FRAGMENTS : le fil de vos textes courts

Janis a écrit:

Rentrant du café, je m'arrête à la bibliothèque pour lire le journal.
Parce qu'il fait chaud, et que la bibliothèque est doucement climatisée.
Je m'installe seule à une table. Un homme vient bientôt s'installer aussi. Il me regarde. Il dit ça vous va bien ce chapeau. Je lève les yeux. Il est plutôt vieux, puisqu'il est désormais avéré que me draguent les vieux et les poivrots. Je me crois obligée d'expliquer, c'est parce que je n'ai plus de cheveux. Ah, dit-il, je peux voir ? Je dis oui. J'oublie toujours que je dois apprendre à dire non. J'enlève mon chapeau, il approche deux doigts et caresse un instant mon crâne (comme on le fait avec le ventre des femmes enceintes, ou avec les très jeunes enfants : je songe soudain que je provoque souvent cette familiarité, et que ça me plaît bien). Il dit c'est doux. Ça vous va bien, aussi. Ouais, je ricane. Je vous assure. Je dis ouais, super, c'est bien connu rien ne vaut la quinqua chauve. Il dit vous êtes marrante en plus. Et encore, je suis sobre, zavez rien vu. Charmante et marrante, vous venez de quelle planète ? C'est ça, ouais (je suis un peu à court, la chaleur m'a étourdie).

Il me dit, je peux avoir votre number ?
Là, je me souviens que dois apprendre à dire non.
Je dis bahhh non, pour quoi faire ?
bahhh pour vous téléphoner.
bahhh non.

(À nos côtés, il y a maintenant ce très gros bonhomme cracra qui fait la manche avec sa guitare dans les rues de la ville, et descend des bières, il ronflote et menace régulièrement de tomber de sa chaise. Avant de s'assoir, il m'a dit salut ma belle : une nouvelle conquête ?)
Ça fait donc deux aujourd'hui.
Vous venez souvent ici ?
(dire non, dire non)
Oui
Bon, alors à demain.
Euh, non.
Si, à demain, j'y compte.
Bon d'accord.

Janis a écrit:Vélo et yaourtière

Soudain depuis quelques temps, mon père me fait des cadeaux.
Ça doit être grave, alors !
D'abord un ordinateur, et maintenant un vélo électrique.
Des trucs chers, que je ne peux pas me payer, et que je ne lui ai pas demandé.
Il m'envoie des mots doux qu'il signe popa. Bientôt, il signera papa, peut-être ? (mot banni pour lui pendant des lustres)

Mon père n'est pas fortuné, ayant décidé après une décennie comme ingénieur chez un illustre homme de la mer de tout envoyer bouler. Alors : chantiers au noir, riz complet, tabac à rouler, communautés farfelues.

Il a toujours eu un succès dont il ne savait que faire. Je me souviens que des filles, jeunes et jolies, se glissaient dans son lit la nuit, et qu'il les chassait, outré. Aujourd'hui encore, nombre de mes copines le trouvent carrément craquant, et il s'en fout total (dit-il).

J'aime mon père, sorte de vieil indien surdoué, philosophe et musicien hors pair qui carbure au whisky, refuse l'usage de la cafetière électrique et du lave-vaisselle mais possède une yaourtière, une machine à faire le pain et s'adonne au vélo électrique.

Ce soir j'aurai mon vélo et j'écraserai des chenilles, comme Killis.

aseptans a écrit:Le narrateur :

Je me rappelle d’une de ces randonnées qui finissent dans un hôtel- restaurant-refuge.
J’étais à cette époque accompagné d’une nouvelle compagne.
Nous attendions face à face, assis à une table en rondin. Nous avions faim.
Le serveur se présenta devant nous.

- Alors je peux vous proposer de l’andouillette ou du boudin.
Je dévisageais ma compagne et finis par dire :
- Non merci, j’ai déjà tout ça.
- Alors, peut-être des filets de thon ; on m’en a monté tout à l’heure.
Effectivement, un groupe de hollandaises discutait bruyamment non loin de là.
- Vous avez votre gourde ?
Je dévisageais à nouveau ma compagne, et bien sûr je répondis : « Oui ».
Nous nous accordâmes sur une grillade, tandis que mon amie prenait une soupe.
A la fin du repas, il nous a indiqué un endroit où l’on pouvait voir le clair de lune.
Ça tombait bien, et je fus ravi de voir la lune de Claire (c’était son prénom), jusqu’à tard dans la nuit.

L’auteur :

J’interviens car voilà ce qu’on appelle un narrateur qui vous échappe complétement.
Aucun auteur digne de ce nom n’aurait écrit de telles inepties.
L’histoire ne s’est pas terminée ainsi.
Claire a donc pris une soupe ; le garçon lui a demandé si elle voulait un vieux croûton frotté d’ail et du lard fumé avec ; elle a dévisagé son compagnon et a répondu : « non, j’ai déjà ce qu’il faut ».
Lorsque le bