
Pétales de roses blanches ou de lilas, la neige tombait sur la ville de Chambéry. Immenses silhouettes, les hautes tours de la cité semblaient dicter leurs lois. Autoritaires, elles surplombaient les rues, les cours et les parcs, mais la neige sans crainte recouvrait leurs toits, leurs balcons et leurs terrasses.
J'avais douze ans. J'étais là, seul, à une fenêtre, à regarder le temps passer. J'observais la puissance de la pierre ployer sous la tendresse, la noirceur du béton austère disparaître sous de candides flocons blancs, et comme si rudesse n'était plus, le silence détrônait le bruit des moteurs, des cris violents et de la folie urbaine.
Parfois dans nos jeux, nous étions des dieux bienfaisants. Je jouais la sagesse, et lui le protecteur. Alors j'eus droit moi aussi à mes rêves de grandeur. Je m'imaginais écrivain, poète peut-être, musicien, oui, pianiste, et philosophe, penseur, précurseur. C'était sans doute le froid, puisque j'avais le nez collé à la vitre. Un regard sur la droite m'indiqua qu'il était trois heures du matin.
« Tu vois, lui lançais-je, on va la réussir, cette fichue nuit blanche ! »
Je soupirai et me tournai vers le lit. Mes parents, eux, ronflaient amoureusement en cadence, mais dos à dos. Ils n'étaient pas moches. Innocents mais pas dupes. Innocents parce qu'ils croyaient que je dormais. Pas dupes parce qu'ils allaient voir mes yeux demain matin, enfin plutôt ce matin, dans quelques heures quoi.
Et ce fut le cas.
« T'as passé la nuit à bouquiner c'est ça ? vociféra ma mère ? »
Pas tellement, non, j'avais encore besoin de lumière pour lire. Mais je me suis contenté de baisser les yeux, parce que je ne savais faire que ça.
C'était le dernier jour des vacances et ma mère se battait avec la valise pour tout y caser, tandis que mon père geignait dans son lit, pas encore remis de l'alcool de la veille.
Grâce à ma paresse, je pus l'aider, ma mère, pas mon père, en m'asseyant sur la valise. Un bref « merci » et elle commença à arranger la chambre, vérifier si tout était en ordre et faire sortir l'ours de sa tanière.
Dans certaines familles règne un équilibre dans les tâches de chacun. Pas dans la mienne. Ainsi, bien que ma mère se soit occupée d'organiser nos vacances, de préparer les repas pendant tout notre séjour et de s'occuper des bagages, ce fut aussi à elle de conduire le vieux Scénic sur le trajet du retour.
Par chance les routes n'étaient pas verglacées, la neige avait cédé sa place à la pluie et au vent qui frappaient sans aucune pitié l'innocent pare-brise, et pas pare-bourrasque. Les essuie-glaces malmenés par des hordes de gouttes d'eau crissaient sur le verre, la force de la nature face à la faiblesse de l'ingéniosité humaine. Et je regardais la route, la route brillante, sous les feux des antibrouillard, défiler, filer, se sauver alors que j'étais le seul à partir.
« Tu ne dis rien, me demanda ma mère ?
Je pense, lui répondis-je. »
Elle rit, passa sa main droite dans l'habitacle et me caressa le genou sans me regarder.
« Papa dort, c'est l'occasion de parler, décida-t-elle, à quoi tu penses ?
Je pense aux vacances, expliquai-je, ce qui n'était pas tout à fait vrai, je pensais à lui, à son sang sur mes genoux. »
Je la vis sourire dans le rétroviseur. Bien que fatigantes, ces vacances étaient une coupure pour elle. Elle s'était donnée tant de mal qu'il m'était impossible de lui avouer que je n'avais pas tout apprécié. C'est ainsi qu'à coup de mensonges, d'amour et de rires tantôt forcés tantôt spontanés nous retournâmes sur les sols plats de la Champagne-Ardenne.
Une nuit blanche, une journée de voiture et pourtant, ce soir-là, impossible de trouver le sommeil. Mes sens étaient alertes, je me perdais dans un océan de pensées folles qui tourbillonnaient et martelaient mon crâne. Je pensais à lui et à la pensée. L'infinité du rêve toisant l'effectivement faisable, je lui faisais un pied-de-nez, je poussais les limites de ma méditation passive jusqu'à ce que toute once de sommeil eût disparu. Mon cœur battait la cadence extravagante sur laquelle défilait ma réflexion comme le faisaient les heures sur mon réveil-matin. Dans cette grande fanfare s'ajoutaient non sans joie les trompettes de ces bruits qui d'habitude nous gênent, qu'animaient en éclairs blancs les cymbales d'un ciel en vérité silencieux et sans nuages. J'hurlai à mon cerveau de cesser ce vacarme, tout son boucan, son tintamarre d'idées insensées qu'une forme intellectuelle maintenait en éveil.
Après avoir bataillé vainement pendant plusieurs heures, je laissai mes yeux s'ouvrir et constatai à quel point rien dans l'obscurité de la nuit n'avait changé. Les mêmes rayons de lumière blanche éclairaient la même chambre, les mêmes meubles, les mêmes objets et ce même moi. Les livres que mes mains peu soigneuses avaient éparpillés souriaient au sol et de leur voix faible me poussaient à l'insomnie. La silhouette haute et fière de ma lampe de chevet, de sa démagogie faussement sage, m'attirait hors mon lit et je fus prêt à céder.
Si un bruit de verre brisé n'avait pas soudain arrêté mon geste.
Je songeai d'abord à un cambrioleur, cependant, le grincement d'une porte de placard et d'une pelle en plastique qui racle le sol. Je m'assis, un peu étourdi, mais prêt à braver tous les dangers pour découvrir la source de ces bruits.
Ma mère était là, les cheveux en pagaille, en chemise de nuit. Face à l'évier, elle astiquait la vaisselle avec violence, la lançant presque sur l'égouttoir. Plusieurs portes de placards étaient ouvertes, sur le sol gisaient encore quelques bouts de verre, sur le plan de travail des casseroles mal rangées, des assiettes mal séchées gouttaient, gouttaient en une petite flaque d'eau brillante.
J'étais étonné de la voir encore éveillée. Ce n'était pas dans ses habitudes. Étonné, mais rassuré. Je n'étais pas seul.
« Maman, m'enquis-je timidement ?
« Encore là, toi ! s'énerva-t-elle. Retourne immédiatement te coucher ! Immédiatement ! Répéta-t-elle. »
Je n'avais pas encore descendu les escaliers, j'espérais trouver en elle un peu de réconfort, quelques mots doux. Ces mots doux et magiques qui éveilleraient mes rêves tandis que s'assoupiraient le volcan sans lave de mon trop-plein prêt à exploser.
Je bouillonnais d'une profonde frustration et pour la contenir je hurlai un bref « j'en ai marre », j'ouvris la porte d'entrée et sans comprendre comment, je me retrouvais en train de courir dans la rue, sans pleurer.
Sans pleurer parce que l'air était doux, il ne faisait pas froid. Il n'y avait ni lune, ni étoiles, seuls des nuages rosés par les lumières de la ville. Le vent était humide, chargé de chagrin, mais étrangement ce n'était pas le mien.
Après quelques rues, je m'assis sur le goudron obscur. Je n'avais pas peur, car il était partout, j'avais oublié son sang sur mes genoux. Je m'allongeai, je m'endormis.
Je ressentais une caresse, un frisson. Le sol était froid, mais la lumière câline m'enveloppait de bonté et de chaleur.
« Allez, lève-toi, semblait-elle me dire. »
Je m'étirai, j'avais mal au dos. Et les yeux embrumés, je découvris la vie sous un ciel-plafond d'un bleu éclatant, et l'horizon comme mur sans béton. Je devins fou de ces odeurs qu'apportait la rosée de ce matin d'hiver, je le voyais partout, il souriait, moi aussi, j'étais bête et heureux, c'est tellement agréable parfois.
J'étais en retard, les cours reprenaient ce jour-là. D'un pas léger je retournai chez moi.
Le temps habitait sur la façade de ma maison et se perdait en lézardes grises. À l'abandon, comme l'était ma mère, la ferraille du portail perdait son noir pour laisser place à des rougeurs vêtues de poussières et d'anciennes blessures. La porte d'entrée était restée ouverte, tel un sombre gouffre dans mon monde merveilleux. Je pris une profonde respiration, poussai doucement le portail et
m'engouffrai dans cette grotte terrifiante.
Un étrange sentiment envahit mes poumons, une senteur sans odeur, une lourdeur pesait sur mes épaules alors, j'appelai :
« Maman ? »
Je recommençai, plus fort. Puis dans toutes les pièces, enfin presque. Rien. Était-elle partie ? Sa voiture n'avait pas bougé. Sans doute me savait-elle dans le quartier, alors il était plus sensé de me chercher à pied. Oui, elle me cherchait, et moi aussi. Quelle drôle d'histoire. J'étais en retard, je n'aimais pas ça, mais il restait une pièce dans laquelle je n'avais pas cherché. Je n'aimais pas cette pièce, on y voyait la charpente pas encore finie d'être isolée, on n'y vivait pas, elle ne servait que pour le rangement. Mais je n'étais plus à ça près. C'était donc par curiosité que je montais les escaliers. Plus je montais, plus je me sentais lourd, très lourd. J'entendais des bruits, j'étais pris de vertiges mais je mettais ça sur le compte de la peur, et c'était vrai, j'avais peur.
Il y avait une silhouette, qui flottait à contre-jour à quelques centimètres du sol. Je retins un hurlement, un fantôme ? Ses mains pendaient le long de son corps, il semblait vêtu d'un drap, mais en observant mieux, j'y vu des cheveux. Des cheveux qui descendaient le long d'un visage qui ne me regardait pas, qui fixait le sol. Je tremblais, j'avais la trouille de bouger. J'étais en retard, mais il fallait que je sache. Je m'approchai. Plus près, encore plus près, le fantôme ne faisait pas un mouvement, il ne remarquait pas ma présence. Pas un bruit, le sol n'osait pas craquer, même si j'étais lourd, vraiment très lourd.
C'était ma mère.
J'étais en retard.
Il fallait que j'aille en cours.
Alors je partis en courant. J'empoignai mon sac et je ne pensais plus, ou si, je pensais trop, ou non, je ne sais pas. Je pris le chemin du collège.
Phoenamandre- Nombre de messages : 2423
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Date d'inscription : 08/03/2009
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Et la suite :
« UJJP » Ça signifiait simplement « Un Jour Je Partirai ». C'était puéril, pathétique même, mais je l'écrivais sur toutes mes feuilles depuis déjà deux ans. Parfois discrètement en haut d'une page, dans la marge, ou bien en grand, calligraphié et orné de multiple symboles qui n'avaient un sens que sur le moment. C'était exactement ce que je faisais, le plus bel « UJJP », et je fuyais, loin de toute chose. Je m'envolais dans notre pays de Cocagne, dans ces plaines et ces chants où courraient nos voix, où nos jeux s'animaient autrefois d'images colorées, où les lois du regard prenaient le dessus sur celles des mots. Les histoires s'écrivaient dans des cabanes de bois, ces mêmes cabanes où nous bâtissions nos rêves en terre humide, nous y donnions vie à nos frustrations, nos petits malheurs qui dans un tour de passe-passe s’habillaient de joie. Avec ces sourires et ces rires cohabitaient parfois quelques fausses colères dont le parfum trop commun rappelait nos maisons. Nous les chassions, nous en faisions des oiseaux de papier qui gâtaient notre paysage.
Je fus brusquement tiré de ma rêverie.
Pas de sang sur mes genoux.
Pas de regard vide, les cris s'étaient tus, et un silence inattendu petit à petit me glaçait le sang. Je frissonnai. Mes bras, mes jambes, mon corps, tremblaient, j'avais froid et chaud en même temps, un pincement se hissait de ma vessie à mes poumons. Je me levai, les regards se tournèrent vers moi, le professeur cessa de parler. Les couleurs de la salle de classe semblaient fondre tandis que tel un écran mal réglé, chaque geste, chaque mouvement se multipliaient en centaines de traces floues. Les voix n'étaient plus que de lointains bourdonnements, et un voile marron puis noir se déposa sur mes yeux. Rien n'était plus comme avant, impossible de comprendre ce sentiment qui peu à peu envahissait mes membres, grimpait à mes muscles, à ma chaire, pour venir se loger dans mon crâne de plus en plus douloureux.
Quelque chose tomba.
C'était moi.
Ma mère s'était suicidée.
Quelqu’un me parlait. Du moins, j’entendais une voix. Des mains me tenaient. Mes yeux étaient ouverts, pourtant impossible de distinguer quoique ce soit. Quelques formes, des contours essentiellement, j’étais dans un brouillard opaque, mes pensées aussi étaient dispersées. J’étais un enfant et malgré mes bleus, son regard vide et son sang, je me croyais invincible. Mon corps m’appartenait, j’en étais le maître absolu, si je ne contrôlait par mon destin je me contrôlait au moins moi-même. Il n’en était rien, et je m’en rendis compte pour la première fois ce jour-là. Personne ne savait la raison de ma chute, mais à mesure que fuyait le flou, tout devenait plus clair. On voulut me relever. Je refusai. Je n’étais pas prêt. Le sol était froid. C’était une sorte de lino couleur chêne, ça puait le plastique mais c’était confortable. Mes mains tremblaient, leur couleur blanche me rappelait ma mère, ma mère, était-elle un fantôme ?
Un fantôme...
Il m’arrivait encore de me remémorer cette scène, se déroulant peut-être six ou sept ans auparavant. Nous habitions encore Quimperlé, près de l’Isole qui se mariait à l’Éllé pour devenir Laïta. Nous étions tous les deux, sur la terrasse, sous un ciel bleu, en train d’admirer l’herbe verte, les fleurs que nous venions tout juste de planter, et derrière les buissons entourant notre jardin, on entendait couler la ria qui calmement s’en allait rejoindre l’océan. Je ne le connaissais pas encore, j’étais sur les genoux de ma mère, les miens n’avaient pas de sang. Occupés à notre séance câlins habituelle, nous rions, et nous parlions de tous les sujets sérieux qu’un enfant de mon âge pouvait aborder. Je me souvenais de son visage maternel et songeur sous la lumière du soleil qui déclinait à l’horizon. Je me souvenais de sa douceur, sa tendresse, de la chaleur de ses bras. Son sourire aussi, son sourire qui n’illuminait plus son beau visage depuis que le mien avait disparu dans une flaque rouge, et bleu.
“Pourquoi papa et toi vous vous faites pas de bisous ? Lui avais-je demandé ce jour là.”
Elle avait rigolé, mais sans me donner de réponse.
“ Tu préfère papa ou moi ? Avais-je insisté.”
Là encore, elle s’était contentée de sourire, et m’avait serré de plus belle dans ses bras.
J’entendais du bruit, beaucoup de bruit, on parlait, on s’affairait, on chahutait. Des voix masculines, graves et des bruits de métal, de tables et de chaises qu’on pousse. Je sentis à nouveau deux mains, non quatre mains m’agripper et me soulever. J’avais toujours chaud et froid, des fourmis sur le visage et sur mes bras que je n’arrivais pas à bouger. Un homme agita ses mains devant mes yeux, je voyais à travers.
“Qu’est-ce... tentai-je de dire”
Je réunissais toutes mes forces tandis qu’on me conseillait de ne pas parler.
“Qu’est-ce qu’il se passe ?”
Je ne comprenais pas. Tout semblait sortir d’un rêve ambiguë. J’étais maintenant dans une chambre d’hôpital. Il ne s’était rien passé entre temps. Je croyais être encore dans la salle de classe. Ou sur les genoux de ma mère.
J’essayai de me redresser. Impossible. L’homme s’assit sur mon lit.
“Est-ce que tu as pris un petit-déjeuner ce matin ? me demanda-t-il.”
Bien sûr que non. Je n’y avais même pas songé.
Mon “non” ressortit plus comme un “hoan” tant mes lèvres étaient pâteuses. Il soupira, écrivit quelques notes sur un calepin et se leva.
“On a essayé de contacter tes parents, est-ce que tu connais un numéro de portable sur lequel on pourrait les appeler ?”
Sa phrase était trop longue, je ne répondis pas. Il toucha mon front et se dirigea vers la porte de la chambre.
“Ma mère. Lui dis-je”
Et je pleurai.
Mon père n’apprit la terrible nouvelle que dans la soirée, lorsqu’il appela la maison, et qu’en pensant tomber sur ma mère, se fut un policier qui décrocha le téléphone. Il appelait d’un hôtel m’avait-on dit, sur le coup de ne compris pas vraiment, et d’ailleurs, je m’en fichais. On ne m’avait pas autorisé à sortir de l’hôpital malgré mes supplications. Je ne voulais pas qu’ils touchent à ma mère, je voulais veiller sur elle, je voulais la porter, la serrer dans mes bras. Je voyais son corps sans âme dans les mains de ces inconnus vêtus de bleu, dans ce grenier poussiéreux et glacial, comme sa peau translucide . Se mêlaient alors les images, celles de ma mère et les autres; le fantôme froid sans sang, et le corps chaud vidant sa vie en larmes rouges sur mes genoux.
« UJJP » Ça signifiait simplement « Un Jour Je Partirai ». C'était puéril, pathétique même, mais je l'écrivais sur toutes mes feuilles depuis déjà deux ans. Parfois discrètement en haut d'une page, dans la marge, ou bien en grand, calligraphié et orné de multiple symboles qui n'avaient un sens que sur le moment. C'était exactement ce que je faisais, le plus bel « UJJP », et je fuyais, loin de toute chose. Je m'envolais dans notre pays de Cocagne, dans ces plaines et ces chants où courraient nos voix, où nos jeux s'animaient autrefois d'images colorées, où les lois du regard prenaient le dessus sur celles des mots. Les histoires s'écrivaient dans des cabanes de bois, ces mêmes cabanes où nous bâtissions nos rêves en terre humide, nous y donnions vie à nos frustrations, nos petits malheurs qui dans un tour de passe-passe s’habillaient de joie. Avec ces sourires et ces rires cohabitaient parfois quelques fausses colères dont le parfum trop commun rappelait nos maisons. Nous les chassions, nous en faisions des oiseaux de papier qui gâtaient notre paysage.
Je fus brusquement tiré de ma rêverie.
Pas de sang sur mes genoux.
Pas de regard vide, les cris s'étaient tus, et un silence inattendu petit à petit me glaçait le sang. Je frissonnai. Mes bras, mes jambes, mon corps, tremblaient, j'avais froid et chaud en même temps, un pincement se hissait de ma vessie à mes poumons. Je me levai, les regards se tournèrent vers moi, le professeur cessa de parler. Les couleurs de la salle de classe semblaient fondre tandis que tel un écran mal réglé, chaque geste, chaque mouvement se multipliaient en centaines de traces floues. Les voix n'étaient plus que de lointains bourdonnements, et un voile marron puis noir se déposa sur mes yeux. Rien n'était plus comme avant, impossible de comprendre ce sentiment qui peu à peu envahissait mes membres, grimpait à mes muscles, à ma chaire, pour venir se loger dans mon crâne de plus en plus douloureux.
Quelque chose tomba.
C'était moi.
Ma mère s'était suicidée.
Quelqu’un me parlait. Du moins, j’entendais une voix. Des mains me tenaient. Mes yeux étaient ouverts, pourtant impossible de distinguer quoique ce soit. Quelques formes, des contours essentiellement, j’étais dans un brouillard opaque, mes pensées aussi étaient dispersées. J’étais un enfant et malgré mes bleus, son regard vide et son sang, je me croyais invincible. Mon corps m’appartenait, j’en étais le maître absolu, si je ne contrôlait par mon destin je me contrôlait au moins moi-même. Il n’en était rien, et je m’en rendis compte pour la première fois ce jour-là. Personne ne savait la raison de ma chute, mais à mesure que fuyait le flou, tout devenait plus clair. On voulut me relever. Je refusai. Je n’étais pas prêt. Le sol était froid. C’était une sorte de lino couleur chêne, ça puait le plastique mais c’était confortable. Mes mains tremblaient, leur couleur blanche me rappelait ma mère, ma mère, était-elle un fantôme ?
Un fantôme...
Il m’arrivait encore de me remémorer cette scène, se déroulant peut-être six ou sept ans auparavant. Nous habitions encore Quimperlé, près de l’Isole qui se mariait à l’Éllé pour devenir Laïta. Nous étions tous les deux, sur la terrasse, sous un ciel bleu, en train d’admirer l’herbe verte, les fleurs que nous venions tout juste de planter, et derrière les buissons entourant notre jardin, on entendait couler la ria qui calmement s’en allait rejoindre l’océan. Je ne le connaissais pas encore, j’étais sur les genoux de ma mère, les miens n’avaient pas de sang. Occupés à notre séance câlins habituelle, nous rions, et nous parlions de tous les sujets sérieux qu’un enfant de mon âge pouvait aborder. Je me souvenais de son visage maternel et songeur sous la lumière du soleil qui déclinait à l’horizon. Je me souvenais de sa douceur, sa tendresse, de la chaleur de ses bras. Son sourire aussi, son sourire qui n’illuminait plus son beau visage depuis que le mien avait disparu dans une flaque rouge, et bleu.
“Pourquoi papa et toi vous vous faites pas de bisous ? Lui avais-je demandé ce jour là.”
Elle avait rigolé, mais sans me donner de réponse.
“ Tu préfère papa ou moi ? Avais-je insisté.”
Là encore, elle s’était contentée de sourire, et m’avait serré de plus belle dans ses bras.
J’entendais du bruit, beaucoup de bruit, on parlait, on s’affairait, on chahutait. Des voix masculines, graves et des bruits de métal, de tables et de chaises qu’on pousse. Je sentis à nouveau deux mains, non quatre mains m’agripper et me soulever. J’avais toujours chaud et froid, des fourmis sur le visage et sur mes bras que je n’arrivais pas à bouger. Un homme agita ses mains devant mes yeux, je voyais à travers.
“Qu’est-ce... tentai-je de dire”
Je réunissais toutes mes forces tandis qu’on me conseillait de ne pas parler.
“Qu’est-ce qu’il se passe ?”
Je ne comprenais pas. Tout semblait sortir d’un rêve ambiguë. J’étais maintenant dans une chambre d’hôpital. Il ne s’était rien passé entre temps. Je croyais être encore dans la salle de classe. Ou sur les genoux de ma mère.
J’essayai de me redresser. Impossible. L’homme s’assit sur mon lit.
“Est-ce que tu as pris un petit-déjeuner ce matin ? me demanda-t-il.”
Bien sûr que non. Je n’y avais même pas songé.
Mon “non” ressortit plus comme un “hoan” tant mes lèvres étaient pâteuses. Il soupira, écrivit quelques notes sur un calepin et se leva.
“On a essayé de contacter tes parents, est-ce que tu connais un numéro de portable sur lequel on pourrait les appeler ?”
Sa phrase était trop longue, je ne répondis pas. Il toucha mon front et se dirigea vers la porte de la chambre.
“Ma mère. Lui dis-je”
Et je pleurai.
Mon père n’apprit la terrible nouvelle que dans la soirée, lorsqu’il appela la maison, et qu’en pensant tomber sur ma mère, se fut un policier qui décrocha le téléphone. Il appelait d’un hôtel m’avait-on dit, sur le coup de ne compris pas vraiment, et d’ailleurs, je m’en fichais. On ne m’avait pas autorisé à sortir de l’hôpital malgré mes supplications. Je ne voulais pas qu’ils touchent à ma mère, je voulais veiller sur elle, je voulais la porter, la serrer dans mes bras. Je voyais son corps sans âme dans les mains de ces inconnus vêtus de bleu, dans ce grenier poussiéreux et glacial, comme sa peau translucide . Se mêlaient alors les images, celles de ma mère et les autres; le fantôme froid sans sang, et le corps chaud vidant sa vie en larmes rouges sur mes genoux.
Phoenamandre- Nombre de messages : 2423
Age : 33
Date d'inscription : 08/03/2009
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Je n’avais pas commenté le premier extrait mais je l’avais lu avec intérêt (et plaisir) complètement prise dans ce texte à l’ambiance étrange, mystérieuse et un peu angoissante.
La suite préserve tout cela, on en sait plus, ce que l’on pressentait du fantôme se confirme et la chute est narrée d’une manière bouleversante. Malgré quelques indices disséminés ça et là, le mystère persiste.
Je trouve que tu maîtrises très bien le dosage délicat de l’émotion, des sentiments, des indices et de la narration. Au moment où l’on se croit perdu dans la lecture, un fil nous raccroche.
Et j’aime ton écriture sensible.
La suite préserve tout cela, on en sait plus, ce que l’on pressentait du fantôme se confirme et la chute est narrée d’une manière bouleversante. Malgré quelques indices disséminés ça et là, le mystère persiste.
Je trouve que tu maîtrises très bien le dosage délicat de l’émotion, des sentiments, des indices et de la narration. Au moment où l’on se croit perdu dans la lecture, un fil nous raccroche.
Et j’aime ton écriture sensible.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
je suis encore et plus encore emportée.
tout reste mystérieux, violent, effrayant, mais aussi tendre, et les passages de la vie intérieure aux éléments extérieurs (le sol, les voix, les questions, les "autres") sont très réussis, très finement tissés : j'attends avec impatience la suite !
je note : "je sentis deux mains, non quatre...", je trouve cette hésitation inutile, tout d'un coup ça fait langue parlée alors que l'écriture est très poétique.
Pas mal de fautes de conjugaison mais j'ai la flemme ! Allleeeeex ! debout !
enfin voilà, ça prend de l'amplitude tout en préservant, comme l'écrit elea, le mystère et le charme.
tout reste mystérieux, violent, effrayant, mais aussi tendre, et les passages de la vie intérieure aux éléments extérieurs (le sol, les voix, les questions, les "autres") sont très réussis, très finement tissés : j'attends avec impatience la suite !
je note : "je sentis deux mains, non quatre...", je trouve cette hésitation inutile, tout d'un coup ça fait langue parlée alors que l'écriture est très poétique.
Pas mal de fautes de conjugaison mais j'ai la flemme ! Allleeeeex ! debout !
enfin voilà, ça prend de l'amplitude tout en préservant, comme l'écrit elea, le mystère et le charme.
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Je profite que mon texte soit en haut pour dire déjà merci à vous deux pour vos commentaires...
Et...
ENFER ET DAMNATION
J'ai laissé plein de fautes, merci Janis de me l'avoir fait remarquer !
Déjà des fautes que je vois, en plus de celles que je ne vois pas... J'imagine pas le désastre, alors que je me suis relu. Bref, je vais quémander à la modération un remplacement avec une version assez corrigée du texte.
Et...
ENFER ET DAMNATION
J'ai laissé plein de fautes, merci Janis de me l'avoir fait remarquer !
Déjà des fautes que je vois, en plus de celles que je ne vois pas... J'imagine pas le désastre, alors que je me suis relu. Bref, je vais quémander à la modération un remplacement avec une version assez corrigée du texte.
Phoenamandre- Nombre de messages : 2423
Age : 33
Date d'inscription : 08/03/2009
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
La voici, la voilà enfin, la correction tant attendue. Avec toutes mes excuses :
– « « UJJP » Ça » : manque un point après « UJJP », avant les guillemets fermants ;
– « et orné de multiple symboles » : « multiples » ;
– « où courraient nos voix » : « couraient » ;
– « Mes bras, mes jambes, mon corps, tremblaient » : pas de virgule après « corps » ;
– « à ma chaire » : « chair » (et non la « chaire » du professeur ou du prédicateur) ;
– « de distinguer quoique ce soit » : « quoi que ce soit » (et non « quoique » concessif) ;
– « si je ne contrôlait » : « contrôlais » ;
– « par mon destin » : « pas » et non « par », virgule après « destin » ;
– « je me contrôlait au moins » : « contrôlais » ;
– « Je n’étais pas prêt. Le sol était froid. C’était une sorte de lino couleur chêne, ça puait le plastique mais c’était » : les occurrences du verbe « être » à l'imparfait me paraissent trop nombreuses ;
– « Un fantôme... » : « … » (Alt + 0133) et non « ... » ;
– « qui se mariait à l’Éllé » : l'effort était louable, mais pas d'accent sur la majuscule, ici : « Ellé » ;
– « dans une flaque rouge, et bleu. » : pourquoi cette virgule ? « bleue », en outre ;
– « “Pourquoi papa et toi » : utilisez les guillemets français ouvrants « (Alt + 174) ;
– « pas de bisous ? Lui avais-je demandé » : pas de majuscule à « lui » ;
– « ce jour là » : « jour-là » (trait d'union) ;
– « demandé ce jour là.” » : en plus du trait d'union, utilisez les guillemets français fermants (Alt + 175) ;
– « “ Tu préfère papa » : guillemets français ouvrants, « préfères » ;
– « ou moi ? Avais-je » : « avais-je » (sans majuscule) ;
– « insisté.” » : guillemets français fermants ;
– « Des voix masculines, graves et des bruits » : virgule après « graves » ;
– « “Qu’est-ce » : guillemets français ;
– « Qu’est-ce... » : « … » et non « ... » ;
– « tentai-je de dire” » : point à l'intérieur des guillemets, qui seront des guillemets français fermants ;
– « “Qu’est-ce qu’il se passe ?” » : guillemets français ;
– « d’un rêve ambiguë » : « ambigu » ;
– « rien passé entre temps » : « entre-temps » (orthographe traditionnelle) ; « entretemps » (1990) ;
– « “Est-ce que tu as pris » : guillemets français ouvrants ;
– « un petit-déjeuner ce matin » : « petit déjeuner » (sans trait d'union) ;
– « me demanda-t-il.” » : guillemets français fermants ;
– « Mon “non” ressortit plus comme un “hoan” » : « non » et « hoan » entre guillemets français ;
– « “On a essayé » : guillemets français ouvrants ;
– « on pourrait les appeler ?” » : guillemets français fermants ;
– « “Ma mère » : guillemets français ouvrants ;
– « Ma mère. Lui » : virgule et non point, pas de majuscule à « lui » ;
– « Lui dis-je” » : point avant les guillemets, qui seront des guillemets français fermants ;
– « se fut un policier » : « ce fut » ;
– « Il appelait d’un hôtel m’avait-on dit » : virgule après « hôtel » ;
– « sur le coup de ne compris pas vraiment » : « je ne compris » et non « de ne compris » ;
– « comme sa peau translucide . » : pas d'espace avant le point… ;
– « celles de ma mère et les autres; » : mais espace avant le point-virgule !
Je rejoins les autres lorsqu'ils qualifient l'écriture de « sensible ». Pour moi, c'est pile ça. Je continue à vous lire avec intérêt.
– « « UJJP » Ça » : manque un point après « UJJP », avant les guillemets fermants ;
– « et orné de multiple symboles » : « multiples » ;
– « où courraient nos voix » : « couraient » ;
– « Mes bras, mes jambes, mon corps, tremblaient » : pas de virgule après « corps » ;
– « à ma chaire » : « chair » (et non la « chaire » du professeur ou du prédicateur) ;
– « de distinguer quoique ce soit » : « quoi que ce soit » (et non « quoique » concessif) ;
– « si je ne contrôlait » : « contrôlais » ;
– « par mon destin » : « pas » et non « par », virgule après « destin » ;
– « je me contrôlait au moins » : « contrôlais » ;
– « Je n’étais pas prêt. Le sol était froid. C’était une sorte de lino couleur chêne, ça puait le plastique mais c’était » : les occurrences du verbe « être » à l'imparfait me paraissent trop nombreuses ;
– « Un fantôme... » : « … » (Alt + 0133) et non « ... » ;
– « qui se mariait à l’Éllé » : l'effort était louable, mais pas d'accent sur la majuscule, ici : « Ellé » ;
– « dans une flaque rouge, et bleu. » : pourquoi cette virgule ? « bleue », en outre ;
– « “Pourquoi papa et toi » : utilisez les guillemets français ouvrants « (Alt + 174) ;
– « pas de bisous ? Lui avais-je demandé » : pas de majuscule à « lui » ;
– « ce jour là » : « jour-là » (trait d'union) ;
– « demandé ce jour là.” » : en plus du trait d'union, utilisez les guillemets français fermants (Alt + 175) ;
– « “ Tu préfère papa » : guillemets français ouvrants, « préfères » ;
– « ou moi ? Avais-je » : « avais-je » (sans majuscule) ;
– « insisté.” » : guillemets français fermants ;
– « Des voix masculines, graves et des bruits » : virgule après « graves » ;
– « “Qu’est-ce » : guillemets français ;
– « Qu’est-ce... » : « … » et non « ... » ;
– « tentai-je de dire” » : point à l'intérieur des guillemets, qui seront des guillemets français fermants ;
– « “Qu’est-ce qu’il se passe ?” » : guillemets français ;
– « d’un rêve ambiguë » : « ambigu » ;
– « rien passé entre temps » : « entre-temps » (orthographe traditionnelle) ; « entretemps » (1990) ;
– « “Est-ce que tu as pris » : guillemets français ouvrants ;
– « un petit-déjeuner ce matin » : « petit déjeuner » (sans trait d'union) ;
– « me demanda-t-il.” » : guillemets français fermants ;
– « Mon “non” ressortit plus comme un “hoan” » : « non » et « hoan » entre guillemets français ;
– « “On a essayé » : guillemets français ouvrants ;
– « on pourrait les appeler ?” » : guillemets français fermants ;
– « “Ma mère » : guillemets français ouvrants ;
– « Ma mère. Lui » : virgule et non point, pas de majuscule à « lui » ;
– « Lui dis-je” » : point avant les guillemets, qui seront des guillemets français fermants ;
– « se fut un policier » : « ce fut » ;
– « Il appelait d’un hôtel m’avait-on dit » : virgule après « hôtel » ;
– « sur le coup de ne compris pas vraiment » : « je ne compris » et non « de ne compris » ;
– « comme sa peau translucide . » : pas d'espace avant le point… ;
– « celles de ma mère et les autres; » : mais espace avant le point-virgule !
Je rejoins les autres lorsqu'ils qualifient l'écriture de « sensible ». Pour moi, c'est pile ça. Je continue à vous lire avec intérêt.
Invité- Invité
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
enfin, je ne sais pas, il y a des choses que j'ai pas trop aimé etc, mais il y a cela de précieux dans le ton, alors j'ai pu tout lire, et pourtant c'est rare parce que la longue prose sur écran ça ne me dit rien. j'ai pensé à rené crevel, je sais pas pourquoi, tu y devrais jeter un oeil si tu ne connais pas
Calvin- Nombre de messages : 530
Age : 35
Date d'inscription : 22/05/2010
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
- Spoiler:
- Plus que jamais, je ne suis pas satisfait de cette troisième partie, un peu trop rapide à mon goût, jugez vous-même !
3 ème partie
Je ne sais pas quelle drôle d’idée avait bien pu me traverser l’esprit. Je touchai mon bras gauche. C’était vraiment douloureux. Je m’étais vraiment pincé fort, jusqu’à en avoir les larmes aux yeux. Je me promis de ne plus jamais recommencer. Mon père venait de mettre la maison en vente, n’écoutant que lui et ses savants calculs financiers, et dans des cartons austères et sinistres disparaissaient les sourires figés de ma mère. Je tentais de m’activer, je devais vérifier mes cachettes et ne rien oublier. Je devais aussi saluer les murs, les sols, faire mes adieux aux boiseries, embrasser une dernière fois cette atmosphère dans laquelle flottait encore son parfum. Son parfum, et ses images, les échos de sa voix qui me parvenait encore, sa personne entière y habitait encore. Planait aussi l’horrible souvenir de son corps suspendu, de la froideur de son regard et de son visage effrayant, cette coquille vide.
Des feuilles, des dessins, des textes que j’avais écrit et surtout les toiles que m'avait peint ma mère. Amoureuse de Bosch et des peintres surréalistes, elle m’en parlait comme à un adulte. Elle m’expliquait les couleurs, les postures, et chaque détail de son art. Avec le regard de l’enfant sur sa mère, je le trouvais parfait. Et j’adorais ses peintures et ses feu d’artifice lumineux alors que j’ignorais tout des explosions qui les avaient amorcés. Mais ce jour-là, cette perfection m’effraya. Elle m’effraya car je compris qu’elle n’existait pas, qu’elle n’était qu’un leurre. J’en voulus à ma mère et j’écartai d’un geste brusque tout ce qui venait d’elle.
Mes bleus me torturaient, comme son sang sur mes genoux, lorsque mes yeux tombaient sur ces souvenirs qui tristement étaient heureux. Tandis que j'entassais ma vie dans des boites en carton, je voyais se pavaner mes traumatismes. Ils disaient « Crevons, crevons, crevons, ... » Sans s’arrêter et leurs mots tels des épées, tels des orages, des tempêtes dont le vent serait volonté, leurs mots dégustant les couleurs des fleurs comme l’azur du ciel, embrasant tout sourire, toute joie, ces mots heurtaient mes sens plus que de raison. J'ai honte aujourd'hui d'avoir eu de telles pensées. J'ai honte, mais en même temps, je les comprends, quand je songe au crime que je vais commettre.
Ma mère ne supportait pas qu’on évoque la religion, ou même le paranormal. J’avais à plusieurs reprise voulu savoir ce qu’elle pensait de l’existence de Dieu, ou du paradis, de l’enfer ou même de Jésus Christ. Je lui faisais souvent part de ma peur des créatures magiques, des extraterrestres et de tout ce que je ne connaissais pas, que la science n’expliquait pas. Chaque fois elle changeait de conversation. Comme elle le fit ce jour-là, lorsqu’en faisant mes devoirs, je lui parlai du Temple du Peuple et du massacre de Jonestown vu plus tôt dans un reportage à la télévision. Elle me reprocha de l’avoir regardé sans sa permission. Je remarquai immédiatement son regard, inhabituel, lorsqu’elle me répondit. Froid, dur, comme si je l’avais irritée. Ses mains se crispèrent légèrement, et après une profonde inspiration, elle me pressa de finir mon travail.
Depuis deux mois, la maison n’était habitée que par le silence et de temps en temps, quelques visiteurs faignant la tristesse venait jouer l’incompréhension. La vérité était toute autre, mon père et son air Caliméro se laissait cajoler, j’observais ses scènes à travers l’entrebâillement d’une porte, sous une table ou dans un coin sombre.
Pourtant, j’étais le seul pointé du doigt. On médisait, on chuchotait et on se taisait à mon approche. On prétendait s’inquiéter pour moi. J’avais maigri, je savais que je semblais malade, et mes visites fréquentes chez le médecin, comme ma mère l’avait instauré peu avant sa mort, mes visites n’y changeaient rien. Bien au contraire, la gravité de cet homme, ses soupirs et ses arrière-pensées m’agaçaient plus qu’autre chose, au fond, ils étaient tous les mêmes. Les mêmes ? Pas vraiment, non. Certains prétendaient tout savoir, tout savoir de la tristesse qu’on éprouve à la mort d’un proche, certains préféraient s’éloigner par peur d’avoir à affronter la réalité d’une fin, et d’autres, qui sont de loin les pires, profitaient de la situation. Mais qu’importe, il étaient tous égoïstes. Ma mère était morte. Ma mère était morte.
Sur les conseils d’un psychiatre, j’allais reprendre les cours. Bizarrement, ça ne me dérangeais pas. Ce que je trouvais étrange ce soir là, c’était ma nouvelle chambre. Je sus dès le début que je ne me l’approprierais pas. Tout me paraissait froid, sans humanité et vide, incroyablement vide. Vide de souvenirs, qu’ils soient bons ou mauvais. Abandonné par l’ancien propriétaire, seul le piano que j’avais arraché au salon, par le charme de sa droiture ajoutait un soupçon de vie à cet air sans odeur.
Ma mère parlait souvent de déménager. Elle trouvait notre maison trop grande, trop difficile à entretenir. Alors elle regardait, elle feuilletait les catalogues, puis plus tard, elle parcourait des pages internet, des heures et des heures entières. Aucune n’était à son goût. Bien sûr il lui arrivait fréquemment de s’arrêter sur l’une d’elles, de la scruter avec attention, parfois même elle allait jusqu’à la visiter. Puis s’ensuivait des journées de réflexion, de rêve et de doute, pour finalement conclure qu’il valait mieux ne pas partir, qu’elle aimait bien trop notre vieux chez nous. Et le cycle reprenait, à chaque déception : une fuite, une tuile qui se détache du toit ou bien simplement des travaux d’entretien à faire. Mais jamais elle ne prospectait sans m’en parler, sans me demander mon avis. Bien sûr, j’étais petit et très attaché aux habitudes, c’est à coups d’arguments irréfutables qu’elle arrivait souvent à me convaincre.
J’avais reçu il y a deux semaines une lettre d’encouragement de la part de ma classe. Si certains élèves s’étaient contentés de signer, d’autres avaient accompagné leurs marques de mots doux, comiques et amicaux qui m’avaient plongé dans une profonde béatitude. Pas d'ami, pas d'ennemi, j'avais l'habitude d'être seul. J'échangeais des "Bonjour" avec tout le monde, je souriais aux blagues, et même si parfois certaines me blessaient, je riais volontairement aux moqueries qu'on m'adressait. mais je ne me sentais proche de personne, comment être proche de quelqu'un ? Incapable, j'étais incapable. tout le monde était monstrueusement plus grand que moi, tous me dépassaient par leur esprit vif et leur reparti. Illusionné par leur immense confiance, je me pensais, je me savais moins que rien. j'avais juste tord de penser être seul. Ébloui par leur assurance, je les admirais autant que je les enviais, chaque personne, qu'elle soit adulte ou enfant, m'était infiniment supérieure et d'en bas je contemplais leurs rires comme on contemple les astres qu'on rêve, sans grand espoir, d'atteindre, un jour, sans doute…
Le lendemain, je me réveillai avec conviction et excitation. C’était une bonne chose de revoir quelques visages familiers, autre que mon père. C’était une bonne chose de revoir ces lieux où certes, je ne me sentais pas à ma place, mais au moins, ces lieux, je les connaissais. J’avais foulé ces sols, je savais les lézardes sur les murs, les marches grinçantes du vieil escalier du bâtiment D, l’odeur du bois des salles de Français, et celle des feutres des salles de sciences. J’allais retrouver le professeur de musique qui jouait du piano pendant les contrôles, que j’écoutais sans toucher ma feuille, et l’art plastique, M. Mavieu qui, grand rêveur, laissait libre court à notre imagination face à des feuilles de papier colorées, d’étranges sculptures et d’autres créations, le chahut de la classe qui ne saisissait pas cette chance.
Je souris en arrivant devant les grilles de mon collège. Austère, son imposante silhouette surplombait les rues de son ombre, gigantesque projection du soleil levant. Quelques élèves était là, cachés, pour fumer sans doute, d’autres attendaient devant le portail qu’un surveillant nous autorise à entrer. Je reconnaissais quelques visages, sans pour autant connaître leur nom. Pourtant, ça ne me faisait plus peur. Plus vraiment du moins. Provisoirement. J’avais besoin de me changer les idées, de voir autre chose que ces passants au regard faussement noir. Je savais qu’inévitablement, on me poserait des questions, qu’on parlerait de moi, sans médire, j’espérais, pour une fois. J’imaginais alors ce qu’on avait pu leur expliquer, leurs réactions, compréhension ? Moquerie ? Je ne voulais pas susciter la pitié, je ne voulais pas tirer profit d’un événement tragique, et c’est peu dire. Assurément, j’aurais préféré qu’ils n’en sachent rien, j’aurais voulu tout garder pour moi, ma mère, lui.
Nous commencions la journée avec français. En rentrant dans la cour, je fus submergé par une vague de mauvaises pensées, je me mis à courir, pour les fuir. Quel paradoxe, moi qui étais si content d’être ici. J’étais le premier à arriver devant la salle, la porte était ouverte, je me souviens avoir eu peur d’être en retard. Assis au bureau, bizarrement en train de trier de petits bouts de papier, il y avait un homme que je ne connaissais pas. Jeune, très fin, pas très grand, les cheveux courts et tout habillé de noir ; il semblait tout droit sorti d’un film de Tim Burton. Il m’invita à entrer.
« Je suis remplaçant, m’expliqua-t-il, tu ne t’es pas trompé de salle. »
Mon air cramoisi avait dû l’interpeler, et sitôt que je fus entré, en bousculades, arrivèrent les autres élèves.
Je fus accueilli à coups de « Salut, ça va ? » et de quelques poignées de mains, mais rien, pas d’affinité, seulement un sourire et un « Tu nous as manqué ». Elle s’appelait Charlotte. Toujours compatissante et souriante, admirable mais ambiguë, j’avais peur qu’elle soit menteuse.
« Voilà, tout le monde est là. commença le professeur dont j’ignorais le nom en présentant devant nous une boîte en carton, je vous ai préparé là dedans des mots, ceci est une boîte-à-mots. Je vais vous demander d’en prendre un, et un seul, et certains d’entre vous passeront au tableau pour explique ce que ce mot leur évoque. »
J’entendis quelques soupirs, des rires aussi, je savais ce qu’ils pensaient, oui, au fond, cet exercice ne servait pas à grand chose. Dans l’immédiat.
Moi j’aimais bien me perdre, partir d’une chose pour arriver à une autre simplement en suivant un fil je peine aussi à saisir. Mais j’ai été dessus, quand j’ai tiré le mot “embouteillage”.
Il ne m’évoquait pas grand chose, ou peut-être qu’à ce moment précis je n’avais pas trop envie de me livrer à l’exercice. Ce qu’on nous demandait n’était pourtant pas sorcier, on pouvait rester dans le concret. Un embouteillage m’aurait alors évoqué des voitures, des gens qui râlent, l’inconfort des voyages en voiture qui s’éternisent. Ou bien alors j’aurais pu comme d’habitude tout faire tourner autour de moi et parler de cette impression de blocage et de barricade imposés par le désordre de mes pensées, mais fort heureusement, je me suis abstenu.
J’ai attendu les mots des autres pour m’en aller rêver.
La première à parler, ce fut Charlotte.
« Le tourbillon, annonça-t-elle d’une voix enjouée. Le tourbillon, ça me fait penser aux sentiments, aux idées. Ça me fait penser au tourment. Au tourment, quand on ne peut pas choisir, quand aimerait se diviser, être partout ou bien nulle part, quand on est tiraillé, perdu… En fait, c’est exactement comme quand des parents divorcent. Chacun est là, à dire du mal de l’autre, et te faire de toi l’intermédiaire parce qu’ils ne se parlent plus, et c’est toi qui te fais disputer quand tu rapportes les demandes de l’un, de l’autre.
Sinon ça me fait aussi penser aux tourbillons au fond d’un lavabo qu’on débouche, vous saviez qu’ils ne tournaient pas dans le même sens en Afrique ? »
C’était pas tout à fait vrai, mais ça me fit rire. Elle avait dit tout cela très rapidement, sans perdre à un seul moment son sourire. J’avais aimé sa façon de s’exprimer, ses mimiques et son rire. La professeur la félicita. Je la suivis du regard pendant qu’elle retournait s’asseoir. Elle avait un visage très particulier. Difficile de dire si oui ou non elle était belle
Le deuxième à s’exprimer, c’était Mathieu. Grand, fort, il se fichait un peu de tout et de tout le monde, c’était son genre, son caractère, je me suis toujours dit qu’il avait ses raison. Aussi ça ne m’étonna pas quand il déclara que « Polymorphisme » n’évoquait pour lui que le Pokémon Métamorphe et qu’il ne chercha pas à aller plus loin quand l’homme en noir lui demanda de continuer.
Le dernier à passer s’appelait Quentin. C’était l’exact opposé, il était petit, ne tenait pas en place, il me faisait penser à une sauterelle.
« Alors hâle, attaqua-t-il en riant à moitié, hâle, ça me fait penser au magasin où on achète des vêtements et des chaussures.
- C’est hâle dans le sens… Bronzage. lui enseigna le professeur, ce qui immédiatement déclencha des gloussements dans toute la salle, moi inclus.
- Ah ok, se reprit Quentin, bah alors ça me fait penser aux vacances, à la mer et tout. Ça me fait aussi penser au soleil, à la crème solaire, aux châteaux de sable.»
Hâle, hâle, ce mot sonnait si bien, si doux, il me plaisait, mais il me rappelait mon père, mon père qui passait ses journées à la plage en observant les femmes aux seins nues, caché derrière des lunettes noires ou un livre toujours à la même page, toujours la même plage. Hâle. J’aimais le soleil, l’eau un peu moins. J’aimais les vagues, le sel me piquait mais je faisais avec. Je me souviens de ces vacances, que ma mère passait souvent seule, sans mari, ses grandes promenades le long des côtes, son amour des choses simples et le bruit, le bruit de la houle qui s’écrasait contre les rochers. Parfois on ne la voyait plus, ma mère, ma mère partait à l’eau et disparaissait dans ses vagues, ou ses vieilles pierres qu’elle foulait avec tendresse et pendant des heures, des journées, je l’attendais silencieusement, assis sur le sable et les pieds dans l’eau.
Hâle, c'était aussi sa peau, son sang, c'était ses yeux sombres et sa bonté.
Version corrigée repostée ci-dessous par l'auteur.
La Modération
Phoenamandre- Nombre de messages : 2423
Age : 33
Date d'inscription : 08/03/2009
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
je l'ai vite lu car j'ai peu de temps de connexion, mais je crois que j'adore toujours.
Ce personnage de solitaire entouré me plaît, car je m'y retrouve tout à fait
je copie colle pour m'y pencher mieux, sur ton cornichon.
Ce personnage de solitaire entouré me plaît, car je m'y retrouve tout à fait
je copie colle pour m'y pencher mieux, sur ton cornichon.
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Très bonne maîtrise de la narration : émotions, sentiment, indices, poésie… Tout concours à ce que cette nouvelle soit bonne. Un art consommé de la digression également. Félicitations.
Dans le premier opus, j'ai relevé :
- le manque de transition entre :
"des cris violents et de la folie urbaine." et "Parfois dans nos jeux, nous étions des dieux bienfaisants."
Et je pas compris la coupure entre :
"La silhouette haute et fière de ma lampe de chevet, de sa démagogie faussement sage, m'attirait hors mon lit et je fus prêt à céder." et "Si un bruit de verre brisé n'avait pas soudain arrêté mon geste."
Le troisième opus gagnerait à être aéré pour permettre une lecture plus aisée à l'écran (de même qu'à être relu plus attentivement avant d'être mis en ligne).
Relevé pas mal de fautes d'étourderie qu'une relecture plus attentive aurait pu nous épargner :
- des textes que j’avais écrit (écrits)
- les toiles que m'avait peint ma mère (peintes)
- et ses feu d’artifice (feux)
- J’avais à plusieurs reprise (reprises)
- quelques visiteurs faignant la tristesse (verbe feindre)
- il étaient tous égoïstes (Ils)
- ça ne me dérangeais pas (dérangeait)
- trouvais étrange ce soir là (soir-là)
- J'échangeais des "Bonjour" (bonjour)
- qu'on m'adressait. mais je ne me (Mais)
- j'étais incapable. tout le monde (Tout)
- par leur esprit vif et leur reparti
- moins que rien. j'avais (J'avais)
- j'avais juste tord de penser (tort)
- de revoir quelques visages familiers, autre que mon père. (autres)
- Quelques élèves était là, (étaient)
- pas à grand chose (grand-chose)
- La professeur la félicita (Le)
- dit qu’il avait ses raison (raisons)
- Bronzage. lui enseigna le professeur, (Bronzage, lui enseigna le professeur,)
- les femmes aux seins nues (nus)
Il manque des mots à 2 ou 3 endroits (je ne sais plus lesquels).
Dans le premier opus, j'ai relevé :
- le manque de transition entre :
"des cris violents et de la folie urbaine." et "Parfois dans nos jeux, nous étions des dieux bienfaisants."
Et je pas compris la coupure entre :
"La silhouette haute et fière de ma lampe de chevet, de sa démagogie faussement sage, m'attirait hors mon lit et je fus prêt à céder." et "Si un bruit de verre brisé n'avait pas soudain arrêté mon geste."
Le troisième opus gagnerait à être aéré pour permettre une lecture plus aisée à l'écran (de même qu'à être relu plus attentivement avant d'être mis en ligne).
Relevé pas mal de fautes d'étourderie qu'une relecture plus attentive aurait pu nous épargner :
- des textes que j’avais écrit (écrits)
- les toiles que m'avait peint ma mère (peintes)
- et ses feu d’artifice (feux)
- J’avais à plusieurs reprise (reprises)
- quelques visiteurs faignant la tristesse (verbe feindre)
- il étaient tous égoïstes (Ils)
- ça ne me dérangeais pas (dérangeait)
- trouvais étrange ce soir là (soir-là)
- J'échangeais des "Bonjour" (bonjour)
- qu'on m'adressait. mais je ne me (Mais)
- j'étais incapable. tout le monde (Tout)
- par leur esprit vif et leur reparti
- moins que rien. j'avais (J'avais)
- j'avais juste tord de penser (tort)
- de revoir quelques visages familiers, autre que mon père. (autres)
- Quelques élèves était là, (étaient)
- pas à grand chose (grand-chose)
- La professeur la félicita (Le)
- dit qu’il avait ses raison (raisons)
- Bronzage. lui enseigna le professeur, (Bronzage, lui enseigna le professeur,)
- les femmes aux seins nues (nus)
Il manque des mots à 2 ou 3 endroits (je ne sais plus lesquels).
Invité- Invité
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Version corrigée avec les conseils de luluberlu, que je remercie !
Partie 3
Je ne sais pas quelle drôle d’idée avait bien pu me traverser l’esprit. Je touchai mon bras gauche. C’était vraiment douloureux. Je m’étais vraiment pincé fort, jusqu’à en avoir les larmes aux yeux. Je me promis de ne plus jamais recommencer. Mon père venait de mettre la maison en vente, n’écoutant que lui et ses savants calculs financiers, et dans des cartons austères et sinistres disparaissaient les sourires figés de ma mère. Je tentais de m’activer, je devais vérifier mes cachettes et ne rien oublier. Je devais aussi saluer les murs, les sols, faire mes adieux aux boiseries, embrasser une dernière fois cette atmosphère dans laquelle flottait encore son parfum. Son parfum, et ses images, les échos de sa voix qui me parvenaient encore, sa personne entière continuait d'y habiter. Planait aussi l’horrible souvenir de son corps suspendu, de la froideur de son regard et de son visage effrayant, cette coquille vide.
Des feuilles, des dessins, des textes que j’avais écrits et surtout les toiles que m'avait peintes ma mère. Amoureuse de Bosch et des peintres surréalistes, elle m’en parlait si j'étais suffisamment adulte, assez mature pour tout comprendre de sa passion. Elle m’expliquait les couleurs, les postures, et chaque détail de son art. Avec le regard de l’enfant sur sa mère, je trouvais tout parfait. Et j’adorais ses peintures et ses feux d’artifice lumineux alors que j’ignorais tout des explosions qui les avaient amorcés. Mais ce jour-là, cette perfection m’effraya. Elle m’effraya car je compris qu’elle n’existait pas, qu’elle n’était qu’un leurre. J’en voulus à ma mère et j’écartai d’un geste brusque tout ce qui venait d’elle.
Mes bleus me torturaient, comme son sang sur mes genoux, lorsque mes yeux tombaient sur ces souvenirs qui tristement étaient heureux. Tandis que j'entassais ma vie dans des boites en carton, je voyais se pavaner mes traumatismes. Ils disaient « Crevons, crevons, crevons, ... » Sans s’arrêter et leurs mots tels des épées, tels des orages, des tempêtes dont le vent serait volonté, leurs mots dégustant les couleurs des fleurs comme l’azur du ciel, embrasant tout sourire, toute joie, ces mots heurtaient mes sens plus que de raison. J'ai honte aujourd'hui d'avoir eu de telles pensées. J'ai honte, mais en même temps, je les comprends, quand je songe au crime que je vais commettre.
Ces fantômes.
Ma mère ne supportait pas qu’on évoque la religion, ou même le paranormal. J’avais à plusieurs reprises voulu savoir ce qu’elle pensait de l’existence de Dieu, ou du paradis, de l’enfer ou même de Jésus Christ. Je lui faisais souvent part de ma peur des créatures magiques, des extraterrestres et de tout ce que je ne connaissais pas, que la science n’expliquait pas. Chaque fois elle changeait de conversation. Comme elle le fit ce jour-là, lorsqu’en faisant mes devoirs, je lui parlai du Temple du Peuple et du massacre de Jonestown vu plus tôt dans un reportage à la télévision. Elle me reprocha de l’avoir regardé sans sa permission. Je remarquai immédiatement son regard, inhabituel, lorsqu’elle me répondit. Froid, dur, comme si je l’avais irritée. Ses mains se crispèrent légèrement, et après une profonde inspiration, elle me pressa de finir mon travail.
Depuis deux mois, la maison n’était habitée que par le silence et de temps en temps, quelques visiteurs feignant la tristesse venait jouer l’incompréhension. La vérité était toute autre, mon père et son air Caliméro se laissait cajoler, j’observais ces scènes à travers l’entrebâillement d’une porte, sous une table ou dans un coin sombre.
Pourtant, j’étais le seul pointé du doigt. On médisait, on chuchotait et on se taisait à mon approche. On prétendait s’inquiéter pour moi. J’avais maigri, j'en avais conscience, je semblais malade ; et mes visites fréquentes chez le médecin, comme ma mère l’avait instauré peu avant sa mort, mes visites n’y changeaient rien. Bien au contraire, la gravité de cet homme, ses soupirs et ses arrière-pensées m’agaçaient plus qu’autre chose, au fond, ils étaient tous les mêmes. Les mêmes ? Pas vraiment, non. Certains prétendaient tout savoir, tout savoir de la tristesse qu’on éprouve à la mort d’un proche, certains préféraient s’éloigner par peur d’avoir à affronter la réalité d’une fin, et d’autres, qui sont de loin les pires, profitaient de la situation. Mais qu’importe, ils étaient tous égoïstes. Ma mère était morte. Ma mère était morte.
Sur les conseils d’un psychiatre, j’allais reprendre les cours. Bizarrement, ça ne me dérangeait pas. Ce que je trouvais étrange ce soir-là, c’était ma nouvelle chambre. Je sus dès le début que je ne me l’approprierais pas. Tout me paraissait froid, sans humanité et vide, incroyablement vide. Vide de souvenirs, qu’ils soient bons ou mauvais. Abandonné par l’ancien propriétaire, seul le piano que j’avais arraché du salon, par le charme de sa droiture ajoutait un soupçon de vie à cet air sans odeur.
Ma mère parlait souvent de déménager. Elle trouvait notre maison trop grande, trop difficile à entretenir. Alors elle regardait, elle feuilletait les catalogues, puis plus tard, elle parcourait des pages internet, des heures et des heures entières. Aucune n’était à son goût. Bien sûr il lui arrivait fréquemment de marquer une pause sur l’une d’elles, de la scruter avec attention, parfois même elle allait jusqu’à la visiter, la goûter. Puis s’ensuivait des journées de réflexion, de rêve et de doute, pour finalement conclure qu’il valait mieux ne pas partir, qu’elle chérissait bien trop notre vieux chez nous. Et le cycle reprenait, à chaque déception : une fuite, une tuile qui se détache du toit ou bien simplement des travaux d’entretien à faire. Pourtant jamais elle ne prospectait sans m’en parler, sans me demander mon avis. Bien sûr, j’étais petit et très attaché aux habitudes, c’est à coups d’arguments irréfutables qu’elle parvenait souvent à me convaincre.
J’avais reçu il y a deux semaines une lettre d’encouragement de la part de ma classe. Si certains élèves s’étaient contentés de signer, d’autres avaient accompagné leurs marques de mots doux, comiques et amicaux qui m’avaient plongé dans une profonde béatitude. Pas d'ami, pas d'ennemi, j'avais l'habitude d'être seul. J'échangeais des "bonjour" avec tout le monde, je souriais aux blagues, et même si parfois certaines me blessaient, je riais volontairement aux moqueries qu'on m'adressait. Mais je ne me sentais proche de personne, comment être proche de quelqu'un ? Incapable, j'étais incapable. Tout le monde était monstrueusement plus grand que moi, tous me dépassaient par leur esprit vif et leur repartie. Illusionné par leur immense confiance, je me pensais, je me savais moins que rien. J'avais juste tort de croire être seul. Ébloui par leur assurance, je les admirais autant que je les enviais, chaque personne, qu'elle soit adulte ou enfant, m'était infiniment supérieure, et d'en bas, je contemplais leurs rires comme on contemple les astres qu'on rêve, sans grand espoir, d'atteindre, un jour, sans doute…
Le lendemain, je me réveillai avec conviction et excitation. C’était une bonne chose de revoir quelques visages familiers, autres que mon père. C’était une bonne chose de revoir ces lieux où certes, je ne me sentais pas à ma place, mais au moins, ces lieux, je les connaissais. J’avais foulé ces sols, je savais les lézardes sur les murs, les marches grinçantes du vieil escalier du bâtiment D, l’odeur du bois des salles de Français, et celle des feutres des salles de sciences. J’allais retrouver le professeur de musique qui jouait du piano pendant les évaluations, je l’écoutais sans toucher ma feuille ; et l’art plastique, M. Mavieu qui, grand rêveur, laissait libre court à notre imagination face à des feuilles de papier colorées, d’étranges sculptures et d’autres créations, le chahut de la classe qui ne saisissait pas cette chance.
Je souris en arrivant devant les grilles de mon collège. Austère, son imposante silhouette surplombait les rues par son ombre gigantesque. Quelques élèves étaient là, cachés, pour fumer sans doute, d’autres attendaient devant le portail qu’un surveillant nous autorise à entrer. Je reconnaissais quelques visages, sans pour autant connaître leur nom. Pourtant, ça ne me faisait plus peur. Plus vraiment du moins. Provisoirement. J’avais besoin de me changer les idées, de voir autre chose que ces passants au regard faussement noir. Je savais qu’inévitablement, on me poserait des questions, qu’on parlerait de moi, sans médire, j’espérais, pour une fois. J’imaginais alors ce qu’on avait pu leur expliquer, leurs réactions, compréhension ? Moquerie ? Je ne voulais pas susciter la pitié, je ne voulais pas tirer profit d’un événement tragique, et c’est peu dire. Assurément, j’aurais préféré qu’ils n’en sachent rien, j’aurais voulu tout garder pour moi, ma mère, lui.
Nous commencions la journée avec français. En rentrant dans la cour, je fus submergé par une vague de mauvaises pensées, je me mis à courir, pour les fuir. Quel paradoxe, moi qui étais si content d’être ici. J’étais le premier à arriver devant la salle, la porte était ouverte, je me souviens avoir eu peur d’être en retard. Assis au bureau, bizarrement en train de trier de petits bouts de papier, il y avait un homme que je ne connaissais pas. Jeune, très fin, pas très grand, les cheveux courts et tout habillé de noir ; il semblait tout droit sorti d’un film de Tim Burton. Il m’invita à entrer.
« Je suis remplaçant, m’expliqua-t-il, tu ne t’es pas trompé de salle. »
Mon air cramoisi avait dû l’interpeller, et sitôt que je fus entré, en bousculades, arrivèrent les autres élèves.
Je fus accueilli à coups de « Salut, ça va ? » et de quelques poignées de mains, mais rien, pas d’affinité, seulement un sourire et un « Tu nous as manqué ». Elle s’appelait Charlotte. Toujours compatissante et souriante, admirable mais ambiguë, j’avais peur qu’elle soit menteuse.
« Voilà, tout le monde est là. commença le professeur dont j’ignorais le nom en présentant devant nous une boîte en carton, je vous ai préparé là dedans des mots, ceci est une boîte-à-mots. Je vais vous demander d’en prendre un, et un seul, et certains d’entre vous passeront au tableau pour explique ce que ce mot leur évoque. »
J’entendis quelques soupirs, des rires aussi, je savais ce qu’ils pensaient, oui, au fond, cet exercice ne servait pas à grand-chose. Dans l’immédiat.
Moi j’aimais bien me perdre, partir d’une chose pour arriver à une autre simplement en suivant un fil je peinais aussi à saisir. Mais j’ai été déçu, quand j’ai tiré le mot “embouteillage”.
Il ne m’évoquait pas grand chose, ou peut-être qu’à ce moment précis je n’avais pas trop envie de me livrer à l’exercice. Ce qu’on nous demandait n’était pourtant pas sorcier, on pouvait rester dans le concret. Un embouteillage m’aurait alors évoqué des voitures, des gens qui râlent, l’inconfort des voyages en voiture qui s’éternisent. Ou bien alors j’aurais pu comme d’habitude tout faire tourner autour de moi et parler de cette impression de blocage et de barricade imposés par le désordre de mes pensées, mais fort heureusement, je me suis abstenu.
J’ai attendu les mots des autres pour m’en aller rêver.
La première à parler, ce fut Charlotte.
« Le tourbillon, annonça-t-elle d’une voix enjouée. Le tourbillon, ça me fait penser aux sentiments, aux idées. Ça me fait penser au tourment. Au tourment, quand on ne peut pas choisir, quand aimerait se diviser, être partout ou bien nulle part, quand on est tiraillé, perdu… En fait, c’est exactement comme quand des parents divorcent. Chacun est là, à dire du mal de l’autre, et à faire de toi l’intermédiaire parce qu’ils ne se parlent plus, et c’est toi qui te fais disputer quand tu rapportes les demandes de l’un, de l’autre.
Sinon ça me fait aussi penser aux tourbillons au fond d’un lavabo qu’on débouche, vous saviez qu’ils ne tournaient pas dans le même sens en Afrique ? »
C’était pas tout à fait vrai, mais ça me fit rire. Elle avait dit tout cela très rapidement, sans perdre à un seul moment son sourire. J’avais aimé sa façon de s’exprimer, ses mimiques et son rire. Le professeur la félicita. Je la suivis du regard pendant qu’elle retournait s’asseoir. Elle avait un visage très particulier. Difficile de dire si oui ou non elle était belle
Le deuxième à s’exprimer, c’était Mathieu. Grand, fort, il se fichait un peu de tout et de tout le monde, c’était son genre, son caractère, je me suis toujours dit qu’il avait ses raison. Aussi ça ne m’étonna pas quand il déclara que « Polymorphisme » n’évoquait pour lui que le Pokémon Métamorphe et qu’il ne chercha pas à aller plus loin quand l’homme en noir lui demanda de continuer.
Le dernier à passer s’appelait Quentin. C’était l’exact opposé, il était petit, ne tenait pas en place, il me faisait penser à une sauterelle.
« Alors hâle, attaqua-t-il en riant à moitié, hâle, ça me fait penser au magasin où on achète des vêtements et des chaussures.
- C’est hâle dans le sens… Bronzage, lui enseigna le professeur, ce qui immédiatement déclencha des gloussements dans toute la salle, moi inclus.
- Ah ok, se reprit Quentin, bah alors ça me fait penser aux vacances, à la mer et tout. Ça me fait aussi penser au soleil, à la crème solaire, aux châteaux de sable.»
Hâle, hâle, ce mot sonnait si bien, si doux, il me plaisait, mais il me rappelait mon père, mon père qui passait ses journées à la plage en observant les femmes aux seins nus, caché derrière des lunettes noires ou un livre toujours à la même page, toujours la même plage. Hâle. J’aimais le soleil, l’eau un peu moins. J’aimais les vagues, le sel me piquait mais je faisais avec. Je me souviens de ces vacances, que ma mère passait souvent seule, sans mari, ses grandes promenades le long des côtes, son amour des choses simples et le bruit, le bruit de la houle qui s’écrasait contre les rochers. Parfois on ne la voyait plus, ma mère, ma mère partait à l’eau et disparaissait dans ses vagues, ou ses vieilles pierres qu’elle foulait avec tendresse et pendant des heures, des journées, je l’attendais silencieusement, assis sur le sable et les pieds dans l’eau.
Hâle, c'était aussi sa peau, son sang, c'était ses yeux sombres et sa bonté.
Partie 3
Je ne sais pas quelle drôle d’idée avait bien pu me traverser l’esprit. Je touchai mon bras gauche. C’était vraiment douloureux. Je m’étais vraiment pincé fort, jusqu’à en avoir les larmes aux yeux. Je me promis de ne plus jamais recommencer. Mon père venait de mettre la maison en vente, n’écoutant que lui et ses savants calculs financiers, et dans des cartons austères et sinistres disparaissaient les sourires figés de ma mère. Je tentais de m’activer, je devais vérifier mes cachettes et ne rien oublier. Je devais aussi saluer les murs, les sols, faire mes adieux aux boiseries, embrasser une dernière fois cette atmosphère dans laquelle flottait encore son parfum. Son parfum, et ses images, les échos de sa voix qui me parvenaient encore, sa personne entière continuait d'y habiter. Planait aussi l’horrible souvenir de son corps suspendu, de la froideur de son regard et de son visage effrayant, cette coquille vide.
Des feuilles, des dessins, des textes que j’avais écrits et surtout les toiles que m'avait peintes ma mère. Amoureuse de Bosch et des peintres surréalistes, elle m’en parlait si j'étais suffisamment adulte, assez mature pour tout comprendre de sa passion. Elle m’expliquait les couleurs, les postures, et chaque détail de son art. Avec le regard de l’enfant sur sa mère, je trouvais tout parfait. Et j’adorais ses peintures et ses feux d’artifice lumineux alors que j’ignorais tout des explosions qui les avaient amorcés. Mais ce jour-là, cette perfection m’effraya. Elle m’effraya car je compris qu’elle n’existait pas, qu’elle n’était qu’un leurre. J’en voulus à ma mère et j’écartai d’un geste brusque tout ce qui venait d’elle.
Mes bleus me torturaient, comme son sang sur mes genoux, lorsque mes yeux tombaient sur ces souvenirs qui tristement étaient heureux. Tandis que j'entassais ma vie dans des boites en carton, je voyais se pavaner mes traumatismes. Ils disaient « Crevons, crevons, crevons, ... » Sans s’arrêter et leurs mots tels des épées, tels des orages, des tempêtes dont le vent serait volonté, leurs mots dégustant les couleurs des fleurs comme l’azur du ciel, embrasant tout sourire, toute joie, ces mots heurtaient mes sens plus que de raison. J'ai honte aujourd'hui d'avoir eu de telles pensées. J'ai honte, mais en même temps, je les comprends, quand je songe au crime que je vais commettre.
Ces fantômes.
Ma mère ne supportait pas qu’on évoque la religion, ou même le paranormal. J’avais à plusieurs reprises voulu savoir ce qu’elle pensait de l’existence de Dieu, ou du paradis, de l’enfer ou même de Jésus Christ. Je lui faisais souvent part de ma peur des créatures magiques, des extraterrestres et de tout ce que je ne connaissais pas, que la science n’expliquait pas. Chaque fois elle changeait de conversation. Comme elle le fit ce jour-là, lorsqu’en faisant mes devoirs, je lui parlai du Temple du Peuple et du massacre de Jonestown vu plus tôt dans un reportage à la télévision. Elle me reprocha de l’avoir regardé sans sa permission. Je remarquai immédiatement son regard, inhabituel, lorsqu’elle me répondit. Froid, dur, comme si je l’avais irritée. Ses mains se crispèrent légèrement, et après une profonde inspiration, elle me pressa de finir mon travail.
Depuis deux mois, la maison n’était habitée que par le silence et de temps en temps, quelques visiteurs feignant la tristesse venait jouer l’incompréhension. La vérité était toute autre, mon père et son air Caliméro se laissait cajoler, j’observais ces scènes à travers l’entrebâillement d’une porte, sous une table ou dans un coin sombre.
Pourtant, j’étais le seul pointé du doigt. On médisait, on chuchotait et on se taisait à mon approche. On prétendait s’inquiéter pour moi. J’avais maigri, j'en avais conscience, je semblais malade ; et mes visites fréquentes chez le médecin, comme ma mère l’avait instauré peu avant sa mort, mes visites n’y changeaient rien. Bien au contraire, la gravité de cet homme, ses soupirs et ses arrière-pensées m’agaçaient plus qu’autre chose, au fond, ils étaient tous les mêmes. Les mêmes ? Pas vraiment, non. Certains prétendaient tout savoir, tout savoir de la tristesse qu’on éprouve à la mort d’un proche, certains préféraient s’éloigner par peur d’avoir à affronter la réalité d’une fin, et d’autres, qui sont de loin les pires, profitaient de la situation. Mais qu’importe, ils étaient tous égoïstes. Ma mère était morte. Ma mère était morte.
Sur les conseils d’un psychiatre, j’allais reprendre les cours. Bizarrement, ça ne me dérangeait pas. Ce que je trouvais étrange ce soir-là, c’était ma nouvelle chambre. Je sus dès le début que je ne me l’approprierais pas. Tout me paraissait froid, sans humanité et vide, incroyablement vide. Vide de souvenirs, qu’ils soient bons ou mauvais. Abandonné par l’ancien propriétaire, seul le piano que j’avais arraché du salon, par le charme de sa droiture ajoutait un soupçon de vie à cet air sans odeur.
Ma mère parlait souvent de déménager. Elle trouvait notre maison trop grande, trop difficile à entretenir. Alors elle regardait, elle feuilletait les catalogues, puis plus tard, elle parcourait des pages internet, des heures et des heures entières. Aucune n’était à son goût. Bien sûr il lui arrivait fréquemment de marquer une pause sur l’une d’elles, de la scruter avec attention, parfois même elle allait jusqu’à la visiter, la goûter. Puis s’ensuivait des journées de réflexion, de rêve et de doute, pour finalement conclure qu’il valait mieux ne pas partir, qu’elle chérissait bien trop notre vieux chez nous. Et le cycle reprenait, à chaque déception : une fuite, une tuile qui se détache du toit ou bien simplement des travaux d’entretien à faire. Pourtant jamais elle ne prospectait sans m’en parler, sans me demander mon avis. Bien sûr, j’étais petit et très attaché aux habitudes, c’est à coups d’arguments irréfutables qu’elle parvenait souvent à me convaincre.
J’avais reçu il y a deux semaines une lettre d’encouragement de la part de ma classe. Si certains élèves s’étaient contentés de signer, d’autres avaient accompagné leurs marques de mots doux, comiques et amicaux qui m’avaient plongé dans une profonde béatitude. Pas d'ami, pas d'ennemi, j'avais l'habitude d'être seul. J'échangeais des "bonjour" avec tout le monde, je souriais aux blagues, et même si parfois certaines me blessaient, je riais volontairement aux moqueries qu'on m'adressait. Mais je ne me sentais proche de personne, comment être proche de quelqu'un ? Incapable, j'étais incapable. Tout le monde était monstrueusement plus grand que moi, tous me dépassaient par leur esprit vif et leur repartie. Illusionné par leur immense confiance, je me pensais, je me savais moins que rien. J'avais juste tort de croire être seul. Ébloui par leur assurance, je les admirais autant que je les enviais, chaque personne, qu'elle soit adulte ou enfant, m'était infiniment supérieure, et d'en bas, je contemplais leurs rires comme on contemple les astres qu'on rêve, sans grand espoir, d'atteindre, un jour, sans doute…
Le lendemain, je me réveillai avec conviction et excitation. C’était une bonne chose de revoir quelques visages familiers, autres que mon père. C’était une bonne chose de revoir ces lieux où certes, je ne me sentais pas à ma place, mais au moins, ces lieux, je les connaissais. J’avais foulé ces sols, je savais les lézardes sur les murs, les marches grinçantes du vieil escalier du bâtiment D, l’odeur du bois des salles de Français, et celle des feutres des salles de sciences. J’allais retrouver le professeur de musique qui jouait du piano pendant les évaluations, je l’écoutais sans toucher ma feuille ; et l’art plastique, M. Mavieu qui, grand rêveur, laissait libre court à notre imagination face à des feuilles de papier colorées, d’étranges sculptures et d’autres créations, le chahut de la classe qui ne saisissait pas cette chance.
Je souris en arrivant devant les grilles de mon collège. Austère, son imposante silhouette surplombait les rues par son ombre gigantesque. Quelques élèves étaient là, cachés, pour fumer sans doute, d’autres attendaient devant le portail qu’un surveillant nous autorise à entrer. Je reconnaissais quelques visages, sans pour autant connaître leur nom. Pourtant, ça ne me faisait plus peur. Plus vraiment du moins. Provisoirement. J’avais besoin de me changer les idées, de voir autre chose que ces passants au regard faussement noir. Je savais qu’inévitablement, on me poserait des questions, qu’on parlerait de moi, sans médire, j’espérais, pour une fois. J’imaginais alors ce qu’on avait pu leur expliquer, leurs réactions, compréhension ? Moquerie ? Je ne voulais pas susciter la pitié, je ne voulais pas tirer profit d’un événement tragique, et c’est peu dire. Assurément, j’aurais préféré qu’ils n’en sachent rien, j’aurais voulu tout garder pour moi, ma mère, lui.
Nous commencions la journée avec français. En rentrant dans la cour, je fus submergé par une vague de mauvaises pensées, je me mis à courir, pour les fuir. Quel paradoxe, moi qui étais si content d’être ici. J’étais le premier à arriver devant la salle, la porte était ouverte, je me souviens avoir eu peur d’être en retard. Assis au bureau, bizarrement en train de trier de petits bouts de papier, il y avait un homme que je ne connaissais pas. Jeune, très fin, pas très grand, les cheveux courts et tout habillé de noir ; il semblait tout droit sorti d’un film de Tim Burton. Il m’invita à entrer.
« Je suis remplaçant, m’expliqua-t-il, tu ne t’es pas trompé de salle. »
Mon air cramoisi avait dû l’interpeller, et sitôt que je fus entré, en bousculades, arrivèrent les autres élèves.
Je fus accueilli à coups de « Salut, ça va ? » et de quelques poignées de mains, mais rien, pas d’affinité, seulement un sourire et un « Tu nous as manqué ». Elle s’appelait Charlotte. Toujours compatissante et souriante, admirable mais ambiguë, j’avais peur qu’elle soit menteuse.
« Voilà, tout le monde est là. commença le professeur dont j’ignorais le nom en présentant devant nous une boîte en carton, je vous ai préparé là dedans des mots, ceci est une boîte-à-mots. Je vais vous demander d’en prendre un, et un seul, et certains d’entre vous passeront au tableau pour explique ce que ce mot leur évoque. »
J’entendis quelques soupirs, des rires aussi, je savais ce qu’ils pensaient, oui, au fond, cet exercice ne servait pas à grand-chose. Dans l’immédiat.
Moi j’aimais bien me perdre, partir d’une chose pour arriver à une autre simplement en suivant un fil je peinais aussi à saisir. Mais j’ai été déçu, quand j’ai tiré le mot “embouteillage”.
Il ne m’évoquait pas grand chose, ou peut-être qu’à ce moment précis je n’avais pas trop envie de me livrer à l’exercice. Ce qu’on nous demandait n’était pourtant pas sorcier, on pouvait rester dans le concret. Un embouteillage m’aurait alors évoqué des voitures, des gens qui râlent, l’inconfort des voyages en voiture qui s’éternisent. Ou bien alors j’aurais pu comme d’habitude tout faire tourner autour de moi et parler de cette impression de blocage et de barricade imposés par le désordre de mes pensées, mais fort heureusement, je me suis abstenu.
J’ai attendu les mots des autres pour m’en aller rêver.
La première à parler, ce fut Charlotte.
« Le tourbillon, annonça-t-elle d’une voix enjouée. Le tourbillon, ça me fait penser aux sentiments, aux idées. Ça me fait penser au tourment. Au tourment, quand on ne peut pas choisir, quand aimerait se diviser, être partout ou bien nulle part, quand on est tiraillé, perdu… En fait, c’est exactement comme quand des parents divorcent. Chacun est là, à dire du mal de l’autre, et à faire de toi l’intermédiaire parce qu’ils ne se parlent plus, et c’est toi qui te fais disputer quand tu rapportes les demandes de l’un, de l’autre.
Sinon ça me fait aussi penser aux tourbillons au fond d’un lavabo qu’on débouche, vous saviez qu’ils ne tournaient pas dans le même sens en Afrique ? »
C’était pas tout à fait vrai, mais ça me fit rire. Elle avait dit tout cela très rapidement, sans perdre à un seul moment son sourire. J’avais aimé sa façon de s’exprimer, ses mimiques et son rire. Le professeur la félicita. Je la suivis du regard pendant qu’elle retournait s’asseoir. Elle avait un visage très particulier. Difficile de dire si oui ou non elle était belle
Le deuxième à s’exprimer, c’était Mathieu. Grand, fort, il se fichait un peu de tout et de tout le monde, c’était son genre, son caractère, je me suis toujours dit qu’il avait ses raison. Aussi ça ne m’étonna pas quand il déclara que « Polymorphisme » n’évoquait pour lui que le Pokémon Métamorphe et qu’il ne chercha pas à aller plus loin quand l’homme en noir lui demanda de continuer.
Le dernier à passer s’appelait Quentin. C’était l’exact opposé, il était petit, ne tenait pas en place, il me faisait penser à une sauterelle.
« Alors hâle, attaqua-t-il en riant à moitié, hâle, ça me fait penser au magasin où on achète des vêtements et des chaussures.
- C’est hâle dans le sens… Bronzage, lui enseigna le professeur, ce qui immédiatement déclencha des gloussements dans toute la salle, moi inclus.
- Ah ok, se reprit Quentin, bah alors ça me fait penser aux vacances, à la mer et tout. Ça me fait aussi penser au soleil, à la crème solaire, aux châteaux de sable.»
Hâle, hâle, ce mot sonnait si bien, si doux, il me plaisait, mais il me rappelait mon père, mon père qui passait ses journées à la plage en observant les femmes aux seins nus, caché derrière des lunettes noires ou un livre toujours à la même page, toujours la même plage. Hâle. J’aimais le soleil, l’eau un peu moins. J’aimais les vagues, le sel me piquait mais je faisais avec. Je me souviens de ces vacances, que ma mère passait souvent seule, sans mari, ses grandes promenades le long des côtes, son amour des choses simples et le bruit, le bruit de la houle qui s’écrasait contre les rochers. Parfois on ne la voyait plus, ma mère, ma mère partait à l’eau et disparaissait dans ses vagues, ou ses vieilles pierres qu’elle foulait avec tendresse et pendant des heures, des journées, je l’attendais silencieusement, assis sur le sable et les pieds dans l’eau.
Hâle, c'était aussi sa peau, son sang, c'était ses yeux sombres et sa bonté.
Phoenamandre- Nombre de messages : 2423
Age : 33
Date d'inscription : 08/03/2009
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
voilà j'ai tout relu depuis le début.
Vraiment réussi, à la fois délicat et profond, doux et dur, servi par une belle écriture pleine de fantaisie et de charme.
Continue, j'attends la suite !
Vraiment réussi, à la fois délicat et profond, doux et dur, servi par une belle écriture pleine de fantaisie et de charme.
Continue, j'attends la suite !
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
J'ai tout relu et bravo ça se lit avec plaisir ; on est en pleine immersion car c'est bien écrit et il y a là un ton et un univers bien construit et trés particulier, à mi chemin entre rêve (souvenirs) et réalité, détails prosaïques et poétiques...
Juste une remarque : à un moment tu parles du père et de son air Caliméro...Evite ça fait intervenir une image de dessin animé et fait sortir de la lecture, si on connait, et si on ne connait pas, et bien on reste perplexe.
Juste une remarque : à un moment tu parles du père et de son air Caliméro...Evite ça fait intervenir une image de dessin animé et fait sortir de la lecture, si on connait, et si on ne connait pas, et bien on reste perplexe.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
J'ai tout lu. Très sympa ; y'aurait sûrement de petites choses à corriger, mais je me suis laissé embarquer et je n'y ai pas fait attention.
J'attends la suite aussi.
J'attends la suite aussi.
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
4 ème partie (oulala, le temps d'attente est de plus en plus long :-) )
Fort heureusement, le professeur ne me demanda d’exécuter l’exercice face aux autres. Dehors, le ciel s’était assombri et on entendait, très lointain, le tonnerre, la foudre trancher l’air.
L'orage ramenait toujours à la mélancolie qui se muait parfois en larmes ou en colère, cette mélancolie qu'aucune peau de chagrin n'aurait pu ôter. Ma mère a toujours su conserver son sourire sempiternel, le soir pourtant, je l'entendais soupirer. Je l'imaginais dans son lit, après une rude journée, ne trouvant pas le sommeil aux côtés de mon père qui ronflait.
La sonnerie me rappela à l'ordre et mit un terme à ma songerie. Pour la première fois, je rangeai mes affaires rapidement afin d'éviter qu'on me pose des questions et sortis de la salle.
Les escaliers, les couloirs, en fait tout le bâtiment G où se trouvaient les salles de français et de musique était bien plus vieux que le reste du collège. On trouvait sur les murs les marques des générations, ces collégiens qui, maintenant parents ou grands-parents, avaient laissé leurs traces, leurs noms. J’avais toujours adoré les inconnus, je rêvais d’eux, en les idéalisant, j’essayais de les connaître mais pas trop non plus. Lors de mon arrivée en sixième, je m'étais amusé à relever quelques identités, je les avais récoltés au hasard et j'avais procédé à des recherches pour savoir qui étaient ces hommes, ces femmes dont le patronyme n'avait pas encore de visage.
Stéphanie Marty. J'avais commencé par elle. Sur le mur faisant face à la salle G03, on pouvait lire « Stéphanie Marty, 4ème 4 ! ». Stéphanie, j’avais repéré son nom, dans un article du journal local. Elle avait la trentaine maintenant, avait deux enfants en bas âge et était adjointe au maire de la ville de Saint Memmie.
Bertrand Sacré, j'avais trouvé son nom sur la porte des toilettes. Internet m'indiqua qu'il n'avait pas de femme, tout du moins je l'espérais puisqu'il était inscrit sur un site de rencontres.
Finalement, Arthur Barbier s’était tué en voiture à l’âge de dix-neuf ans, alors qu’il revenait d’une soirée étudiante, l’alcool, sans doute, il avait été retrouvé dans la Marne le lendemain matin. Je me souviens avoir eu un haut le cœur en découvrant son histoire. Il avait eu mon âge, parfois j’avais tendance à oublier que mes aînés avaient aussi été enfants. Mais il est mort. Il n’en avait strictement aucune idée quand il avait noté son prénom sur ce banc.
Ce fut ma dernière recherche, je ne voulais pas retomber sur de pareilles nouvelles.
J'allais retrouver l'univers du cours de musique.
Monsieur Géant, bien que fort petit, avait quatre mains. Du moins, par amusement je le soupçonnais d’en cacher deux autres sous sa chemise. Le piano numérique de la salle de musique le savait sans doute mieux que moi, mais c’est lui qui par ses grincements et ses couinements m’avait soufflé que mon professeur n’était pas humain.
Monsieur Géant ne parlait pas énormément aux élèves en dehors des cours, il ne liait aucun lien amical avec nous, donc très peu d’étudiants l’appréciaient. Ce que je ressentais pour lui n’était qu’admiration. Admiration, lorsque je voyais le spectacle de ses mains dansant avec grâce sur le clavier blanc et noir, admiration lorsque les sons tantôt doux, tantôt plus violent plongeaient mon corps et mon esprit dans une profonde béatitude qui, selon certains de mes camarades, se matérialisait sur mon visage par des grimaces incontrôlées. Un homme tel que lui aurait soulevé les foules, mais il restait, devant des gamins goguenards, à donner un cours dont personne ne tirait profit, que ce soit lui, ou nous.
Qui était ce musicien silencieux ? Quand il accompagna de ses notes le chant faux d’un de mes camarades, je l’observai attentivement. Je le fixai, je traversai les rides de son front soucieux, j’outrepassai les soupirs, j’y vis la passion. La passion d’un homme seul, seul au milieu de tous. Je l’avais compris et je me mis à sourire. Mon voisin me rappela à l’ordre d’un petit coup de coude dans les côtes.
« Tu recommences, souffla-t-il. »
Ce n’était pas pareil, cette fois. J’aurais aimé qu’il partage ses secrets avec nous, ses connaissances, bien différentes de celles que l’on peut trouver dans les livres, son amour, qu’il nous abreuve de son ivresse des rythmes, qu’il nous contamine par sa fièvre et sa folie musicale.
Je ne savais pas, en ce temps, ce que signifiait être fou.
Le ciel blanc se teintait de noir, la journée s’écoulait lentement et je recommençais déjà à regarder ma montre qui de fil en aiguille laissait filer le temps. Il ne pleuvait plus, j’étais content, je rentrais à pied.
Traînant, lent, je pris mon temps sur le chemin du retour. Je fermai les yeux en avançant, privé de la vue je laissai le monde des sons et des odeurs se dévoiler à mes sens. Je n'ouvris les yeux que devant mon nouveau chez moi. Je rentrai sans faire de bruit. Plus tard, je mangeai sans faire de bruit. Puis, je rejoins ma chambre, sans faire de bruit. Sur ma porte, il y avait un miroir. Dans ce miroir, mon image. Je n’aimais pas les miroirs parce que ce reflet, qu’on le trouve beau ou laid, c’était moi. Je n’étais pas qu’une simple pensée, voilà comment les gens me voyaient. Je me pris à me regarder fixement. Fixement. Comme si je me découvrais pour la première fois, je levais un bras, puis l’autre, sans comprendre ce que je faisais dans ce corps, je le commandais, telle une machine il m’obéissait, sans pour autant faire partie de moi. Je l’habitais tel un parasite, même mon visage je ne le reconnaissais pas.
Mon père regardait la télévision. J’entendais ses bêtises jusque dans ma chambre, alors je fermai ma porte. Il faisait déjà noir, et je restai là, à contempler le vide. J’aimais ces secondes qui suivent une torpeur soudaine.
Je m’assis sur mon lit, observant le silence. Temps mort dans mes croches, point d’orgue sur la ronde de mes pensées, ce silence d’or devint plomb.
Les grincements du plancher de mon ancienne maison me manquèrent. Cette journée s’était très bien passée. Je pensais un peu à Charlotte, j’étais content de l’avoir vue. Mais malgré cela, je n’avais aucune envie d’être heureux. J’essayai de vider mon esprit. On dit que parfois, trop rapidement, les visages de nos morts disparaissent, qu’on oublie peu à peu leur image. Ce n’était pas mon cas. Je ne voyais plus ni amour ni rire, mais le corps de ma mère continuait de planer pâle et froid, la tête basse, et sur mes genoux, du sang, sa peau brûlante, son regard vide.
« Revenez. »
Je m’allongeai.
Je me blottissais.
Je m’inventais une autre histoire.
Tout allait pour le mieux.
J’imaginais que ma couverture avait des bras, j’imaginais sa respiration et sa chaleur, j’écoutais battre son cœur, je sentais son odeur. Et je pleurais sans bruit. J’enlaçais une dernière fois sa tendresse avant de m’endormir.
Fort heureusement, le professeur ne me demanda d’exécuter l’exercice face aux autres. Dehors, le ciel s’était assombri et on entendait, très lointain, le tonnerre, la foudre trancher l’air.
L'orage ramenait toujours à la mélancolie qui se muait parfois en larmes ou en colère, cette mélancolie qu'aucune peau de chagrin n'aurait pu ôter. Ma mère a toujours su conserver son sourire sempiternel, le soir pourtant, je l'entendais soupirer. Je l'imaginais dans son lit, après une rude journée, ne trouvant pas le sommeil aux côtés de mon père qui ronflait.
La sonnerie me rappela à l'ordre et mit un terme à ma songerie. Pour la première fois, je rangeai mes affaires rapidement afin d'éviter qu'on me pose des questions et sortis de la salle.
Les escaliers, les couloirs, en fait tout le bâtiment G où se trouvaient les salles de français et de musique était bien plus vieux que le reste du collège. On trouvait sur les murs les marques des générations, ces collégiens qui, maintenant parents ou grands-parents, avaient laissé leurs traces, leurs noms. J’avais toujours adoré les inconnus, je rêvais d’eux, en les idéalisant, j’essayais de les connaître mais pas trop non plus. Lors de mon arrivée en sixième, je m'étais amusé à relever quelques identités, je les avais récoltés au hasard et j'avais procédé à des recherches pour savoir qui étaient ces hommes, ces femmes dont le patronyme n'avait pas encore de visage.
Stéphanie Marty. J'avais commencé par elle. Sur le mur faisant face à la salle G03, on pouvait lire « Stéphanie Marty, 4ème 4 ! ». Stéphanie, j’avais repéré son nom, dans un article du journal local. Elle avait la trentaine maintenant, avait deux enfants en bas âge et était adjointe au maire de la ville de Saint Memmie.
Bertrand Sacré, j'avais trouvé son nom sur la porte des toilettes. Internet m'indiqua qu'il n'avait pas de femme, tout du moins je l'espérais puisqu'il était inscrit sur un site de rencontres.
Finalement, Arthur Barbier s’était tué en voiture à l’âge de dix-neuf ans, alors qu’il revenait d’une soirée étudiante, l’alcool, sans doute, il avait été retrouvé dans la Marne le lendemain matin. Je me souviens avoir eu un haut le cœur en découvrant son histoire. Il avait eu mon âge, parfois j’avais tendance à oublier que mes aînés avaient aussi été enfants. Mais il est mort. Il n’en avait strictement aucune idée quand il avait noté son prénom sur ce banc.
Ce fut ma dernière recherche, je ne voulais pas retomber sur de pareilles nouvelles.
J'allais retrouver l'univers du cours de musique.
Monsieur Géant, bien que fort petit, avait quatre mains. Du moins, par amusement je le soupçonnais d’en cacher deux autres sous sa chemise. Le piano numérique de la salle de musique le savait sans doute mieux que moi, mais c’est lui qui par ses grincements et ses couinements m’avait soufflé que mon professeur n’était pas humain.
Monsieur Géant ne parlait pas énormément aux élèves en dehors des cours, il ne liait aucun lien amical avec nous, donc très peu d’étudiants l’appréciaient. Ce que je ressentais pour lui n’était qu’admiration. Admiration, lorsque je voyais le spectacle de ses mains dansant avec grâce sur le clavier blanc et noir, admiration lorsque les sons tantôt doux, tantôt plus violent plongeaient mon corps et mon esprit dans une profonde béatitude qui, selon certains de mes camarades, se matérialisait sur mon visage par des grimaces incontrôlées. Un homme tel que lui aurait soulevé les foules, mais il restait, devant des gamins goguenards, à donner un cours dont personne ne tirait profit, que ce soit lui, ou nous.
Qui était ce musicien silencieux ? Quand il accompagna de ses notes le chant faux d’un de mes camarades, je l’observai attentivement. Je le fixai, je traversai les rides de son front soucieux, j’outrepassai les soupirs, j’y vis la passion. La passion d’un homme seul, seul au milieu de tous. Je l’avais compris et je me mis à sourire. Mon voisin me rappela à l’ordre d’un petit coup de coude dans les côtes.
« Tu recommences, souffla-t-il. »
Ce n’était pas pareil, cette fois. J’aurais aimé qu’il partage ses secrets avec nous, ses connaissances, bien différentes de celles que l’on peut trouver dans les livres, son amour, qu’il nous abreuve de son ivresse des rythmes, qu’il nous contamine par sa fièvre et sa folie musicale.
Je ne savais pas, en ce temps, ce que signifiait être fou.
Le ciel blanc se teintait de noir, la journée s’écoulait lentement et je recommençais déjà à regarder ma montre qui de fil en aiguille laissait filer le temps. Il ne pleuvait plus, j’étais content, je rentrais à pied.
Traînant, lent, je pris mon temps sur le chemin du retour. Je fermai les yeux en avançant, privé de la vue je laissai le monde des sons et des odeurs se dévoiler à mes sens. Je n'ouvris les yeux que devant mon nouveau chez moi. Je rentrai sans faire de bruit. Plus tard, je mangeai sans faire de bruit. Puis, je rejoins ma chambre, sans faire de bruit. Sur ma porte, il y avait un miroir. Dans ce miroir, mon image. Je n’aimais pas les miroirs parce que ce reflet, qu’on le trouve beau ou laid, c’était moi. Je n’étais pas qu’une simple pensée, voilà comment les gens me voyaient. Je me pris à me regarder fixement. Fixement. Comme si je me découvrais pour la première fois, je levais un bras, puis l’autre, sans comprendre ce que je faisais dans ce corps, je le commandais, telle une machine il m’obéissait, sans pour autant faire partie de moi. Je l’habitais tel un parasite, même mon visage je ne le reconnaissais pas.
Mon père regardait la télévision. J’entendais ses bêtises jusque dans ma chambre, alors je fermai ma porte. Il faisait déjà noir, et je restai là, à contempler le vide. J’aimais ces secondes qui suivent une torpeur soudaine.
Je m’assis sur mon lit, observant le silence. Temps mort dans mes croches, point d’orgue sur la ronde de mes pensées, ce silence d’or devint plomb.
Les grincements du plancher de mon ancienne maison me manquèrent. Cette journée s’était très bien passée. Je pensais un peu à Charlotte, j’étais content de l’avoir vue. Mais malgré cela, je n’avais aucune envie d’être heureux. J’essayai de vider mon esprit. On dit que parfois, trop rapidement, les visages de nos morts disparaissent, qu’on oublie peu à peu leur image. Ce n’était pas mon cas. Je ne voyais plus ni amour ni rire, mais le corps de ma mère continuait de planer pâle et froid, la tête basse, et sur mes genoux, du sang, sa peau brûlante, son regard vide.
« Revenez. »
Je m’allongeai.
Je me blottissais.
Je m’inventais une autre histoire.
Tout allait pour le mieux.
J’imaginais que ma couverture avait des bras, j’imaginais sa respiration et sa chaleur, j’écoutais battre son cœur, je sentais son odeur. Et je pleurais sans bruit. J’enlaçais une dernière fois sa tendresse avant de m’endormir.
Phoenamandre- Nombre de messages : 2423
Age : 33
Date d'inscription : 08/03/2009
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Je trouve que ça fléchit un peu dans cette dernière partie, on a le sentiment de redites.
Mais je suis toujours.
Mais je suis toujours.
Invité- Invité
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
J'viens de tout lire à la suite
Phoe, mon pote, je t'aime ^^
Bien sûr, si je faisais un examen phrases par phrases (je pourrais remarque), je trouverais certainement pas mal de choses à redire, mais cela ne changerait rien à ce que ce texte dégage.
J'aime particulièrement que toutes les "séquences" soient mêlées, à savoir les souvenirs, les pensées, le présent, etc ; tu articules formidablement ces moments, créant une mélancolie mystérieuse délicieuse.
Merci
Phoe, mon pote, je t'aime ^^
Bien sûr, si je faisais un examen phrases par phrases (je pourrais remarque), je trouverais certainement pas mal de choses à redire, mais cela ne changerait rien à ce que ce texte dégage.
J'aime particulièrement que toutes les "séquences" soient mêlées, à savoir les souvenirs, les pensées, le présent, etc ; tu articules formidablement ces moments, créant une mélancolie mystérieuse délicieuse.
Merci
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
ah, celui-là, du fond de ma fatigue je l'avais repéré et me réjouissais à l'avance de le lire.
Je suis toujours sous le charme de cette écriture, de cette histoire, de ce personnage, j'apprécie beaucoup la structure qui réussit à superposer pensées, sensations, souvenirs et déroulement du temps, la mélancolie douce qui se dégage de tout cela, mêlée à une certaine violence.
Elle avait un visage très particulier. Difficile de dire si oui ou non elle était belle ça me plaît, tout simplement parce que j'aime les visages singuliers dont on ne sait dire s'ils sont beaux ou laids.
Et la dernière image de la mère, l'image hideuse de la mort, qui longtemps vient hanter plutôt que les images radieuses, ça parle aussi.
Bref, toujours fan, vivement la suite
Je suis toujours sous le charme de cette écriture, de cette histoire, de ce personnage, j'apprécie beaucoup la structure qui réussit à superposer pensées, sensations, souvenirs et déroulement du temps, la mélancolie douce qui se dégage de tout cela, mêlée à une certaine violence.
Elle avait un visage très particulier. Difficile de dire si oui ou non elle était belle ça me plaît, tout simplement parce que j'aime les visages singuliers dont on ne sait dire s'ils sont beaux ou laids.
Et la dernière image de la mère, l'image hideuse de la mort, qui longtemps vient hanter plutôt que les images radieuses, ça parle aussi.
Bref, toujours fan, vivement la suite
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Je tire mon chapeau à ceux qui seront capables d'en reprendre la lecture après un temps de pause aussi long :-)
Déjà bonne année à tous et...
5ème partie.
Je me souviendrai toujours de ma rencontre avec Pierre. Quand il avait simplement perdu patience au club de tir à l’arc. Je n’ai pas oublié la corde tendue de son arme, sa flèche pointée vers moi, son regard perdu, son visage fatigué crispé par la haine. Un silence aussi, un lourd silence lorsque tout le monde observait la scène, le temps en apnée, je scrutais ses yeux, ses cernes.
C’était le jour de mes treize ans, c’était le jour de ses onze ans, nous étions membres du club où mon père m’avait obligé à m’inscrire.
« C’est pour ton bien, m’avait-il dit. »
Il ne voulait pas que je sois dans ses pattes.
Voilà comment avaient démarré mes vacances d’été.
Maintenant prêts à affronter la rentrée, Pierre et moi étions devenus amis. Comment ça s’était passé ? Je n’en avais aucune idée.
Je l’attendais.
Je m’étais retracé cette journée, cette première journée, quand il avait menacé avec une flèche cassée de “tous nous assassiner”. Le voulait-il vraiment ? Je ne suis plus sûr de rien, aujourd’hui.
Chaque fois que je le regardais, j’avais honte, très honte. Honte de cette première rencontre où je m’étais permis de juger sa colère, en ne connaissant rien de lui. Lui, d’un seul coup d’œil connaissait tous les défauts des autres, ce que j’aurais mis des mois à découvrir. Et je l’enviais, d’une certaine manière.
Je tenais un livre, droit devant mes yeux, mais je ne lisais pas parce je guettais sa venue, je lui avais promis de l’accompagner pour sa rentrée en sixième. J’attendis cinq minutes de plus, puis voyant qu’il ne venait pas, je courus jusque chez lui.
Je sonnai. Trois, quatre, cinq secondes et je vis la poignée de sa porte s’abaisser, c’était Pierre.
« Qu’est-ce que tu fais, lui demandai-je encore essoufflé, tu vas être en retard !
– Ça sert à rien, soupira-t-il. »
Il avait passé les deux dernières semaines à ressasser combien il détestait le système scolaire, et en proie à une terrible panique, je l’avais vu se décomposer au fur et à mesure que la rentrée approchait. Là, il se tenait tout penaud, devant le pas de sa porte, presque honteusement.
« Allez, dépêche-toi, lui dis-je en souriant. »
Manifestement, il était déjà prêt. Il ne lui resta qu’à prendre son sac, et nous partîmes sans rien dire. Ses yeux étaient terriblement cernés.
Je n’avais pas cours aujourd’hui, ma rentrée était le lendemain. Je l’emmenai donc le matin, et j’avais prévu d’aller le récupérer le soir. Les parents étaient très nombreux au collège, dans la cours, tenant la main de leurs enfants. Sans doute plus nombreux que les élèves, du moins ils étaient plus bruyants, parfois même plus inquiets. Qu’en était-il de la mère de Pierre ? Je pensais qu’elle avait beaucoup à faire. Sa mère ne lui avait jamais reproché d’avoir été renvoyé du club de tir à l’arc. J’imaginais que c’était par pure sympathie. Une mère ne pouvait pas être mauvaise. Pierre était livide, anxieux, je dus presque le pousser pour qu’il passe la grille noire de l’établissement. Nous n’étions pas en avance, c’est sûr. À peine entrés, un homme commença à appeler des noms pour former les différentes classes, celui de Pierre ne tarda pas à être prononcé. Je lui lançai un regard navré, il me sourit.
« À plus, me dit-il. »
Et il partit, comme si de rien n’était.
Je revins le chercher vers seize heures, je le retrouvai égal à lui-même.
« Ça s’est bien passé ? lui demandai-je.
– Ça va, lâcha-t-il presque avec agacement. »
Je n’allai pas plus loin dans mon interrogatoire.
Il avait retrouvé sa froideur, dans son regard, son ton cassant, il était comme ça Pierre, bien souvent…
Je ne savais jamais comment agir avec lui. Il recherchait le silence, le calme pour laisser croître sa colère. J’avais peur de le froisser, de le blesser, un rien aurait suffi pour que je le perde et je m’en doutais déjà.
Ma mère bien souvent choisissait ce silence pour me réconforter. Elle savait tout dire en se taisant. J’avais peur d’en être incapable.
« Bon bah, je te laisse, lui dis-je en arrivant devant chez lui.
Tu pars, me demanda-t-il ? »
Sa maison sentait le chagrin à plein nez, le silence aussi. Je n’avais pas compris la première fois que j’étais venu, pourquoi les murs étaient sales, pourquoi le sol était poussiéreux. Pourquoi l’atmosphère était lourde, pourquoi les pièces étaient sombres, les volets fermés. Et sa mère, qui ne m’avait pas vu quand j’étais entré, qui ne m’avait pas répondu quand je l’avais saluée.
« Laisse tomber, m’avait dit Pierre. »
La chambre de Pierre n’était pas la chambre d’un enfant. Pas de jouet, aucun livre, la pièce paressait vide, vide et sombre comme le reste de la maison. Seul trônait tout au fond sur un petit bureau un vieil écran cathodique et une tour d’ordinateur.
Pierre avait une sœur, avant. Une petite sœur dont je n’avais pu voir qu’une photographie qu’il gardait précieusement.
« J’étais son grand frère, m’avait-il dit. »
L’enfant jouait dans la rue, juste en face de chez elle quand est survenu l’accident. Les jours qui suivirent, l’enterrement, tout cela Pierre s’en souvenait, mais il gardait surtout en mémoire la conductrice.
« Elle était noire. »
Comme son regard.
Regard que je n’ai pas pu soutenir.
Je n’avais pas compris, à l’époque, en quoi il trouvait ce détail si important.
Pierre ne jouait pas. Pas même sur son ordinateur. On devinait presque dans ses cernes les lignes de codes qui se reflétaient sur son visage pâle, soucieux et concentré. Je l’imaginais, cette nuit qu’il avait dû vivre avant de reprendre les cours, penché sur l’écran scintillant, les paupières lourdes mais un code à finir à tout prix. Je savais aussi que, lorsque couché, l’écran éteint, il continuait de voir les structures de son programme. Quand il fermait les paupières, les boucles, les conditions s’enchaînaient dans le vacarme de ses préoccupations.
Comment résoudre ce fichu bogue bloquant ?
D’où venait cette erreur de segmentation ?
Est-ce que sa mère pensait encore à lui ?
Je ne savais pas à quel point Pierre pouvait être seul.
Le ciel encombré de nuage s’assombrissait, je devais rentrer avant la pluie, malgré tout je revins en traînant des pieds, en flânant, je pris mon temps. Je regardais les passants se presser en regardant un coup le ciel, un coup leurs montres, rythmés par le son des talons aiguilles des femmes, des talonnettes des hommes et le grondement des valises à roulettes.
Un parfum, un parfum échappé d’une nuque vint se loger dans mes narines. Je m’arrêtais pour le sentir, je cherchais de la vue cette odeur caractéristique que je connaissais sans reconnaître, mauvaise méthode. Pudique, je baissais les yeux.
Ce parfum c’était un souvenir. Une odeur de nostalgie, un goût à la fois doux et amer. Je ne savais pas le situer, lui donner de visage, en éveiller les couleurs. J’éprouvais l’amour, mais une boule de chagrin l’étouffait.
Comment comprendre ? L’odeur s’était largement estompée, remplacée par la sueur des hommes et l’essence brûlée.
Tant pis. Je voulus la chasser de mon esprit, mais elle persistait, qu’était-elle ? Je marchai, je revenais chez moi farfouillant, plongeant, creusant dans les abysses de ma mémoire. J’avançais sans regarder, les yeux fermés peut-être. Embrumé dans mes pensées, un coup de klaxon me somma de reprendre mes esprits.
J’étais au milieu d’une rue en plein centre-ville. Comment étais-je arrivé là ? Aucune idée.
Impossible de m’en débarrasser, cette vapeur, cette nausée, son arrière-goût. Je m’assis près d’un poteau, j’attendis la pluie.
Un peu de douceur, des rires et de la rancœur. Je voyais la joie, mais aussi l’inexplicable, un regard accusateur, des paroles violentes, ma culpabilité.
Flou, des voix muettes, des ombres. Une atmosphère qui ne se faisait pas sentir, un mal de crâne, ça me donnait mal au crâne, j’approchais ! L’odeur au bout du nez ! Je touchais le souvenir, mais aussitôt il se dérobait, il m’échappait, ce terrible supplice.
Un flash. Des lumières, des visages, du brouhaha, de la musique, c’était le mariage de mes parents.
Tous les enfants n’ont pas la chance d’assister à l’union de leurs parents. J’étais à l’âge où les pantalons me dépassaient, je n’avais que trois ans. Mon père avait eu une éducation religieuse très stricte, mais moi, c’était la première fois que je me retrouvais dans une église. Je n’ai même pas été baptisé.
Comme tout enfant j’étais persuadé que les grandes personnes ne connaissaient pas les larmes. Or ce jour-là, j’ai vu un adulte pleurer. C’était la meilleure amie de ma mère. Je ne me souviens pas grand-chose d’elle, pas même son visage, seulement sa présence. Son aura. Son parfum.
Comment avais-je pu l’oublier ?
Je ne l'avais jamais revue par la suite. Ma mère restait secrète à son propos, elle me disait toujours « Tatie Mylène et maman se sont un peu disputées » mais rien de plus.
Les trottoirs étaient vides désormais. J’étais trempé, je dégoulinais. Alors je me levai, quelque peu étourdi.
Mon père n’était pas chez moi ce soir-là. Il ne revint pas pour le repas, que je pris seul devant la télévision. Je n’aimais pas la télévision. Je ne voulais pas être seul. Je regardais les images sans les voir, j’entendais les sons sans les écouter, je pensais à journée qui se terminait. Je ne comprenais pas. J’essayais de me souvenir quand, pourquoi ma mère et elle ne s’était plus adressé la parole. Le noir total.
Je pensais au lendemain, à la rentrée. J’avais un petit peu peur bien que ce fusse la troisième fois. Mais sans ma mère, ce serait la première.
Et puis je me demandais si je n’étais pas amoureux. De qui serais-je amoureux ? De Charlotte. Parce que je ne la connaissais que très peu. Puisque je ne savais rien d’elle je la rendais parfaite. J’aimais cela, rendre mon entourage parfait. J’avais peur d’être déçu sitôt que je commençais à découvrir véritablement quelqu’un. Alors je ne voulais pas connaître Charlotte. Pendant des mois je l’avais regardée de loin, en souriant chaque fois qu’elle riait, en m’inquiétant dès qu’elle se taisait. Mon humeur était le reflet de la sienne.
« Je sais me persuader d’être heureux », pensais-je en allant me coucher.
Parfois je faisais le choix d’être triste. C’était mon droit, ça me faisait un bien fou. Le jour où ma mère est morte je n’étais pas « triste ». Le jour où il est mort, je n’étais pas « triste » non plus. Je suis « triste » quand je regarde le monde, quand je lis une histoire qui finit mal et je pleure toujours devant un film sur la Shoah. Je suis « triste » quand je réfléchis, quand je pense à eux. Mais quand ils sont morts, quand j’ai vu ma mère, ce fantôme, quand sa tête s’est posée sur mes genoux, que son sang a coulé, je n’étais pas « triste ». Je n’étais rien. Aucune sensation. Aucune émotion. Aucune pensée. Je n’étais rien. Et je suis resté rien pendant longtemps.
J’aime être triste. Ça prend du temps d’être triste. Quand je suis triste c’est que tout ne va pas si mal.
J’étais triste ce soir. Pour me détendre je fis la liste de ce je voulais le plus au monde. Charlotte n’était pas dedans. Ce n’était pas elle que je voulais le plus au monde. Je rêvai d’un au-delà, comme un paradis. Non, ça ne me plaisait pas. Je voyais le paradis comme un lieu abrutissant où tout le monde planerait dans la naïveté. Et s’il était possible de ressusciter ? Non. Je tenais trop à ma mémoire. Pourquoi ne pas continuer indéfiniment. Encore et toujours. Dans le même état. Quelle drôle d’idée ! Bien pire que les autres. La mort me fit moins peur cette nuit-là. « Pourquoi pas », pensais-je.
Je me réjouissais de mourir un jour.
Je m’endormis paisiblement.
Déjà bonne année à tous et...
5ème partie.
Je me souviendrai toujours de ma rencontre avec Pierre. Quand il avait simplement perdu patience au club de tir à l’arc. Je n’ai pas oublié la corde tendue de son arme, sa flèche pointée vers moi, son regard perdu, son visage fatigué crispé par la haine. Un silence aussi, un lourd silence lorsque tout le monde observait la scène, le temps en apnée, je scrutais ses yeux, ses cernes.
C’était le jour de mes treize ans, c’était le jour de ses onze ans, nous étions membres du club où mon père m’avait obligé à m’inscrire.
« C’est pour ton bien, m’avait-il dit. »
Il ne voulait pas que je sois dans ses pattes.
Voilà comment avaient démarré mes vacances d’été.
Maintenant prêts à affronter la rentrée, Pierre et moi étions devenus amis. Comment ça s’était passé ? Je n’en avais aucune idée.
Je l’attendais.
Je m’étais retracé cette journée, cette première journée, quand il avait menacé avec une flèche cassée de “tous nous assassiner”. Le voulait-il vraiment ? Je ne suis plus sûr de rien, aujourd’hui.
Chaque fois que je le regardais, j’avais honte, très honte. Honte de cette première rencontre où je m’étais permis de juger sa colère, en ne connaissant rien de lui. Lui, d’un seul coup d’œil connaissait tous les défauts des autres, ce que j’aurais mis des mois à découvrir. Et je l’enviais, d’une certaine manière.
Je tenais un livre, droit devant mes yeux, mais je ne lisais pas parce je guettais sa venue, je lui avais promis de l’accompagner pour sa rentrée en sixième. J’attendis cinq minutes de plus, puis voyant qu’il ne venait pas, je courus jusque chez lui.
Je sonnai. Trois, quatre, cinq secondes et je vis la poignée de sa porte s’abaisser, c’était Pierre.
« Qu’est-ce que tu fais, lui demandai-je encore essoufflé, tu vas être en retard !
– Ça sert à rien, soupira-t-il. »
Il avait passé les deux dernières semaines à ressasser combien il détestait le système scolaire, et en proie à une terrible panique, je l’avais vu se décomposer au fur et à mesure que la rentrée approchait. Là, il se tenait tout penaud, devant le pas de sa porte, presque honteusement.
« Allez, dépêche-toi, lui dis-je en souriant. »
Manifestement, il était déjà prêt. Il ne lui resta qu’à prendre son sac, et nous partîmes sans rien dire. Ses yeux étaient terriblement cernés.
Je n’avais pas cours aujourd’hui, ma rentrée était le lendemain. Je l’emmenai donc le matin, et j’avais prévu d’aller le récupérer le soir. Les parents étaient très nombreux au collège, dans la cours, tenant la main de leurs enfants. Sans doute plus nombreux que les élèves, du moins ils étaient plus bruyants, parfois même plus inquiets. Qu’en était-il de la mère de Pierre ? Je pensais qu’elle avait beaucoup à faire. Sa mère ne lui avait jamais reproché d’avoir été renvoyé du club de tir à l’arc. J’imaginais que c’était par pure sympathie. Une mère ne pouvait pas être mauvaise. Pierre était livide, anxieux, je dus presque le pousser pour qu’il passe la grille noire de l’établissement. Nous n’étions pas en avance, c’est sûr. À peine entrés, un homme commença à appeler des noms pour former les différentes classes, celui de Pierre ne tarda pas à être prononcé. Je lui lançai un regard navré, il me sourit.
« À plus, me dit-il. »
Et il partit, comme si de rien n’était.
Je revins le chercher vers seize heures, je le retrouvai égal à lui-même.
« Ça s’est bien passé ? lui demandai-je.
– Ça va, lâcha-t-il presque avec agacement. »
Je n’allai pas plus loin dans mon interrogatoire.
Il avait retrouvé sa froideur, dans son regard, son ton cassant, il était comme ça Pierre, bien souvent…
Je ne savais jamais comment agir avec lui. Il recherchait le silence, le calme pour laisser croître sa colère. J’avais peur de le froisser, de le blesser, un rien aurait suffi pour que je le perde et je m’en doutais déjà.
Ma mère bien souvent choisissait ce silence pour me réconforter. Elle savait tout dire en se taisant. J’avais peur d’en être incapable.
« Bon bah, je te laisse, lui dis-je en arrivant devant chez lui.
Tu pars, me demanda-t-il ? »
Sa maison sentait le chagrin à plein nez, le silence aussi. Je n’avais pas compris la première fois que j’étais venu, pourquoi les murs étaient sales, pourquoi le sol était poussiéreux. Pourquoi l’atmosphère était lourde, pourquoi les pièces étaient sombres, les volets fermés. Et sa mère, qui ne m’avait pas vu quand j’étais entré, qui ne m’avait pas répondu quand je l’avais saluée.
« Laisse tomber, m’avait dit Pierre. »
La chambre de Pierre n’était pas la chambre d’un enfant. Pas de jouet, aucun livre, la pièce paressait vide, vide et sombre comme le reste de la maison. Seul trônait tout au fond sur un petit bureau un vieil écran cathodique et une tour d’ordinateur.
Pierre avait une sœur, avant. Une petite sœur dont je n’avais pu voir qu’une photographie qu’il gardait précieusement.
« J’étais son grand frère, m’avait-il dit. »
L’enfant jouait dans la rue, juste en face de chez elle quand est survenu l’accident. Les jours qui suivirent, l’enterrement, tout cela Pierre s’en souvenait, mais il gardait surtout en mémoire la conductrice.
« Elle était noire. »
Comme son regard.
Regard que je n’ai pas pu soutenir.
Je n’avais pas compris, à l’époque, en quoi il trouvait ce détail si important.
Pierre ne jouait pas. Pas même sur son ordinateur. On devinait presque dans ses cernes les lignes de codes qui se reflétaient sur son visage pâle, soucieux et concentré. Je l’imaginais, cette nuit qu’il avait dû vivre avant de reprendre les cours, penché sur l’écran scintillant, les paupières lourdes mais un code à finir à tout prix. Je savais aussi que, lorsque couché, l’écran éteint, il continuait de voir les structures de son programme. Quand il fermait les paupières, les boucles, les conditions s’enchaînaient dans le vacarme de ses préoccupations.
Comment résoudre ce fichu bogue bloquant ?
D’où venait cette erreur de segmentation ?
Est-ce que sa mère pensait encore à lui ?
Je ne savais pas à quel point Pierre pouvait être seul.
Le ciel encombré de nuage s’assombrissait, je devais rentrer avant la pluie, malgré tout je revins en traînant des pieds, en flânant, je pris mon temps. Je regardais les passants se presser en regardant un coup le ciel, un coup leurs montres, rythmés par le son des talons aiguilles des femmes, des talonnettes des hommes et le grondement des valises à roulettes.
Un parfum, un parfum échappé d’une nuque vint se loger dans mes narines. Je m’arrêtais pour le sentir, je cherchais de la vue cette odeur caractéristique que je connaissais sans reconnaître, mauvaise méthode. Pudique, je baissais les yeux.
Ce parfum c’était un souvenir. Une odeur de nostalgie, un goût à la fois doux et amer. Je ne savais pas le situer, lui donner de visage, en éveiller les couleurs. J’éprouvais l’amour, mais une boule de chagrin l’étouffait.
Comment comprendre ? L’odeur s’était largement estompée, remplacée par la sueur des hommes et l’essence brûlée.
Tant pis. Je voulus la chasser de mon esprit, mais elle persistait, qu’était-elle ? Je marchai, je revenais chez moi farfouillant, plongeant, creusant dans les abysses de ma mémoire. J’avançais sans regarder, les yeux fermés peut-être. Embrumé dans mes pensées, un coup de klaxon me somma de reprendre mes esprits.
J’étais au milieu d’une rue en plein centre-ville. Comment étais-je arrivé là ? Aucune idée.
Impossible de m’en débarrasser, cette vapeur, cette nausée, son arrière-goût. Je m’assis près d’un poteau, j’attendis la pluie.
Un peu de douceur, des rires et de la rancœur. Je voyais la joie, mais aussi l’inexplicable, un regard accusateur, des paroles violentes, ma culpabilité.
Flou, des voix muettes, des ombres. Une atmosphère qui ne se faisait pas sentir, un mal de crâne, ça me donnait mal au crâne, j’approchais ! L’odeur au bout du nez ! Je touchais le souvenir, mais aussitôt il se dérobait, il m’échappait, ce terrible supplice.
Un flash. Des lumières, des visages, du brouhaha, de la musique, c’était le mariage de mes parents.
Tous les enfants n’ont pas la chance d’assister à l’union de leurs parents. J’étais à l’âge où les pantalons me dépassaient, je n’avais que trois ans. Mon père avait eu une éducation religieuse très stricte, mais moi, c’était la première fois que je me retrouvais dans une église. Je n’ai même pas été baptisé.
Comme tout enfant j’étais persuadé que les grandes personnes ne connaissaient pas les larmes. Or ce jour-là, j’ai vu un adulte pleurer. C’était la meilleure amie de ma mère. Je ne me souviens pas grand-chose d’elle, pas même son visage, seulement sa présence. Son aura. Son parfum.
Comment avais-je pu l’oublier ?
Je ne l'avais jamais revue par la suite. Ma mère restait secrète à son propos, elle me disait toujours « Tatie Mylène et maman se sont un peu disputées » mais rien de plus.
Les trottoirs étaient vides désormais. J’étais trempé, je dégoulinais. Alors je me levai, quelque peu étourdi.
Mon père n’était pas chez moi ce soir-là. Il ne revint pas pour le repas, que je pris seul devant la télévision. Je n’aimais pas la télévision. Je ne voulais pas être seul. Je regardais les images sans les voir, j’entendais les sons sans les écouter, je pensais à journée qui se terminait. Je ne comprenais pas. J’essayais de me souvenir quand, pourquoi ma mère et elle ne s’était plus adressé la parole. Le noir total.
Je pensais au lendemain, à la rentrée. J’avais un petit peu peur bien que ce fusse la troisième fois. Mais sans ma mère, ce serait la première.
Et puis je me demandais si je n’étais pas amoureux. De qui serais-je amoureux ? De Charlotte. Parce que je ne la connaissais que très peu. Puisque je ne savais rien d’elle je la rendais parfaite. J’aimais cela, rendre mon entourage parfait. J’avais peur d’être déçu sitôt que je commençais à découvrir véritablement quelqu’un. Alors je ne voulais pas connaître Charlotte. Pendant des mois je l’avais regardée de loin, en souriant chaque fois qu’elle riait, en m’inquiétant dès qu’elle se taisait. Mon humeur était le reflet de la sienne.
« Je sais me persuader d’être heureux », pensais-je en allant me coucher.
Parfois je faisais le choix d’être triste. C’était mon droit, ça me faisait un bien fou. Le jour où ma mère est morte je n’étais pas « triste ». Le jour où il est mort, je n’étais pas « triste » non plus. Je suis « triste » quand je regarde le monde, quand je lis une histoire qui finit mal et je pleure toujours devant un film sur la Shoah. Je suis « triste » quand je réfléchis, quand je pense à eux. Mais quand ils sont morts, quand j’ai vu ma mère, ce fantôme, quand sa tête s’est posée sur mes genoux, que son sang a coulé, je n’étais pas « triste ». Je n’étais rien. Aucune sensation. Aucune émotion. Aucune pensée. Je n’étais rien. Et je suis resté rien pendant longtemps.
J’aime être triste. Ça prend du temps d’être triste. Quand je suis triste c’est que tout ne va pas si mal.
J’étais triste ce soir. Pour me détendre je fis la liste de ce je voulais le plus au monde. Charlotte n’était pas dedans. Ce n’était pas elle que je voulais le plus au monde. Je rêvai d’un au-delà, comme un paradis. Non, ça ne me plaisait pas. Je voyais le paradis comme un lieu abrutissant où tout le monde planerait dans la naïveté. Et s’il était possible de ressusciter ? Non. Je tenais trop à ma mémoire. Pourquoi ne pas continuer indéfiniment. Encore et toujours. Dans le même état. Quelle drôle d’idée ! Bien pire que les autres. La mort me fit moins peur cette nuit-là. « Pourquoi pas », pensais-je.
Je me réjouissais de mourir un jour.
Je m’endormis paisiblement.
Phoenamandre- Nombre de messages : 2423
Age : 33
Date d'inscription : 08/03/2009
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Toujours autant de plaisir à te lire.
De ta pelote tu tires des fils, tu tisses peu à peu ton tapis (je pense au "Motif dans le tapis", de Henry James). Toutes ces figures que tu dessines autour du narrateur sont attachantes, mystérieuses, ouvrent de nouvelles portes. J'aime beaucoup beaucoup.
Et l'amour des mères !
Je laisse à de plus pointilleux (ses, plutôt) le soin de relever les broutilles.
Et j'attends pied ferme la suite.
Je relirai le tout dès que, c'est mieux pour voir comment ça s'enchaîne, mais j'ai l'impression que ça marche très bien, car les cailloux que tu sèmes, les images fortes, tu les reprends sans pour autant t'apesantir.
De ta pelote tu tires des fils, tu tisses peu à peu ton tapis (je pense au "Motif dans le tapis", de Henry James). Toutes ces figures que tu dessines autour du narrateur sont attachantes, mystérieuses, ouvrent de nouvelles portes. J'aime beaucoup beaucoup.
Et l'amour des mères !
Je laisse à de plus pointilleux (ses, plutôt) le soin de relever les broutilles.
Et j'attends pied ferme la suite.
Je relirai le tout dès que, c'est mieux pour voir comment ça s'enchaîne, mais j'ai l'impression que ça marche très bien, car les cailloux que tu sèmes, les images fortes, tu les reprends sans pour autant t'apesantir.
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Cornichon
Merci Janis pour ta fidélité et ton commentaire, je poste un peu trop espacé :-D
Phoenamandre- Nombre de messages : 2423
Age : 33
Date d'inscription : 08/03/2009
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Je me permets de re-poster une version complète de Cornichon corrigée à partir de vos nombreux conseils et mes différentes relectures.
En plus je joins une version PDF et epub pour ceux qui ont une liseuse ou qui veulent tout simplement bénéficier d'une meilleure mise en page, je les mettrai à jour au fur et à mesure que j’ajouterai des parties !
PDF : http://phoenamandre.fr/partage/Cornichon.pdf
Epub : http://phoenamandre.fr/partage/Cornichon.epub
La neige tombait sur la ville de Chambéry en pétales de roses blanches ou de lilas. Les immenses silhouettes des hautes tours de la cité semblaient dicter leurs lois. Autoritaires, elles surplombaient les rues, les cours et les parcs, mais la neige sans crainte recouvrait leurs toits, leurs balcons et leurs terrasses.
J’avais douze ans. J’étais là, seul, à une fenêtre, à regarder le temps passer. J’observais la puissance de la pierre ployer sous la tendresse, la noirceur du béton austère disparaître sous de candides flocons blancs, et comme si rudesse n’était plus, le silence détrônait le bruit des moteurs, des cris violents et de la folie urbaine.
Parfois dans nos jeux, nous étions des dieux bienfaisants. Je jouais la sagesse, et lui le protecteur. Alors j’eus droit moi aussi à mes rêves de grandeur. Je m’imaginais écrivain, poète peut-être, musicien, oui, pianiste, et philosophe, penseur, précurseur. C’était sans doute le froid, puisque j’avais le nez collé à la vitre. Un regard sur la droite m’indiqua qu’il était trois heures du matin.
« Tu vois, pensais-je, on va la réussir, cette fichue nuit blanche ! »
Je soupirai et me tournai vers le lit. Mes parents, eux, ronflaient amoureusement en cadence, mais dos à dos. Ils n’étaient pas moches. Innocents mais pas dupes. Innocents parce qu’ils croyaient que je dormais. Pas dupes parce qu’ils allaient voir mes cernes demain matin, enfin plutôt ce matin, dans quelques heures finalement.
Et ce fut le cas.
« Regarde-moi ces yeux rouges. T’as passé la nuit dans un bouquin, c’est ça ? vociféra ma mère ? »
Pas tellement, non. Mais je me suis contenté de baisser les yeux, parce que je ne savais faire que ça.
C’était le dernier jour des vacances et ma mère se battait avec la valise pour tout y caser, tandis que mon père geignait dans son lit, pas encore remis de l’alcool de la veille.
Grâce à ma paresse, je pus l’aider, ma mère, pas mon père, en m’asseyant sur la valise. Un bref « merci » et elle commença à arranger la chambre, vérifier si tout était en ordre et faire sortir l’ours de sa tanière.
Dans certaines familles règne un équilibre. Pas dans la mienne. Ainsi, bien que ma mère ait organisé nos vacances, préparé les repas pendant tout notre séjour et en plus de s’être occupée des bagages, elle conduisit aussi le vieux Scénic sur le trajet du retour.
Par chance les routes n’étaient pas verglacées, la neige avait cédé sa place à la pluie et au vent qui frappaient sans aucune pitié l’innocent pare-brise. Les essuie-glaces malmenés par des hordes de gouttes d’eau crissaient sur le verre. Et je regardais la route, la route brillante, sous les feux des antibrouillards, défiler, filer.
« Tu ne dis rien, me demanda ma mère ?
– Je pense, lui répondis-je. »
Elle rit, passa sa main droite dans l’habitacle et me caressa le genou sans me regarder.
« Papa dort, c’est l’occasion de parler, décida-t-elle, à quoi tu penses ?
– Je pense aux vacances, expliquai-je, ce qui n’était pas tout à fait vrai, je pensais à lui, à son sang sur mes genoux. »
Je la vis sourire dans le rétroviseur. Bien que fatigantes, ces vacances furent une coupure pour elle. Elle s’était donnée tant de mal qu’il m’était impossible de lui avouer que je n’avais pas apprécié. C’est ainsi qu’à coup de mensonges, d’amour et de rires tantôt forcés tantôt spontanés nous retournâmes sur les sols plats de la Champagne-Ardenne.
Une nuit blanche, une journée de voiture et pourtant, ce soir-là, impossible de trouver le sommeil. Mes sens étaient alertes, je me perdais dans un océan de pensées folles qui tourbillonnaient et martelaient mon crâne. Je pensais à lui. L’infinité de mes rêves toisant d’effectivement faisable, je lui faisais un pied-de-nez, je poussais les limites de ma méditation passive jusqu’à ce que toute once de sommeil eût disparu. Mon cœur battait la cadence extravagante sur laquelle défilait ma réflexion comme le faisaient les heures sur mon réveil-matin. Dans cette grande fanfare s’ajoutaient sans joie les trompettes de ces bruits qui d’habitude nous gênent, qu’animaient en éclairs blancs les cymbales d’un ciel en vérité silencieux et sans nuages. Je hurlai à mon cerveau de cesser ce vacarme, tout son boucan, son tintamarre d’idées insensées.
Après avoir bataillé vainement pendant plusieurs heures, je laissai mes yeux s’ouvrir et constatai à quel point rien dans l’obscurité de la nuit n’avait changé. Les mêmes rayons de lumière blanche éclairaient la même chambre, les mêmes meubles, les mêmes objets et ce même moi. Les livres que mes mains peu soigneuses avaient éparpillés souriaient au sol et de leur voix faible me poussaient à l’insomnie. La silhouette haute et fière de ma lampe de chevet, de sa démagogie faussement sage, m’attirait hors mon lit et je fus prêt à céder.
Si un bruit de verre brisé n’avait pas soudain arrêté mon geste.
Je songeai d’abord à un cambrioleur, cependant, les grincements d’une porte de placard et d’une pelle en plastique qui racle le sol m’étonnèrent. Je m’assis, un peu étourdi, mais prêt à braver tous les dangers pour découvrir ce qu’il se passait.
Ma mère était là, les cheveux en pagaille, en chemise de nuit. Face à l’évier, elle astiquait la vaisselle avec violence, la lançant presque sur l’égouttoir. Plusieurs portes de placards étaient ouvertes, sur le sol gisaient encore quelques bouts de verre, sur le plan de travail des casseroles mal rangées, des assiettes mal séchées gouttaient, gouttaient en une petite flaque d’eau brillante.
J’étais étonné de la voir encore éveillée. Ce n’était pas dans ses habitudes. Étonné, mais rassuré. Je n’étais pas seul.
« Maman, m’enquis-je timidement ?
« Encore là, toi ! s’énerva-t-elle. Retourne immédiatement te coucher ! Immédiatement ! Répéta-t-elle. »
Je n’avais pas encore descendu les escaliers, j’espérais trouver en elle un peu de réconfort, quelques mots doux. Je bouillonnais d’une profonde frustration et pour la contenir je hurlai un bref « j’en ai marre », j’ouvris la porte d’entrée et sans comprendre comment, je me retrouvais en train de courir dans la rue, sans pleurer. Sans pleurer parce que l’air était doux, il ne faisait pas froid. Il n’y avait ni lune, ni étoiles, seuls des nuages rosés par les lumières de la ville. Le vent était humide, chargé de chagrin, mais étrangement ce n’était pas le mien. Après quelques rues, je m’assis sur le goudron obscur. Je n’avais pas peur, car il était partout, j’avais oublié son sang sur mes genoux. Je m’allongeai, je m’endormis.
Je ressentais une caresse, un frisson. Le sol était froid, mais la lumière câline m’enveloppait de bonté et de chaleur.
« Allez, lève-toi, semblait-elle me dire. »
Je m’étirai, j’avais mal au dos. Et les yeux embrumés, je découvris la vie sous un ciel-plafond d’un bleu éclatant, et l’horizon comme mur sans béton. Je devins fou de ces odeurs qu’apportait la rosée de ce matin d’hiver, je le voyais partout, il souriait, moi aussi, j’étais bête et heureux, c’est tellement agréable parfois.
J’étais en retard, les cours reprenaient ce jour-là. D’un pas léger je retournai chez moi.
Le temps habitait sur la façade de ma maison et se perdait en lézardes grises. À l’abandon, comme l’était ma mère, la ferraille du portail perdait son noir pour laisser place à des rougeurs vêtues de poussières et d’anciennes blessures. La porte d’entrée était restée ouverte, tel un sombre gouffre dans mon monde merveilleux. Je pris une profonde respiration, poussai doucement le portail et m’engouffrai dans cette grotte terrifiante.
Un étrange sentiment envahit mes poumons, une senteur sans odeur, une lourdeur pesait sur mes épaules alors, j’appelai :
« Maman ? »
Je recommençai, plus fort. Puis dans toutes les pièces, enfin presque. Rien. Était-elle partie ? Sa voiture n’avait pas bougé. Sans doute me savait-elle dans le quartier, alors il était plus sensé de me chercher à pied. Oui, elle me cherchait, et moi aussi. Quelle drôle d’histoire. J’étais en retard, je n’aimais pas ça, mais il restait une pièce dans laquelle je n’avais pas cherché. Je n’aimais pas cette pièce, on y voyait la charpente pas encore finie d’être isolée, on n’y vivait pas, elle ne servait que pour le rangement. Mais je n’étais plus à ça près. C’était donc par curiosité que je montais les escaliers. Plus je montais, plus je me sentais lourd, très lourd. J’entendais des bruits, j’étais pris de vertiges mais je mettais ça sur le compte de la peur, et c’est vrai, j’avais peur.
Il y avait une silhouette, qui flottait à contre-jour à quelques centimètres du sol. Je retins un hurlement, un fantôme ? Ses mains pendaient le long de son corps, il semblait vêtu d’un drap, mais en observant mieux, j’y vis des cheveux. Des cheveux qui descendaient le long d’un visage qui ne me regardait pas, qui fixait le sol. Je tremblais, j’avais la trouille de bouger. J’étais en retard, mais il fallait que je sache. Je m’approchai. Plus près, encore plus près, le fantôme ne faisait pas un mouvement, il ne remarquait pas ma présence. Pas un bruit, le sol n’osait pas craquer, même si j’étais lourd, vraiment très lourd.
C’était ma mère.
J’étais en retard.
Il fallait que j’aille en cours.
Alors je partis en courant. J’empoignai mon sac et je ne pensais plus, ou si, je pensais trop, ou non, je ne sais pas. Je pris le chemin du collège.
En plus je joins une version PDF et epub pour ceux qui ont une liseuse ou qui veulent tout simplement bénéficier d'une meilleure mise en page, je les mettrai à jour au fur et à mesure que j’ajouterai des parties !
PDF : http://phoenamandre.fr/partage/Cornichon.pdf
Epub : http://phoenamandre.fr/partage/Cornichon.epub
Cornichon
Mère
Mère
La neige tombait sur la ville de Chambéry en pétales de roses blanches ou de lilas. Les immenses silhouettes des hautes tours de la cité semblaient dicter leurs lois. Autoritaires, elles surplombaient les rues, les cours et les parcs, mais la neige sans crainte recouvrait leurs toits, leurs balcons et leurs terrasses.
J’avais douze ans. J’étais là, seul, à une fenêtre, à regarder le temps passer. J’observais la puissance de la pierre ployer sous la tendresse, la noirceur du béton austère disparaître sous de candides flocons blancs, et comme si rudesse n’était plus, le silence détrônait le bruit des moteurs, des cris violents et de la folie urbaine.
Parfois dans nos jeux, nous étions des dieux bienfaisants. Je jouais la sagesse, et lui le protecteur. Alors j’eus droit moi aussi à mes rêves de grandeur. Je m’imaginais écrivain, poète peut-être, musicien, oui, pianiste, et philosophe, penseur, précurseur. C’était sans doute le froid, puisque j’avais le nez collé à la vitre. Un regard sur la droite m’indiqua qu’il était trois heures du matin.
« Tu vois, pensais-je, on va la réussir, cette fichue nuit blanche ! »
Je soupirai et me tournai vers le lit. Mes parents, eux, ronflaient amoureusement en cadence, mais dos à dos. Ils n’étaient pas moches. Innocents mais pas dupes. Innocents parce qu’ils croyaient que je dormais. Pas dupes parce qu’ils allaient voir mes cernes demain matin, enfin plutôt ce matin, dans quelques heures finalement.
Et ce fut le cas.
« Regarde-moi ces yeux rouges. T’as passé la nuit dans un bouquin, c’est ça ? vociféra ma mère ? »
Pas tellement, non. Mais je me suis contenté de baisser les yeux, parce que je ne savais faire que ça.
C’était le dernier jour des vacances et ma mère se battait avec la valise pour tout y caser, tandis que mon père geignait dans son lit, pas encore remis de l’alcool de la veille.
Grâce à ma paresse, je pus l’aider, ma mère, pas mon père, en m’asseyant sur la valise. Un bref « merci » et elle commença à arranger la chambre, vérifier si tout était en ordre et faire sortir l’ours de sa tanière.
Dans certaines familles règne un équilibre. Pas dans la mienne. Ainsi, bien que ma mère ait organisé nos vacances, préparé les repas pendant tout notre séjour et en plus de s’être occupée des bagages, elle conduisit aussi le vieux Scénic sur le trajet du retour.
Par chance les routes n’étaient pas verglacées, la neige avait cédé sa place à la pluie et au vent qui frappaient sans aucune pitié l’innocent pare-brise. Les essuie-glaces malmenés par des hordes de gouttes d’eau crissaient sur le verre. Et je regardais la route, la route brillante, sous les feux des antibrouillards, défiler, filer.
« Tu ne dis rien, me demanda ma mère ?
– Je pense, lui répondis-je. »
Elle rit, passa sa main droite dans l’habitacle et me caressa le genou sans me regarder.
« Papa dort, c’est l’occasion de parler, décida-t-elle, à quoi tu penses ?
– Je pense aux vacances, expliquai-je, ce qui n’était pas tout à fait vrai, je pensais à lui, à son sang sur mes genoux. »
Je la vis sourire dans le rétroviseur. Bien que fatigantes, ces vacances furent une coupure pour elle. Elle s’était donnée tant de mal qu’il m’était impossible de lui avouer que je n’avais pas apprécié. C’est ainsi qu’à coup de mensonges, d’amour et de rires tantôt forcés tantôt spontanés nous retournâmes sur les sols plats de la Champagne-Ardenne.
Une nuit blanche, une journée de voiture et pourtant, ce soir-là, impossible de trouver le sommeil. Mes sens étaient alertes, je me perdais dans un océan de pensées folles qui tourbillonnaient et martelaient mon crâne. Je pensais à lui. L’infinité de mes rêves toisant d’effectivement faisable, je lui faisais un pied-de-nez, je poussais les limites de ma méditation passive jusqu’à ce que toute once de sommeil eût disparu. Mon cœur battait la cadence extravagante sur laquelle défilait ma réflexion comme le faisaient les heures sur mon réveil-matin. Dans cette grande fanfare s’ajoutaient sans joie les trompettes de ces bruits qui d’habitude nous gênent, qu’animaient en éclairs blancs les cymbales d’un ciel en vérité silencieux et sans nuages. Je hurlai à mon cerveau de cesser ce vacarme, tout son boucan, son tintamarre d’idées insensées.
Après avoir bataillé vainement pendant plusieurs heures, je laissai mes yeux s’ouvrir et constatai à quel point rien dans l’obscurité de la nuit n’avait changé. Les mêmes rayons de lumière blanche éclairaient la même chambre, les mêmes meubles, les mêmes objets et ce même moi. Les livres que mes mains peu soigneuses avaient éparpillés souriaient au sol et de leur voix faible me poussaient à l’insomnie. La silhouette haute et fière de ma lampe de chevet, de sa démagogie faussement sage, m’attirait hors mon lit et je fus prêt à céder.
Si un bruit de verre brisé n’avait pas soudain arrêté mon geste.
Je songeai d’abord à un cambrioleur, cependant, les grincements d’une porte de placard et d’une pelle en plastique qui racle le sol m’étonnèrent. Je m’assis, un peu étourdi, mais prêt à braver tous les dangers pour découvrir ce qu’il se passait.
Ma mère était là, les cheveux en pagaille, en chemise de nuit. Face à l’évier, elle astiquait la vaisselle avec violence, la lançant presque sur l’égouttoir. Plusieurs portes de placards étaient ouvertes, sur le sol gisaient encore quelques bouts de verre, sur le plan de travail des casseroles mal rangées, des assiettes mal séchées gouttaient, gouttaient en une petite flaque d’eau brillante.
J’étais étonné de la voir encore éveillée. Ce n’était pas dans ses habitudes. Étonné, mais rassuré. Je n’étais pas seul.
« Maman, m’enquis-je timidement ?
« Encore là, toi ! s’énerva-t-elle. Retourne immédiatement te coucher ! Immédiatement ! Répéta-t-elle. »
Je n’avais pas encore descendu les escaliers, j’espérais trouver en elle un peu de réconfort, quelques mots doux. Je bouillonnais d’une profonde frustration et pour la contenir je hurlai un bref « j’en ai marre », j’ouvris la porte d’entrée et sans comprendre comment, je me retrouvais en train de courir dans la rue, sans pleurer. Sans pleurer parce que l’air était doux, il ne faisait pas froid. Il n’y avait ni lune, ni étoiles, seuls des nuages rosés par les lumières de la ville. Le vent était humide, chargé de chagrin, mais étrangement ce n’était pas le mien. Après quelques rues, je m’assis sur le goudron obscur. Je n’avais pas peur, car il était partout, j’avais oublié son sang sur mes genoux. Je m’allongeai, je m’endormis.
Je ressentais une caresse, un frisson. Le sol était froid, mais la lumière câline m’enveloppait de bonté et de chaleur.
« Allez, lève-toi, semblait-elle me dire. »
Je m’étirai, j’avais mal au dos. Et les yeux embrumés, je découvris la vie sous un ciel-plafond d’un bleu éclatant, et l’horizon comme mur sans béton. Je devins fou de ces odeurs qu’apportait la rosée de ce matin d’hiver, je le voyais partout, il souriait, moi aussi, j’étais bête et heureux, c’est tellement agréable parfois.
J’étais en retard, les cours reprenaient ce jour-là. D’un pas léger je retournai chez moi.
Le temps habitait sur la façade de ma maison et se perdait en lézardes grises. À l’abandon, comme l’était ma mère, la ferraille du portail perdait son noir pour laisser place à des rougeurs vêtues de poussières et d’anciennes blessures. La porte d’entrée était restée ouverte, tel un sombre gouffre dans mon monde merveilleux. Je pris une profonde respiration, poussai doucement le portail et m’engouffrai dans cette grotte terrifiante.
Un étrange sentiment envahit mes poumons, une senteur sans odeur, une lourdeur pesait sur mes épaules alors, j’appelai :
« Maman ? »
Je recommençai, plus fort. Puis dans toutes les pièces, enfin presque. Rien. Était-elle partie ? Sa voiture n’avait pas bougé. Sans doute me savait-elle dans le quartier, alors il était plus sensé de me chercher à pied. Oui, elle me cherchait, et moi aussi. Quelle drôle d’histoire. J’étais en retard, je n’aimais pas ça, mais il restait une pièce dans laquelle je n’avais pas cherché. Je n’aimais pas cette pièce, on y voyait la charpente pas encore finie d’être isolée, on n’y vivait pas, elle ne servait que pour le rangement. Mais je n’étais plus à ça près. C’était donc par curiosité que je montais les escaliers. Plus je montais, plus je me sentais lourd, très lourd. J’entendais des bruits, j’étais pris de vertiges mais je mettais ça sur le compte de la peur, et c’est vrai, j’avais peur.
Il y avait une silhouette, qui flottait à contre-jour à quelques centimètres du sol. Je retins un hurlement, un fantôme ? Ses mains pendaient le long de son corps, il semblait vêtu d’un drap, mais en observant mieux, j’y vis des cheveux. Des cheveux qui descendaient le long d’un visage qui ne me regardait pas, qui fixait le sol. Je tremblais, j’avais la trouille de bouger. J’étais en retard, mais il fallait que je sache. Je m’approchai. Plus près, encore plus près, le fantôme ne faisait pas un mouvement, il ne remarquait pas ma présence. Pas un bruit, le sol n’osait pas craquer, même si j’étais lourd, vraiment très lourd.
C’était ma mère.
J’étais en retard.
Il fallait que j’aille en cours.
Alors je partis en courant. J’empoignai mon sac et je ne pensais plus, ou si, je pensais trop, ou non, je ne sais pas. Je pris le chemin du collège.
Phoenamandre- Nombre de messages : 2423
Age : 33
Date d'inscription : 08/03/2009
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
« UJJP » Ça signifiait simplement « Un Jour Je Partirai ». C’était puéril, pathétique même, mais je l’écrivais sur toutes mes feuilles depuis déjà deux ans. Parfois discrètement en haut d’une page, dans la marge, ou bien en grand, calligraphié et orné de multiples symboles qui n’avaient un sens que sur le moment. C’était exactement ce que je faisais, le plus bel « UJJP », et je fuyais, loin de toute chose. Je m’envolais dans notre pays de Cocagne, dans ces plaines et ces chants où couraient nos voix, où nos jeux s’animaient autrefois d’images colorées, où les lois du regard prenaient le dessus sur celles des mots. Les histoires s’écrivaient dans des cabanes de bois, ces mêmes cabanes où nous bâtissions nos rêves en terre humide, nous y donnions vie à nos frustrations, nos petits malheurs qui dans un tour de passe-passe s’habillaient de joie. Avec ces sourires et ces rires cohabitaient parfois quelques fausses colères dont le parfum trop commun rappelait nos maisons. Nous les chassions, nous en faisions des oiseaux de papier qui gâtaient notre paysage.
Je fus brusquement tiré de ma rêverie.
Pas de sang sur mes genoux.
Pas de regard vide, les cris s’étaient tus, et un silence inattendu petit à petit me glaçait le sang. Je frissonnai. Mes bras, mes jambes, mon corps tremblaient, j’avais froid et chaud en même temps, un pincement se hissait de ma vessie à mes poumons. Je me levai, les regards se tournèrent vers moi, le professeur cessa de parler. Les couleurs de la salle de classe semblaient fondre tandis que tel un écran mal réglé, chaque geste, chaque mouvement se multipliait en centaines de traces floues. Les voix n’étaient plus que de lointains bourdonnements, et un voile marron puis noir se déposa sur mes yeux. Rien n’était plus comme avant, impossible de comprendre ce sentiment qui peu à peu envahissait mes membres, grimpait à mes muscles, à ma chair, pour venir se loger dans mon crâne de plus en plus douloureux.
Quelque chose tomba.
C’était moi.
Ma mère s’était suicidée.
Quelqu’un me parlait. Du moins, j’entendais une voix. Des mains me tenaient. Mes yeux étaient ouverts, pourtant impossible de distinguer quoi que ce soit. Quelques formes, des contours essentiellement, j’étais dans un brouillard opaque, mes pensées aussi étaient dispersées. J’étais un enfant et malgré mes bleus, son regard vide et son sang, je me croyais invincible. Mon corps m’appartenait, j’en étais le maître absolu, si je ne contrôlais pas mon destin je me contrôlais au moins moi-même. Il n’en était rien, et je m’en rendis compte pour la première fois ce jour-là. Personne ne savait la raison de ma chute, mais à mesure que fuyait le flou, tout devenait plus clair. On voulut me relever. Je refusai. Je ne me sentais pas prêt. Le sol était froid. C’était une sorte de lino couleur chêne, ça puait le plastique mais c’était confortable. Mes mains tremblaient, leur couleur blanche me rappelait ma mère, ma mère, était-elle un fantôme ?
Un fantôme…
Il m’arrivait encore de me remémorer cette scène, se déroulant peut-être six ou sept ans auparavant. Nous habitions encore Quimperlé, près de l’Isole qui se mariait à l’Ellé pour devenir Laïta. Nous étions tous les deux, sur la terrasse, sous un ciel bleu, en train d’admirer l’herbe verte, les fleurs que nous venions tout juste de planter, et derrière les buissons entourant notre jardin, on entendait couler la ria qui calmement s’en allait rejoindre l’océan. Je ne le connaissais pas encore, j’étais sur les genoux de ma mère, les miens n’avaient pas de sang. Occupés à notre séance câlins habituelle, nous rions, et nous parlions de tous les sujets sérieux qu’un enfant de mon âge pouvait aborder. Je me souvenais de son visage maternel et songeur sous la lumière du soleil qui déclinait à l’horizon. Je me souvenais de sa douceur, sa tendresse, de la chaleur de ses bras. Son sourire aussi, son sourire qui n’illuminait plus son beau visage depuis que le mien avait disparu dans une flaque rouge.
« Pourquoi papa et toi vous vous faites pas de bisous ? lui avais-je demandé ce jour-là. »
Elle avait rigolé, mais sans me donner de réponse.
« Tu préfères papa ou moi ? avais-je insisté. »
Là encore, elle s’était contentée de sourire, et m’avait serré de plus belle dans ses bras.
J’entendais du bruit, beaucoup de bruit, on parlait, on s’affairait, on chahutait. Des voix masculines, graves, et des bruits de métal, de tables et de chaises qu’on pousse. Je sentis à nouveau quatre mains m’agripper et me soulever. J’avais toujours chaud et froid, des fourmis sur le visage et sur mes bras que je n’arrivais pas à bouger. Un homme agita ses mains devant mes yeux, je voyais à travers.
« Qu’est-ce… tentai-je de dire. »
Je réunissais toutes mes forces tandis qu’on me conseillait de ne pas parler.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? »
Je ne comprenais pas. Tout semblait sortir d’un rêve ambigu. J’étais maintenant dans une chambre d’hôpital. Il ne s’était rien passé entre-temps. Je croyais être encore dans la salle de classe. Ou sur les genoux de ma mère.
J’essayai de me redresser. Impossible. L’homme s’assit sur mon lit.
« Est-ce que tu as pris un petit-déjeuner ce matin ? me demanda-t-il. »
Bien sûr que non. Je n’y avais même pas songé.
Mon « non » ressortit plus comme un « hoan » tant mes lèvres étaient pâteuses. Il soupira, écrivit quelques notes sur un calepin et se leva.
“On a essayé de contacter tes parents, est-ce que tu connais un numéro de portable sur lequel on pourrait les appeler ?”
Sa phrase était trop longue, je ne répondis pas. Il toucha mon front et se dirigea vers la porte de la chambre.
“Ma mère, lui dis-je.”
Et je pleurai.
Mon père n’apprit la terrible nouvelle que dans la soirée, lorsqu’il appela la maison, et qu’en pensant tomber sur ma mère, ce fut un policier qui décrocha le téléphone. Il appelait d’un hôtel, m’avait-on dit, sur le coup je ne compris pas vraiment, et d’ailleurs, je m’en fichais. On ne m’avait pas autorisé à sortir de l’hôpital malgré mes supplications. Je ne voulais pas qu’ils touchent à ma mère, je voulais veiller sur elle, je voulais la porter, la serrer dans mes bras. Je voyais son corps sans âme dans les mains de ces inconnus vêtus de bleu, dans ce grenier poussiéreux et glacial, comme sa peau translucide. Se mêlaient alors les images, celles de ma mère ; le fantôme froid sans sang, et son corps à lui, chaud vidant sa vie en rouge sur mes genoux.
Je fus brusquement tiré de ma rêverie.
Pas de sang sur mes genoux.
Pas de regard vide, les cris s’étaient tus, et un silence inattendu petit à petit me glaçait le sang. Je frissonnai. Mes bras, mes jambes, mon corps tremblaient, j’avais froid et chaud en même temps, un pincement se hissait de ma vessie à mes poumons. Je me levai, les regards se tournèrent vers moi, le professeur cessa de parler. Les couleurs de la salle de classe semblaient fondre tandis que tel un écran mal réglé, chaque geste, chaque mouvement se multipliait en centaines de traces floues. Les voix n’étaient plus que de lointains bourdonnements, et un voile marron puis noir se déposa sur mes yeux. Rien n’était plus comme avant, impossible de comprendre ce sentiment qui peu à peu envahissait mes membres, grimpait à mes muscles, à ma chair, pour venir se loger dans mon crâne de plus en plus douloureux.
Quelque chose tomba.
C’était moi.
Ma mère s’était suicidée.
Quelqu’un me parlait. Du moins, j’entendais une voix. Des mains me tenaient. Mes yeux étaient ouverts, pourtant impossible de distinguer quoi que ce soit. Quelques formes, des contours essentiellement, j’étais dans un brouillard opaque, mes pensées aussi étaient dispersées. J’étais un enfant et malgré mes bleus, son regard vide et son sang, je me croyais invincible. Mon corps m’appartenait, j’en étais le maître absolu, si je ne contrôlais pas mon destin je me contrôlais au moins moi-même. Il n’en était rien, et je m’en rendis compte pour la première fois ce jour-là. Personne ne savait la raison de ma chute, mais à mesure que fuyait le flou, tout devenait plus clair. On voulut me relever. Je refusai. Je ne me sentais pas prêt. Le sol était froid. C’était une sorte de lino couleur chêne, ça puait le plastique mais c’était confortable. Mes mains tremblaient, leur couleur blanche me rappelait ma mère, ma mère, était-elle un fantôme ?
Un fantôme…
Il m’arrivait encore de me remémorer cette scène, se déroulant peut-être six ou sept ans auparavant. Nous habitions encore Quimperlé, près de l’Isole qui se mariait à l’Ellé pour devenir Laïta. Nous étions tous les deux, sur la terrasse, sous un ciel bleu, en train d’admirer l’herbe verte, les fleurs que nous venions tout juste de planter, et derrière les buissons entourant notre jardin, on entendait couler la ria qui calmement s’en allait rejoindre l’océan. Je ne le connaissais pas encore, j’étais sur les genoux de ma mère, les miens n’avaient pas de sang. Occupés à notre séance câlins habituelle, nous rions, et nous parlions de tous les sujets sérieux qu’un enfant de mon âge pouvait aborder. Je me souvenais de son visage maternel et songeur sous la lumière du soleil qui déclinait à l’horizon. Je me souvenais de sa douceur, sa tendresse, de la chaleur de ses bras. Son sourire aussi, son sourire qui n’illuminait plus son beau visage depuis que le mien avait disparu dans une flaque rouge.
« Pourquoi papa et toi vous vous faites pas de bisous ? lui avais-je demandé ce jour-là. »
Elle avait rigolé, mais sans me donner de réponse.
« Tu préfères papa ou moi ? avais-je insisté. »
Là encore, elle s’était contentée de sourire, et m’avait serré de plus belle dans ses bras.
J’entendais du bruit, beaucoup de bruit, on parlait, on s’affairait, on chahutait. Des voix masculines, graves, et des bruits de métal, de tables et de chaises qu’on pousse. Je sentis à nouveau quatre mains m’agripper et me soulever. J’avais toujours chaud et froid, des fourmis sur le visage et sur mes bras que je n’arrivais pas à bouger. Un homme agita ses mains devant mes yeux, je voyais à travers.
« Qu’est-ce… tentai-je de dire. »
Je réunissais toutes mes forces tandis qu’on me conseillait de ne pas parler.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? »
Je ne comprenais pas. Tout semblait sortir d’un rêve ambigu. J’étais maintenant dans une chambre d’hôpital. Il ne s’était rien passé entre-temps. Je croyais être encore dans la salle de classe. Ou sur les genoux de ma mère.
J’essayai de me redresser. Impossible. L’homme s’assit sur mon lit.
« Est-ce que tu as pris un petit-déjeuner ce matin ? me demanda-t-il. »
Bien sûr que non. Je n’y avais même pas songé.
Mon « non » ressortit plus comme un « hoan » tant mes lèvres étaient pâteuses. Il soupira, écrivit quelques notes sur un calepin et se leva.
“On a essayé de contacter tes parents, est-ce que tu connais un numéro de portable sur lequel on pourrait les appeler ?”
Sa phrase était trop longue, je ne répondis pas. Il toucha mon front et se dirigea vers la porte de la chambre.
“Ma mère, lui dis-je.”
Et je pleurai.
Mon père n’apprit la terrible nouvelle que dans la soirée, lorsqu’il appela la maison, et qu’en pensant tomber sur ma mère, ce fut un policier qui décrocha le téléphone. Il appelait d’un hôtel, m’avait-on dit, sur le coup je ne compris pas vraiment, et d’ailleurs, je m’en fichais. On ne m’avait pas autorisé à sortir de l’hôpital malgré mes supplications. Je ne voulais pas qu’ils touchent à ma mère, je voulais veiller sur elle, je voulais la porter, la serrer dans mes bras. Je voyais son corps sans âme dans les mains de ces inconnus vêtus de bleu, dans ce grenier poussiéreux et glacial, comme sa peau translucide. Se mêlaient alors les images, celles de ma mère ; le fantôme froid sans sang, et son corps à lui, chaud vidant sa vie en rouge sur mes genoux.
Phoenamandre- Nombre de messages : 2423
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Date d'inscription : 08/03/2009
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Je ne sais pas quelle drôle d’idée avait bien pu me traverser l’esprit. Je touchai mon bras gauche. C’était vraiment douloureux. Je m’étais vraiment pincé fort, jusqu’à en avoir les larmes aux yeux. Je me promis de ne plus jamais recommencer. Mon père venait de mettre la maison en vente, n’écoutant que lui et ses savants calculs financiers, et dans des cartons austères et sinistres disparaissaient les sourires figés de ma mère. Je tentais de m’activer, je devais vérifier mes cachettes et ne rien oublier. Je devais aussi saluer les murs, les sols, faire mes adieux aux boiseries, embrasser une dernière fois cette atmosphère dans laquelle flottait encore son parfum. Son parfum, et ses images, les échos de sa voix qui me parvenait encore, sa personne entière y habitait encore. Planait aussi l’horrible souvenir de son corps suspendu, de la froideur de son regard et de son visage effrayant, cette coquille vide.
Des feuilles, des dessins, des textes que j’avais écrits et surtout les toiles que m’avait peintes ma mère. Amoureuse de Bosch et des peintres surréalistes, elle m’en parlait comme à un adulte. Elle m’expliquait les couleurs, les postures, et chaque détail de son art. Avec le regard de l’enfant sur sa mère, je le trouvais parfait. Et j’adorais ses peintures et ses feux d’artifice lumineux sans ne rien savoir des explosions qui les avaient amorcés. Mais ce jour-là, cette perfection m’effraya. Elle m’effraya, car je compris qu’elle n’existait pas, qu’elle n’était qu’un leurre. J’en voulus à ma mère et j’écartai d’un geste brusque tout ce qui venait d’elle.
Mes bleus me torturaient, comme son sang sur mes genoux, lorsque mes yeux tombaient sur ces souvenirs qui tristement étaient heureux. Tandis que j’entassais ma vie dans des boîtes en carton, je voyais se pavaner mes traumatismes. Ils disaient « Crevons, crevons, crevons, … » Sans s’arrêter et leurs mots tels des épées, tels des orages, des tempêtes, leurs mots dégustant mes couleurs si éclatantes comme l’azur du ciel, embrasant tout sourire, toute joie, ces mots heurtaient mes sens plus que de raison. J’ai honte aujourd’hui d’avoir eu de telles pensées. J’ai honte, mais en même temps, je les comprends, quand je songe au crime que je vais commettre.
Ma mère ne supportait pas qu’on évoque la religion, ou même le paranormal. J’avais à plusieurs reprises voulu savoir ce qu’elle pensait de l’existence de Dieu, ou du paradis, de l’enfer ou même de Jésus-Christ. Je lui faisais souvent part de ma peur des créatures magiques, des extraterrestres et de tout ce que je ne connaissais pas, que la science n’expliquait pas. Chaque fois elle changeait de conversation. Comme elle le fit ce jour-là, lorsqu’en faisant mes devoirs, je lui parlai du Temple du Peuple et du massacre de Jonestown vu plus tôt dans un reportage à la télévision. Elle me reprocha de l’avoir regardé sans sa permission. Je remarquai immédiatement son regard, inhabituel, lorsqu’elle me répondit. Froid, dur, comme si je l’avais irritée. Ses mains se crispèrent légèrement, et après une profonde inspiration, elle me pressa de finir mon travail.
Depuis deux mois, la maison n’était habitée que par le silence et de temps en temps, quelques visiteurs feignant la tristesse venait jouer l’incompréhension. La vérité était toute autre, mon père et son air Caliméro se laissait cajoler, j’observais ses scènes à travers l’entrebâillement d’une porte, sous une table ou dans un coin sombre.
Pourtant, j’étais le seul pointé du doigt. On médisait, on chuchotait et on se taisait à mon approche. On prétendait s’inquiéter pour moi. J’avais maigri, je savais que je semblais malade, et mes visites fréquentes chez le médecin n’y changeaient rien. Bien au contraire, la gravité de cet homme, ses soupirs et ses arrière-pensées m’agaçaient plus qu’autre chose, au fond, ils étaient tous les mêmes. Les mêmes ? Pas vraiment, non. Certains prétendaient tout savoir, tout savoir de la tristesse qu’on éprouve à la mort d’un proche, certains préféraient s’éloigner par peur d’avoir à affronter la réalité d’une fin, et d’autres, qui sont de loin les pires, profitaient de la situation. Mais qu’importe, ils étaient tous égoïstes. Ma mère était morte. Ma mère était morte.
Sur les conseils d’un psychiatre, j’allais reprendre les cours. Bizarrement, ça ne me dérangeait pas, pensais-je dans ma nouvelle chambre. Cette pièce, je sus dès le début que je ne me l’approprierais pas. Tout me paraissait froid, sans humanité et vide, incroyablement vide. Vide de souvenirs, qu’ils soient bons ou mauvais. Abandonné par l’ancien propriétaire, seul le piano que j’avais arraché au salon, par le charme de sa droiture ajoutait un soupçon de vie à cet air sans odeur.
Ma mère parlait souvent de déménager. Elle trouvait notre maison trop grande, trop difficile à entretenir. Alors elle regardait, elle feuilletait les catalogues, puis plus tard, elle parcourait des pages internet, des heures et des heures entières. Aucune n’était à son goût. Bien sûr il lui arrivait fréquemment de s’arrêter sur l’une d’elles, de la scruter avec attention, parfois même elle allait jusqu’à la visiter. Puis s’ensuivait des journées de réflexion, de rêve et de doute, pour finalement conclure qu’il valait mieux ne pas partir, qu’elle aimait bien trop notre vieux chez nous. Et le cycle reprenait, à chaque déception : une fuite, une tuile qui se détachait du toit ou bien simplement des travaux d’entretien à faire. Mais jamais elle ne prospectait sans m’en parler, sans me demander mon avis. Bien sûr, j’étais petit et très attaché aux habitudes, c’est à coups d’arguments irréfutables qu’elle arrivait souvent à me convaincre.
J’avais reçu il y a deux semaines une lettre d’encouragement de la part de ma classe. Si certains élèves s’étaient contentés de signer, d’autres avaient accompagné leurs marques de mots doux, comiques et amicaux qui m’avaient plongé dans une profonde béatitude. Pas d’ami, pas d’ennemi, j’avais l’habitude d’être seul. J’échangeais des « Bonjour » avec tout le monde, je souriais aux blagues, et même si parfois certaines me blessaient, je riais volontairement aux moqueries qu’on m’adressait. Mais je ne me sentais proche de personne, comment être proche de quelqu’un ? Incapable, j’étais incapable. Tout le monde était monstrueusement plus grand que moi, tous me dépassaient par leur esprit vif et leur repartie. Illusionné par leur immense confiance, je me pensais, je me savais moins que rien. J’avais juste tort de penser être seul. Ébloui par leur assurance, je les admirais autant que je les enviais, chaque personne, qu’elle soit adulte ou enfant, m’était infiniment supérieure et d’en bas je contemplais leurs rires comme on contemple les astres qu’on rêve, sans grand espoir, atteindre, un jour, sans doute…
Le lendemain, je me réveillai avec conviction et excitation. C’était une bonne chose de revoir quelques visages familiers, autres que mon père. C’était une bonne chose de revoir ces lieux où certes, je ne me sentais pas à ma place, mais au moins, ces lieux, je les connaissais. J’avais foulé ces sols, les marches grinçantes du vieil escalier du bâtiment D, l’odeur du bois des salles de Français, et celle des feutres des salles de sciences. J’allais retrouver le professeur de musique qui jouait du piano pendant les évaluations, que j’écoutais sans toucher ma feuille, et l’art plastique, M. Mavieu qui, grand rêveur, laissait libre cours à notre imagination face à des feuilles de papier colorées, d’étranges sculptures et d’autres créations, le chahut de la classe qui ne saisissait pas cette chance.
Je souris en arrivant devant les grilles de mon collège. Austère, son imposante silhouette surplombait les rues de son ombre, gigantesque projection du soleil levant. Quelques élèves étaient là, cachés, pour fumer sans doute, d’autres attendaient devant le portail qu’un surveillant nous autorise à entrer. Je reconnaissais quelques visages, sans pour autant connaître leur nom. Pourtant, ça ne me faisait plus peur. Plus vraiment du moins. Provisoirement. J’avais besoin de me changer les idées, de voir autre chose que ces passants au regard faussement noir. Je savais qu’inévitablement, on me poserait des questions, qu’on parlerait de moi, sans médire, j’espérais, pour une fois. J’imaginais alors ce qu’on avait pu leur expliquer, leurs réactions, compréhension ? Moquerie ? Je ne voulais pas susciter la pitié, je ne voulais pas tirer profit d’un événement tragique, et c’est peu dire. Assurément, j’aurais préféré qu’ils n’en sachent rien, j’aurais voulu tout garder pour moi, ma mère, lui.
Nous commencions la journée avec français. En rentrant dans la cour, je fus submergé par une vague de mauvaises pensées, je me mis à courir, pour les fuir. Quel paradoxe, moi qui étais si content d’être ici. J’étais le premier à arriver devant la salle, la porte était ouverte, je me souviens avoir eu peur d’être en retard. Assis au bureau, bizarrement en train de trier de petits bouts de papier, il y avait un homme que je ne connaissais pas. Jeune, très fin, pas très grand, les cheveux courts et tout habillé de noir ; il semblait tout droit sorti d’un film de Tim Burton. Il m’invita à entrer.
« Je suis remplaçant, m’expliqua-t-il, tu ne t’es pas trompé de salle. »
Mon air cramoisi avait dû l’interpeller, et sitôt que je fus entré, en bousculades, arrivèrent les autres élèves.
Je fus accueilli à coups de « Salut, ça va ? » et de quelques poignées de mains, mais rien, pas d’affinité, seulement un sourire et un « Tu nous as manqué ». Elle s’appelait Charlotte. Toujours compatissante et souriante, admirable mais ambiguë, j’avais peur qu’elle soit menteuse.
« Voilà, tout le monde est là. commença le professeur dont j’ignorais le nom en présentant devant nous une boîte en carton, je vous ai préparé là-dedans des mots, ceci est une boîte-à-mots. Je vais vous demander d’en prendre un, et un seul, et certains d’entre vous passeront au tableau pour explique ce que ce mot leur évoque. »
J’entendis quelques soupirs, des rires aussi, je savais ce qu’ils pensaient, oui, au fond, cet exercice ne servait pas à grand-chose. Dans l’immédiat.
Moi j’aimais bien me perdre, partir d’une chose pour arriver à une autre simplement en suivant un fil je peine aussi à saisir. Mais j’ai été dessus, quand j’ai tiré le mot “embouteillage”.
Il ne m’évoquait pas grand-chose, ou peut-être qu’à ce moment précis je n’avais pas trop envie de me livrer à l’exercice. Ce qu’on nous demandait n’était pourtant pas sorcier, on pouvait rester dans le concret. Un embouteillage m’aurait alors évoqué des voitures, des gens qui râlent, l’inconfort des voyages en voiture qui s’éternisent. Ou bien alors j’aurais pu comme d’habitude tout faire tourner autour de moi et parler de cette impression de blocage et de barricade imposés par le désordre de mes pensées, mais fort heureusement, je me suis abstenu.
J’ai attendu les mots des autres pour m’en aller rêver.
La première à parler, ce fut Charlotte.
« Le tourbillon, annonça-t-elle d’une voix enjouée. Le tourbillon, ça me fait penser aux sentiments, aux idées. Ça me fait penser au tourment. Au tourment, quand on ne peut pas choisir, quand aimerait se diviser, être partout ou bien nulle part, quand on est tiraillé, perdu… En fait, c’est exactement comme quand des parents divorcent. Chacun est là, à dire du mal de l’autre, et te faire de toi l’intermédiaire parce qu’ils ne se parlent plus, et c’est toi qui te fais disputer quand tu rapportes les demandes de l’un, de l’autre.
Sinon ça me fait aussi penser aux tourbillons au fond d’un lavabo qu’on débouche, vous saviez qu’ils ne tournaient pas dans le même sens en Afrique ? »
C’était pas tout à fait vrai, mais ça me fit rire. Elle avait dit tout cela très rapidement, sans perdre à un seul moment son sourire. J’avais aimé sa façon de s’exprimer, ses mimiques et son rire. Le professeur la félicita. Je la suivis du regard pendant qu’elle retournait s’asseoir. Elle avait un visage très particulier. Difficile à dire si oui ou non elle était belle
Le deuxième à s’exprimer, c’était Mathieu. Grand, fort, il se fichait un peu de tout et de tout le monde, c’était son genre, son caractère, je me suis toujours dit qu’il avait ses raisons. Aussi ça ne m’étonna pas quand il déclara que « Polymorphisme » n’évoquait pour lui que le Pokémon Métamorphe et qu’il ne chercha pas à aller plus loin quand l’homme en noir lui demanda de continuer.
Le dernier à passer s’appelait Quentin. C’était l’exact opposé, il était petit, ne tenait pas en place, il me faisait penser à une sauterelle.
« Alors hâle, attaqua-t-il en riant à moitié, hâle, ça me fait penser au magasin où on achète des vêtements et des chaussures.
– C’est hâle dans le sens… Bronzage, lui enseigna le professeur, ce qui immédiatement déclencha des gloussements dans toute la salle, moi inclus.
– Ah OK, se reprit Quentin, bah alors ça me fait penser aux vacances, à la mer et tout. Ça me fait aussi penser au soleil, à la crème solaire, aux châteaux de sable. »
Hâle, hâle, ce mot sonnait si bien, si doux, il me plaisait, mais il me rappelait mon père, mon père qui passait ses journées à la plage en observant les femmes aux seins nus, caché derrière des lunettes noires ou un livre toujours à la même page, toujours la même plage. Hâle. J’aimais le soleil, l’eau un peu moins. J’aimais les vagues, le sel me piquait mais je faisais avec. Je me souviens de ces vacances, que ma mère passait souvent seule, sans mari, ses grandes promenades le long des côtes, son amour des choses simples et le bruit, le bruit de la houle qui s’écrasait contre les rochers. Parfois on ne la voyait plus, ma mère, ma mère partait à l’eau et disparaissait dans ses vagues, ou ses vieilles pierres qu’elle foulait avec tendresse et pendant des heures, des journées, je l’attendais silencieusement, assis sur le sable et les pieds dans l’eau.
Hâle, c’était aussi sa peau, son sang, c’était ses yeux sombres et sa bonté.
Fort heureusement, le professeur ne me demanda d’exécuter l’exercice face aux autres. Dehors, le ciel s’était assombri et on entendait, très lointain, le tonnerre, la foudre trancher l’air. L’orage ramenait toujours à la mélancolie qui se muait parfois en larmes ou en colère, cette mélancolie qu’aucune peau de chagrin n’aurait pu ôter. Ma mère a toujours su conserver son sourire sempiternel, le soir pourtant, je l’entendais soupirer. Je l’imaginais dans son lit, après une rude journée, ne trouvant pas le sommeil aux côtés de mon père qui ronflait.
La sonnerie me rappela à l’ordre et mit un terme à ma songerie. Pour la première fois, je rangeai mes affaires rapidement afin d’éviter qu’on me pose des questions et sortis de la salle.
Les escaliers, les couloirs, en fait tout le bâtiment G où se trouvaient les salles de français et de musique était bien plus vieux que le reste du collège. On trouvait sur les murs les marques des générations, ces collégiens qui, maintenant parents ou grands-parents, avaient laissé leurs traces, leurs noms. J’avais toujours adoré les inconnus, je rêvais d’eux, en les idéalisant, j’essayais de les connaître mais pas trop non plus. Lors de mon arrivée en sixième, je m’étais amusé à relever quelques identités, je les avais récoltés au hasard et j’avais procédé à des recherches pour savoir qui étaient ces hommes, ces femmes dont le patronyme n’avait pas encore de visage.
Stéphanie Marty. J’avais commencé par elle. Sur le mur faisant face à la salle G03, on pouvait lire « Stéphanie Marty, 4e 4 ! ». Stéphanie, j’avais repéré son nom, dans un article du journal local. Elle avait la trentaine maintenant, avait deux enfants en bas âge et était adjointe au maire de la ville de Saint Memmie.
Bertrand Sacré, j’avais trouvé son nom sur la porte des toilettes. Internet m’indiqua qu’il n’avait pas de femme, tout du moins je l’espérais puisqu’il était inscrit sur un site de rencontres.
Finalement, Arthur Barbier s’était tué en voiture à l’âge de dix-neuf ans, alors qu’il revenait d’une soirée étudiante, l’alcool, sans doute, il avait été retrouvé dans la Marne le lendemain matin. Je me souviens avoir eu un haut le cœur en découvrant son histoire. Il avait eu mon âge, parfois j’avais tendance à oublier que mes aînés avaient aussi été enfants. Mais il est mort. Il n’en avait strictement aucune idée quand il avait noté son prénom sur ce banc.
Ce fut ma dernière recherche, je ne voulais pas retomber sur de pareilles nouvelles.
J’allais retrouver l’univers du cours de musique.
Monsieur Géant, bien que fort petit, avait quatre mains. Du moins, par amusement je le soupçonnais d’en cacher deux autres sous sa chemise. Le piano numérique de la salle de musique le savait sans doute mieux que moi, mais c’est lui qui m’avait soufflé que mon professeur n’était pas humain.
Monsieur Géant ne parlait pas énormément aux élèves en dehors des cours, il ne liait aucun lien amical avec nous, donc très peu d’étudiants l’appréciaient. Ce que je ressentais pour lui n’était qu’admiration. Admiration, lorsque je voyais le spectacle de ses mains dansant avec grâce sur le clavier blanc et noir, admiration lorsque les sons tantôt doux, tantôt plus violent plongeaient mon corps et mon esprit dans une profonde béatitude qui, selon certains de mes camarades, se matérialisait sur mon visage par des grimaces incontrôlées. Un homme tel que lui aurait soulevé les foules, mais il restait, devant des gamins goguenards, à donner un cours dont personne ne tirait profit, que ce soit lui, ou nous.
Qui était ce musicien silencieux ? Quand il accompagna de ses notes le chant faux d’un de mes camarades, je l’observai attentivement. Je le fixai, je traversai les rides de son front soucieux, j’outrepassai les soupirs, j’y vis la passion. La passion d’un homme seul, seul au milieu de tous. Je l’avais compris et je me mis à sourire. Mon voisin me rappela à l’ordre d’un petit coup de coude dans les côtes.
« Tu recommences, souffla-t-il. »
Ce n’était pas pareil, cette fois. J’aurais aimé qu’il partage ses secrets avec nous, ses connaissances, bien différentes de celles que l’on peut trouver dans les livres, son amour, qu’il nous abreuve de son ivresse des rythmes, qu’il nous contamine par sa fièvre et sa folie musicale.
Je ne savais pas, en ce temps, ce que signifiait être fou.
Le ciel blanc se teintait de noir, la journée s’écoulait lentement et je recommençais déjà à regarder ma montre qui de fil en aiguille laissait filer le temps. Il ne pleuvait plus, j’étais content, je rentrais à pied.
Traînant, lent, je pris mon temps sur le chemin du retour. Je fermai les yeux en avançant, privé de la vue je laissai le monde des sons et des odeurs se dévoiler à mes sens. Je n’ouvris les yeux que devant mon nouveau chez moi. Je rentrai sans faire de bruit. Plus tard, je mangeai sans faire de bruit. Puis, je rejoins ma chambre, sans faire de bruit. Sur ma porte, il y avait un miroir. Dans ce miroir, mon image. Je n’aimais pas les miroirs parce que ce reflet, qu’on le trouve beau ou laid, c’était moi. Je n’étais pas qu’une simple pensée, voilà comment les gens me voyaient. Je me pris à me regarder fixement. Fixement. Comme si je me découvrais pour la première fois, je levais un bras, puis l’autre, sans comprendre ce que je faisais dans ce corps, je le commandais, telle une machine il m’obéissait, sans pour autant faire partie de moi. Je l’habitais tel un parasite, même mon visage je ne le reconnaissais pas.
Mon père regardait la télévision. J’entendais ses bêtises jusque dans ma chambre, alors je fermai ma porte. Il faisait déjà noir, et je restai là, à contempler le vide. J’aimais ces secondes qui suivent une torpeur soudaine.
Je m’assis sur mon lit, observant le silence. Temps mort dans mes croches, point d’orgue sur la ronde de mes pensées, ce silence d’or devint plomb.
Les grincements du plancher de mon ancienne maison me manquèrent. Cette journée s’était très bien passée. Je pensais un peu à Charlotte, j’étais content de l’avoir vue. Mais malgré cela, je n’avais aucune envie d’être heureux. J’essayai de vider mon esprit. On dit que parfois, trop rapidement, les visages de nos morts disparaissent, qu’on oublie peu à peu leur image. Ce n’était pas mon cas. Je ne voyais plus ni amour ni rire, mais le corps de ma mère continuait de planer pâle et froid, la tête basse, et sur mes genoux, du sang, sa peau brûlante, son regard vide.
« Revenez. »
Je m’allongeai.
Je me blottissais.
Je m’inventais une autre histoire.
Tout allait pour le mieux.
J’imaginais que ma couverture avait des bras, j’imaginais sa respiration et sa chaleur, j’écoutais battre son cœur, je sentais son odeur. Et je pleurais sans bruit. J’enlaçais une dernière fois sa tendresse avant de m’endormir.
Des feuilles, des dessins, des textes que j’avais écrits et surtout les toiles que m’avait peintes ma mère. Amoureuse de Bosch et des peintres surréalistes, elle m’en parlait comme à un adulte. Elle m’expliquait les couleurs, les postures, et chaque détail de son art. Avec le regard de l’enfant sur sa mère, je le trouvais parfait. Et j’adorais ses peintures et ses feux d’artifice lumineux sans ne rien savoir des explosions qui les avaient amorcés. Mais ce jour-là, cette perfection m’effraya. Elle m’effraya, car je compris qu’elle n’existait pas, qu’elle n’était qu’un leurre. J’en voulus à ma mère et j’écartai d’un geste brusque tout ce qui venait d’elle.
Mes bleus me torturaient, comme son sang sur mes genoux, lorsque mes yeux tombaient sur ces souvenirs qui tristement étaient heureux. Tandis que j’entassais ma vie dans des boîtes en carton, je voyais se pavaner mes traumatismes. Ils disaient « Crevons, crevons, crevons, … » Sans s’arrêter et leurs mots tels des épées, tels des orages, des tempêtes, leurs mots dégustant mes couleurs si éclatantes comme l’azur du ciel, embrasant tout sourire, toute joie, ces mots heurtaient mes sens plus que de raison. J’ai honte aujourd’hui d’avoir eu de telles pensées. J’ai honte, mais en même temps, je les comprends, quand je songe au crime que je vais commettre.
Ma mère ne supportait pas qu’on évoque la religion, ou même le paranormal. J’avais à plusieurs reprises voulu savoir ce qu’elle pensait de l’existence de Dieu, ou du paradis, de l’enfer ou même de Jésus-Christ. Je lui faisais souvent part de ma peur des créatures magiques, des extraterrestres et de tout ce que je ne connaissais pas, que la science n’expliquait pas. Chaque fois elle changeait de conversation. Comme elle le fit ce jour-là, lorsqu’en faisant mes devoirs, je lui parlai du Temple du Peuple et du massacre de Jonestown vu plus tôt dans un reportage à la télévision. Elle me reprocha de l’avoir regardé sans sa permission. Je remarquai immédiatement son regard, inhabituel, lorsqu’elle me répondit. Froid, dur, comme si je l’avais irritée. Ses mains se crispèrent légèrement, et après une profonde inspiration, elle me pressa de finir mon travail.
Depuis deux mois, la maison n’était habitée que par le silence et de temps en temps, quelques visiteurs feignant la tristesse venait jouer l’incompréhension. La vérité était toute autre, mon père et son air Caliméro se laissait cajoler, j’observais ses scènes à travers l’entrebâillement d’une porte, sous une table ou dans un coin sombre.
Pourtant, j’étais le seul pointé du doigt. On médisait, on chuchotait et on se taisait à mon approche. On prétendait s’inquiéter pour moi. J’avais maigri, je savais que je semblais malade, et mes visites fréquentes chez le médecin n’y changeaient rien. Bien au contraire, la gravité de cet homme, ses soupirs et ses arrière-pensées m’agaçaient plus qu’autre chose, au fond, ils étaient tous les mêmes. Les mêmes ? Pas vraiment, non. Certains prétendaient tout savoir, tout savoir de la tristesse qu’on éprouve à la mort d’un proche, certains préféraient s’éloigner par peur d’avoir à affronter la réalité d’une fin, et d’autres, qui sont de loin les pires, profitaient de la situation. Mais qu’importe, ils étaient tous égoïstes. Ma mère était morte. Ma mère était morte.
Sur les conseils d’un psychiatre, j’allais reprendre les cours. Bizarrement, ça ne me dérangeait pas, pensais-je dans ma nouvelle chambre. Cette pièce, je sus dès le début que je ne me l’approprierais pas. Tout me paraissait froid, sans humanité et vide, incroyablement vide. Vide de souvenirs, qu’ils soient bons ou mauvais. Abandonné par l’ancien propriétaire, seul le piano que j’avais arraché au salon, par le charme de sa droiture ajoutait un soupçon de vie à cet air sans odeur.
Ma mère parlait souvent de déménager. Elle trouvait notre maison trop grande, trop difficile à entretenir. Alors elle regardait, elle feuilletait les catalogues, puis plus tard, elle parcourait des pages internet, des heures et des heures entières. Aucune n’était à son goût. Bien sûr il lui arrivait fréquemment de s’arrêter sur l’une d’elles, de la scruter avec attention, parfois même elle allait jusqu’à la visiter. Puis s’ensuivait des journées de réflexion, de rêve et de doute, pour finalement conclure qu’il valait mieux ne pas partir, qu’elle aimait bien trop notre vieux chez nous. Et le cycle reprenait, à chaque déception : une fuite, une tuile qui se détachait du toit ou bien simplement des travaux d’entretien à faire. Mais jamais elle ne prospectait sans m’en parler, sans me demander mon avis. Bien sûr, j’étais petit et très attaché aux habitudes, c’est à coups d’arguments irréfutables qu’elle arrivait souvent à me convaincre.
J’avais reçu il y a deux semaines une lettre d’encouragement de la part de ma classe. Si certains élèves s’étaient contentés de signer, d’autres avaient accompagné leurs marques de mots doux, comiques et amicaux qui m’avaient plongé dans une profonde béatitude. Pas d’ami, pas d’ennemi, j’avais l’habitude d’être seul. J’échangeais des « Bonjour » avec tout le monde, je souriais aux blagues, et même si parfois certaines me blessaient, je riais volontairement aux moqueries qu’on m’adressait. Mais je ne me sentais proche de personne, comment être proche de quelqu’un ? Incapable, j’étais incapable. Tout le monde était monstrueusement plus grand que moi, tous me dépassaient par leur esprit vif et leur repartie. Illusionné par leur immense confiance, je me pensais, je me savais moins que rien. J’avais juste tort de penser être seul. Ébloui par leur assurance, je les admirais autant que je les enviais, chaque personne, qu’elle soit adulte ou enfant, m’était infiniment supérieure et d’en bas je contemplais leurs rires comme on contemple les astres qu’on rêve, sans grand espoir, atteindre, un jour, sans doute…
Le lendemain, je me réveillai avec conviction et excitation. C’était une bonne chose de revoir quelques visages familiers, autres que mon père. C’était une bonne chose de revoir ces lieux où certes, je ne me sentais pas à ma place, mais au moins, ces lieux, je les connaissais. J’avais foulé ces sols, les marches grinçantes du vieil escalier du bâtiment D, l’odeur du bois des salles de Français, et celle des feutres des salles de sciences. J’allais retrouver le professeur de musique qui jouait du piano pendant les évaluations, que j’écoutais sans toucher ma feuille, et l’art plastique, M. Mavieu qui, grand rêveur, laissait libre cours à notre imagination face à des feuilles de papier colorées, d’étranges sculptures et d’autres créations, le chahut de la classe qui ne saisissait pas cette chance.
Je souris en arrivant devant les grilles de mon collège. Austère, son imposante silhouette surplombait les rues de son ombre, gigantesque projection du soleil levant. Quelques élèves étaient là, cachés, pour fumer sans doute, d’autres attendaient devant le portail qu’un surveillant nous autorise à entrer. Je reconnaissais quelques visages, sans pour autant connaître leur nom. Pourtant, ça ne me faisait plus peur. Plus vraiment du moins. Provisoirement. J’avais besoin de me changer les idées, de voir autre chose que ces passants au regard faussement noir. Je savais qu’inévitablement, on me poserait des questions, qu’on parlerait de moi, sans médire, j’espérais, pour une fois. J’imaginais alors ce qu’on avait pu leur expliquer, leurs réactions, compréhension ? Moquerie ? Je ne voulais pas susciter la pitié, je ne voulais pas tirer profit d’un événement tragique, et c’est peu dire. Assurément, j’aurais préféré qu’ils n’en sachent rien, j’aurais voulu tout garder pour moi, ma mère, lui.
Nous commencions la journée avec français. En rentrant dans la cour, je fus submergé par une vague de mauvaises pensées, je me mis à courir, pour les fuir. Quel paradoxe, moi qui étais si content d’être ici. J’étais le premier à arriver devant la salle, la porte était ouverte, je me souviens avoir eu peur d’être en retard. Assis au bureau, bizarrement en train de trier de petits bouts de papier, il y avait un homme que je ne connaissais pas. Jeune, très fin, pas très grand, les cheveux courts et tout habillé de noir ; il semblait tout droit sorti d’un film de Tim Burton. Il m’invita à entrer.
« Je suis remplaçant, m’expliqua-t-il, tu ne t’es pas trompé de salle. »
Mon air cramoisi avait dû l’interpeller, et sitôt que je fus entré, en bousculades, arrivèrent les autres élèves.
Je fus accueilli à coups de « Salut, ça va ? » et de quelques poignées de mains, mais rien, pas d’affinité, seulement un sourire et un « Tu nous as manqué ». Elle s’appelait Charlotte. Toujours compatissante et souriante, admirable mais ambiguë, j’avais peur qu’elle soit menteuse.
« Voilà, tout le monde est là. commença le professeur dont j’ignorais le nom en présentant devant nous une boîte en carton, je vous ai préparé là-dedans des mots, ceci est une boîte-à-mots. Je vais vous demander d’en prendre un, et un seul, et certains d’entre vous passeront au tableau pour explique ce que ce mot leur évoque. »
J’entendis quelques soupirs, des rires aussi, je savais ce qu’ils pensaient, oui, au fond, cet exercice ne servait pas à grand-chose. Dans l’immédiat.
Moi j’aimais bien me perdre, partir d’une chose pour arriver à une autre simplement en suivant un fil je peine aussi à saisir. Mais j’ai été dessus, quand j’ai tiré le mot “embouteillage”.
Il ne m’évoquait pas grand-chose, ou peut-être qu’à ce moment précis je n’avais pas trop envie de me livrer à l’exercice. Ce qu’on nous demandait n’était pourtant pas sorcier, on pouvait rester dans le concret. Un embouteillage m’aurait alors évoqué des voitures, des gens qui râlent, l’inconfort des voyages en voiture qui s’éternisent. Ou bien alors j’aurais pu comme d’habitude tout faire tourner autour de moi et parler de cette impression de blocage et de barricade imposés par le désordre de mes pensées, mais fort heureusement, je me suis abstenu.
J’ai attendu les mots des autres pour m’en aller rêver.
La première à parler, ce fut Charlotte.
« Le tourbillon, annonça-t-elle d’une voix enjouée. Le tourbillon, ça me fait penser aux sentiments, aux idées. Ça me fait penser au tourment. Au tourment, quand on ne peut pas choisir, quand aimerait se diviser, être partout ou bien nulle part, quand on est tiraillé, perdu… En fait, c’est exactement comme quand des parents divorcent. Chacun est là, à dire du mal de l’autre, et te faire de toi l’intermédiaire parce qu’ils ne se parlent plus, et c’est toi qui te fais disputer quand tu rapportes les demandes de l’un, de l’autre.
Sinon ça me fait aussi penser aux tourbillons au fond d’un lavabo qu’on débouche, vous saviez qu’ils ne tournaient pas dans le même sens en Afrique ? »
C’était pas tout à fait vrai, mais ça me fit rire. Elle avait dit tout cela très rapidement, sans perdre à un seul moment son sourire. J’avais aimé sa façon de s’exprimer, ses mimiques et son rire. Le professeur la félicita. Je la suivis du regard pendant qu’elle retournait s’asseoir. Elle avait un visage très particulier. Difficile à dire si oui ou non elle était belle
Le deuxième à s’exprimer, c’était Mathieu. Grand, fort, il se fichait un peu de tout et de tout le monde, c’était son genre, son caractère, je me suis toujours dit qu’il avait ses raisons. Aussi ça ne m’étonna pas quand il déclara que « Polymorphisme » n’évoquait pour lui que le Pokémon Métamorphe et qu’il ne chercha pas à aller plus loin quand l’homme en noir lui demanda de continuer.
Le dernier à passer s’appelait Quentin. C’était l’exact opposé, il était petit, ne tenait pas en place, il me faisait penser à une sauterelle.
« Alors hâle, attaqua-t-il en riant à moitié, hâle, ça me fait penser au magasin où on achète des vêtements et des chaussures.
– C’est hâle dans le sens… Bronzage, lui enseigna le professeur, ce qui immédiatement déclencha des gloussements dans toute la salle, moi inclus.
– Ah OK, se reprit Quentin, bah alors ça me fait penser aux vacances, à la mer et tout. Ça me fait aussi penser au soleil, à la crème solaire, aux châteaux de sable. »
Hâle, hâle, ce mot sonnait si bien, si doux, il me plaisait, mais il me rappelait mon père, mon père qui passait ses journées à la plage en observant les femmes aux seins nus, caché derrière des lunettes noires ou un livre toujours à la même page, toujours la même plage. Hâle. J’aimais le soleil, l’eau un peu moins. J’aimais les vagues, le sel me piquait mais je faisais avec. Je me souviens de ces vacances, que ma mère passait souvent seule, sans mari, ses grandes promenades le long des côtes, son amour des choses simples et le bruit, le bruit de la houle qui s’écrasait contre les rochers. Parfois on ne la voyait plus, ma mère, ma mère partait à l’eau et disparaissait dans ses vagues, ou ses vieilles pierres qu’elle foulait avec tendresse et pendant des heures, des journées, je l’attendais silencieusement, assis sur le sable et les pieds dans l’eau.
Hâle, c’était aussi sa peau, son sang, c’était ses yeux sombres et sa bonté.
Fort heureusement, le professeur ne me demanda d’exécuter l’exercice face aux autres. Dehors, le ciel s’était assombri et on entendait, très lointain, le tonnerre, la foudre trancher l’air. L’orage ramenait toujours à la mélancolie qui se muait parfois en larmes ou en colère, cette mélancolie qu’aucune peau de chagrin n’aurait pu ôter. Ma mère a toujours su conserver son sourire sempiternel, le soir pourtant, je l’entendais soupirer. Je l’imaginais dans son lit, après une rude journée, ne trouvant pas le sommeil aux côtés de mon père qui ronflait.
La sonnerie me rappela à l’ordre et mit un terme à ma songerie. Pour la première fois, je rangeai mes affaires rapidement afin d’éviter qu’on me pose des questions et sortis de la salle.
Les escaliers, les couloirs, en fait tout le bâtiment G où se trouvaient les salles de français et de musique était bien plus vieux que le reste du collège. On trouvait sur les murs les marques des générations, ces collégiens qui, maintenant parents ou grands-parents, avaient laissé leurs traces, leurs noms. J’avais toujours adoré les inconnus, je rêvais d’eux, en les idéalisant, j’essayais de les connaître mais pas trop non plus. Lors de mon arrivée en sixième, je m’étais amusé à relever quelques identités, je les avais récoltés au hasard et j’avais procédé à des recherches pour savoir qui étaient ces hommes, ces femmes dont le patronyme n’avait pas encore de visage.
Stéphanie Marty. J’avais commencé par elle. Sur le mur faisant face à la salle G03, on pouvait lire « Stéphanie Marty, 4e 4 ! ». Stéphanie, j’avais repéré son nom, dans un article du journal local. Elle avait la trentaine maintenant, avait deux enfants en bas âge et était adjointe au maire de la ville de Saint Memmie.
Bertrand Sacré, j’avais trouvé son nom sur la porte des toilettes. Internet m’indiqua qu’il n’avait pas de femme, tout du moins je l’espérais puisqu’il était inscrit sur un site de rencontres.
Finalement, Arthur Barbier s’était tué en voiture à l’âge de dix-neuf ans, alors qu’il revenait d’une soirée étudiante, l’alcool, sans doute, il avait été retrouvé dans la Marne le lendemain matin. Je me souviens avoir eu un haut le cœur en découvrant son histoire. Il avait eu mon âge, parfois j’avais tendance à oublier que mes aînés avaient aussi été enfants. Mais il est mort. Il n’en avait strictement aucune idée quand il avait noté son prénom sur ce banc.
Ce fut ma dernière recherche, je ne voulais pas retomber sur de pareilles nouvelles.
J’allais retrouver l’univers du cours de musique.
Monsieur Géant, bien que fort petit, avait quatre mains. Du moins, par amusement je le soupçonnais d’en cacher deux autres sous sa chemise. Le piano numérique de la salle de musique le savait sans doute mieux que moi, mais c’est lui qui m’avait soufflé que mon professeur n’était pas humain.
Monsieur Géant ne parlait pas énormément aux élèves en dehors des cours, il ne liait aucun lien amical avec nous, donc très peu d’étudiants l’appréciaient. Ce que je ressentais pour lui n’était qu’admiration. Admiration, lorsque je voyais le spectacle de ses mains dansant avec grâce sur le clavier blanc et noir, admiration lorsque les sons tantôt doux, tantôt plus violent plongeaient mon corps et mon esprit dans une profonde béatitude qui, selon certains de mes camarades, se matérialisait sur mon visage par des grimaces incontrôlées. Un homme tel que lui aurait soulevé les foules, mais il restait, devant des gamins goguenards, à donner un cours dont personne ne tirait profit, que ce soit lui, ou nous.
Qui était ce musicien silencieux ? Quand il accompagna de ses notes le chant faux d’un de mes camarades, je l’observai attentivement. Je le fixai, je traversai les rides de son front soucieux, j’outrepassai les soupirs, j’y vis la passion. La passion d’un homme seul, seul au milieu de tous. Je l’avais compris et je me mis à sourire. Mon voisin me rappela à l’ordre d’un petit coup de coude dans les côtes.
« Tu recommences, souffla-t-il. »
Ce n’était pas pareil, cette fois. J’aurais aimé qu’il partage ses secrets avec nous, ses connaissances, bien différentes de celles que l’on peut trouver dans les livres, son amour, qu’il nous abreuve de son ivresse des rythmes, qu’il nous contamine par sa fièvre et sa folie musicale.
Je ne savais pas, en ce temps, ce que signifiait être fou.
Le ciel blanc se teintait de noir, la journée s’écoulait lentement et je recommençais déjà à regarder ma montre qui de fil en aiguille laissait filer le temps. Il ne pleuvait plus, j’étais content, je rentrais à pied.
Traînant, lent, je pris mon temps sur le chemin du retour. Je fermai les yeux en avançant, privé de la vue je laissai le monde des sons et des odeurs se dévoiler à mes sens. Je n’ouvris les yeux que devant mon nouveau chez moi. Je rentrai sans faire de bruit. Plus tard, je mangeai sans faire de bruit. Puis, je rejoins ma chambre, sans faire de bruit. Sur ma porte, il y avait un miroir. Dans ce miroir, mon image. Je n’aimais pas les miroirs parce que ce reflet, qu’on le trouve beau ou laid, c’était moi. Je n’étais pas qu’une simple pensée, voilà comment les gens me voyaient. Je me pris à me regarder fixement. Fixement. Comme si je me découvrais pour la première fois, je levais un bras, puis l’autre, sans comprendre ce que je faisais dans ce corps, je le commandais, telle une machine il m’obéissait, sans pour autant faire partie de moi. Je l’habitais tel un parasite, même mon visage je ne le reconnaissais pas.
Mon père regardait la télévision. J’entendais ses bêtises jusque dans ma chambre, alors je fermai ma porte. Il faisait déjà noir, et je restai là, à contempler le vide. J’aimais ces secondes qui suivent une torpeur soudaine.
Je m’assis sur mon lit, observant le silence. Temps mort dans mes croches, point d’orgue sur la ronde de mes pensées, ce silence d’or devint plomb.
Les grincements du plancher de mon ancienne maison me manquèrent. Cette journée s’était très bien passée. Je pensais un peu à Charlotte, j’étais content de l’avoir vue. Mais malgré cela, je n’avais aucune envie d’être heureux. J’essayai de vider mon esprit. On dit que parfois, trop rapidement, les visages de nos morts disparaissent, qu’on oublie peu à peu leur image. Ce n’était pas mon cas. Je ne voyais plus ni amour ni rire, mais le corps de ma mère continuait de planer pâle et froid, la tête basse, et sur mes genoux, du sang, sa peau brûlante, son regard vide.
« Revenez. »
Je m’allongeai.
Je me blottissais.
Je m’inventais une autre histoire.
Tout allait pour le mieux.
J’imaginais que ma couverture avait des bras, j’imaginais sa respiration et sa chaleur, j’écoutais battre son cœur, je sentais son odeur. Et je pleurais sans bruit. J’enlaçais une dernière fois sa tendresse avant de m’endormir.
Phoenamandre- Nombre de messages : 2423
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Date d'inscription : 08/03/2009
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Pierre
Je me souviendrai toujours de ma rencontre avec Pierre. Quand il avait simplement perdu patience au club de tir à l’arc. Je n’ai pas oublié la corde tendue de son arme, sa flèche pointée vers moi, son regard perdu, son visage fatigué crispé par la haine. Un silence aussi, un lourd silence lorsque tout le monde observait la scène, le temps en apnée, je scrutais ses yeux, ses cernes.
C’était le jour de mes treize ans, c’était le jour de ses onze ans, nous étions membres du club de tir à l’arc où mon père m’avait obligé à m’inscrire.
« C’est pour ton bien, m’avait-il dit. »
Il ne voulait pas que je sois dans ses pattes.
Voilà comment avaient démarré mes vacances d’été.
Maintenant prêts à affronter la rentrée, Pierre et moi étions devenus amis. Comment une chose pareille avait pu arriver ? Je n’en avais aucune idée.
Je l’attendais.
Je m’étais retracé cette journée, cette première journée, quand il avait menacé avec une flèche cassée de “tous nous assassiner”. Le voulait-il vraiment ? Je ne suis plus sûr de rien, aujourd’hui.
Chaque fois que je le regardais, j’avais honte, très honte. Honte de cette première rencontre où je m’étais permis de juger sa colère, en ne connaissant rien de lui. Lui, d’un seul coup d’œil connaissait tous les défauts des autres, ce que j’aurais mis des mois à découvrir. Et je l’enviais, d’une certaine manière.
Je tenais un livre, droit devant mes yeux, mais je ne lisais pas parce je guettais sa venue, je lui avais promis de l’accompagner pour sa rentrée en sixième. J’attendis cinq minutes de plus, puis voyant qu’il n’arrivait pas, je courus jusque chez lui.
Je sonnai. Trois, quatre, cinq secondes et je vis la poignée de sa porte s’abaisser, c’était Pierre.
« Qu’est-ce que tu fais, lui demandai-je encore essoufflé, tu vas être en retard !
– Ça sert à rien, soupira-t-il. »
Il avait passé les deux dernières semaines à ressasser combien il détestait le système scolaire, et en proie à une terrible panique, je l’avais vu se décomposer au fur et à mesure que la rentrée approchait. Là, il se tenait tout penaud, devant le pas de sa porte, presque honteusement.
« Allez, dépêche-toi, lui dis-je en souriant. »
Manifestement, il était déjà prêt. Il ne lui resta qu’à prendre son sac, et nous partîmes sans rien dire. Ses yeux étaient terriblement cernés.
Je n’avais pas cours aujourd’hui, ma rentrée était le lendemain. Je l’emmenai donc le matin, et j’avais prévu d’aller le récupérer le soir. Les parents étaient très nombreux au collège, dans la cours, tenant la main de leurs enfants. Sans doute plus nombreux que les élèves, du moins ils étaient plus bruyants, parfois même plus inquiets. Qu’en était-il de la mère de Pierre ? Je pensais qu’elle avait beaucoup à faire. Sa mère ne lui avait jamais reproché d’avoir été renvoyé du club de tir à l’arc. J’imaginais que c’était par pure sympathie. Une mère ne pouvait pas être mauvaise. Pierre était livide, anxieux, je dus presque le pousser pour qu’il passe la grille noire de l’établissement. Nous n’étions pas en avance, c’est sûr. À peine entrés, un homme commença à appeler des noms pour former les différentes classes, celui de Pierre ne tarda pas à être prononcé. Je lui lançai un regard navré, il me sourit.
« À plus, me dit-il. »
Et il partit, comme si de rien n’était.
Je revins le chercher vers seize heures, je le retrouvai égal à lui-même.
« Ça s’est bien passé ? lui demandai-je.
– Ça va, lâcha-t-il presque avec agacement. »
Je n’allai pas plus loin dans mon interrogatoire.
Il avait retrouvé sa froideur, dans son regard, son ton cassant, il était comme ça Pierre, bien souvent…
Je ne savais jamais comment agir avec lui. Il recherchait le silence, le calme pour laisser croître sa colère. J’avais peur de le froisser, de le blesser, un rien aurait suffi pour que je le perde et je m’en doutais déjà.
Ma mère bien souvent choisissait ce silence pour me réconforter. Elle savait tout dire en se taisant. J’avais peur d’en être incapable.
« Bon bah, je te laisse, lui dis-je en arrivant devant chez lui.
Tu pars, me demanda-t-il ? »
Sa maison sentait le chagrin à plein nez, le silence aussi. Je n’avais pas compris la première fois que j’étais venu, pourquoi les murs étaient sales, pourquoi le sol était poussiéreux. Pourquoi l’atmosphère était lourde, pourquoi les pièces étaient sombres, les volets fermés. Et sa mère, qui ne m’avait pas vu quand j’étais entré, qui ne m’avait pas répondu quand je l’avais saluée.
« Laisse tomber, m’avait dit Pierre. »
La chambre de Pierre n’était pas la chambre d’un enfant. Pas de jouet, aucun livre, la pièce paressait vide, vide et sombre comme le reste de la maison. Seul trônait tout au fond sur un petit bureau un vieil écran cathodique et une tour d’ordinateur.
Pierre avait une sœur, avant. Une petite sœur dont je n’avais pu voir qu’une photographie qu’il gardait précieusement.
« J’étais son grand frère, m’avait-il dit. »
L’enfant jouait dans la rue, juste en face de chez elle quand est survenu l’accident. Les jours qui suivirent, l’enterrement, tout cela Pierre s’en souvenait, mais il gardait surtout en mémoire la conductrice.
« Elle était noire. »
Comme son regard.
Regard que je n’ai pas pu soutenir.
Je n’avais pas compris, à l’époque, en quoi il trouvait ce détail si important.
Pierre ne jouait pas. Pas même sur son ordinateur. On devinait presque dans ses cernes les lignes de codes qui se reflétaient sur son visage pâle, soucieux et concentré. Je l’imaginais, cette nuit qu’il avait dû vivre avant de reprendre les cours, penché sur l’écran scintillant, les paupières lourdes mais un code à finir à tout prix. Je savais aussi que, lorsque couché, l’écran éteint, il continuait de voir les structures de son programme. Quand il fermait les paupières, les boucles, les conditions s’enchaînaient dans le vacarme de ses préoccupations.
Comment résoudre ce fichu bogue bloquant ?
D’où venait cette erreur de segmentation ?
Est-ce que sa mère pensait encore à lui ?
Je ne savais pas à quel point Pierre pouvait être seul.
Le ciel encombré de nuage s’assombrissait, je devais rentrer avant la pluie, malgré tout je revins en traînant des pieds, en flânant, je pris mon temps. Je regardais les passants se presser en regardant un coup le ciel, un coup leurs montres, rythmés par le son des talons aiguilles des femmes, des talonnettes des hommes et le grondement des valises à roulettes.
Un parfum, un parfum échappé d’une nuque vint se loger dans mes narines. Je m’arrêtais pour le sentir, je cherchais de la vue cette odeur caractéristique que je connaissais sans reconnaître, mauvaise méthode. Pudique, je baissais les yeux.
Ce parfum c’était un souvenir. Une odeur de nostalgie, un goût à la fois doux et amer. Je ne savais pas le situer, lui donner de visage, en éveiller les couleurs. J’éprouvais l’amour, mais une boule de chagrin l’étouffait.
Comment comprendre ? L’odeur s’était largement estompée, remplacée par la sueur des hommes et l’essence brûlée.
J’étais au milieu d’une rue en plein centre-ville. Comment étais-je arrivé là ? Aucune idée.
Impossible de m’en débarrasser, cette vapeur, cette nausée, son arrière-goût. Je m’assis près d’un poteau, j’attendis la pluie.
Un peu de douceur, des rires et de la rancœur. Je voyais la joie, mais aussi l’inexplicable, un regard accusateur, des paroles violentes, ma culpabilité.
Flou, des voix muettes, des ombres. Une atmosphère qui ne se faisait pas sentir, un mal de crâne, ça me donnait mal au crâne, j’approchais ! L’odeur au bout du nez ! Je touchais le souvenir, mais aussitôt il se dérobait, il m’échappait, ce terrible supplice.
Un flash. Des lumières, des visages, du brouhaha, de la musique, c’était le mariage de mes parents.
Tous les enfants n’ont pas la chance d’assister à l’union de leurs parents. J’étais à l’âge où les pantalons me dépassaient, je n’avais que trois ans. Mon père avait eu une éducation religieuse très stricte, mais moi, c’était la première fois que je me retrouvais dans une église. Je n’ai même pas été baptisé.
Comme tout enfant j’étais persuadé que les grandes personnes ne connaissaient pas les larmes. Or ce jour-là, j’ai vu un adulte pleurer. C’était la meilleure amie de ma mère. Je ne me souviens pas grand-chose d’elle, pas même son visage, seulement sa présence. Son aura. Son parfum.
Comment avais-je pu l’oublier ?
Je ne l’avais jamais revue par la suite. Ma mère restait secrète à son propos, elle me disait toujours « Tatie Mylène et maman se sont un peu disputées » mais rien de plus.
Les trottoirs étaient vides désormais. J’étais trempé, je dégoulinais. Alors je me levai, quelque peu étourdi.
Mon père n’était pas chez moi ce soir-là. Il ne revint pas pour le repas, que je pris seul devant la télévision. Je n’aimais pas la télévision. Je ne voulais pas être seul. Je regardais les images sans les voir, j’entendais les sons sans les écouter, je pensais à journée qui se terminait. Je ne comprenais pas. J’essayais de me souvenir quand, pourquoi ma mère et elle ne s’était plus adressé la parole. Le noir total.
Je pensais au lendemain, à la rentrée. J’avais un petit peu peur bien que ce fût la troisième fois. Mais sans ma mère, ce serait la première.
Et puis je me demandais si je n’étais pas amoureux. De qui serais-je amoureux ? De Charlotte. Parce que je ne la connaissais que très peu. Puisque je ne savais rien d’elle je la rendais parfaite. J’aimais cela, rendre mon entourage parfait. J’avais peur d’être déçu sitôt que je commençais à découvrir véritablement quelqu’un. Alors je ne voulais pas connaître Charlotte. Pendant des mois je l’avais regardée de loin, en souriant chaque fois qu’elle riait, en m’inquiétant dès qu’elle se taisait. Mon humeur était le reflet de la sienne.
« Je sais me persuader d’être heureux », pensais-je en allant me coucher.
Parfois je faisais le choix d’être triste. C’était mon droit, ça me faisait un bien fou. Le jour où ma mère est morte je n’étais pas « triste ». Le jour où il est mort, je n’étais pas « triste » non plus. Je suis « triste » quand je regarde le monde, quand je lis une histoire qui finit mal et je pleure toujours devant un film sur la Shoah. Je suis « triste » quand je réfléchis, quand je pense à eux. Mais quand ils sont morts, quand j’ai vu ma mère, ce fantôme, quand sa tête s’est posée sur mes genoux, que son sang a coulé, je n’étais pas « triste ». Je n’étais rien. Aucune sensation. Aucune émotion. Aucune pensée. Je n’étais rien. Et je suis resté rien pendant longtemps.
J’aime être triste. Ça prend du temps d’être triste. Quand je suis triste c’est que tout ne va pas si mal.
J’étais triste ce soir. Pour me détendre je fis la liste de ce je voulais le plus au monde. Charlotte n’était pas dedans. Ce n’était pas elle que je voulais le plus au monde. Je rêvai d’un au-delà, comme un paradis. Non, ça ne me plaisait pas. Je voyais le paradis comme un lieu abrutissant où tout le monde planerait dans la naïveté. Et s’il était possible de ressusciter ? Non. Je tenais trop à ma mémoire. Pourquoi ne pas continuer indéfiniment. Encore et toujours. Dans le même état. Quelle drôle d’idée ! Bien pire que les autres. La mort me fit moins peur cette nuit-là. « Pourquoi pas », pensais-je.
Je me réjouissais de mourir un jour.
Je m’endormis paisiblement.
Phoenamandre- Nombre de messages : 2423
Age : 33
Date d'inscription : 08/03/2009
Re: Son sang sur mes genoux (ex Cornichon)
Je n'aime toujours pas le titre, mais tout le reste me plaît énormément.
Tu maîtrises parfaitement les méandres dans lesquels tu nous emmènes, l'atmosphère est très emblématique du personnage : entre rêve, cauchemar et réalité, dans un flou tout à fait séduisant. Il y a plein de petites notations très fines, sensibles qui enrichissent le portrait du gamin, le tout dans un style poétique et fluide , bref, j'achète !
Dans les points négatifs : pleins d'erreurs, de mots sautés et de fautes d'orthographe, mais je t'absous : tu diras trois Verlaine et deux Fourest pour ta pénitence !
( et corrections si tu le réclames avec insistance - parce que j'ai la flemme !)
Tu maîtrises parfaitement les méandres dans lesquels tu nous emmènes, l'atmosphère est très emblématique du personnage : entre rêve, cauchemar et réalité, dans un flou tout à fait séduisant. Il y a plein de petites notations très fines, sensibles qui enrichissent le portrait du gamin, le tout dans un style poétique et fluide , bref, j'achète !
Dans les points négatifs : pleins d'erreurs, de mots sautés et de fautes d'orthographe, mais je t'absous : tu diras trois Verlaine et deux Fourest pour ta pénitence !
( et corrections si tu le réclames avec insistance - parce que j'ai la flemme !)
Invité- Invité
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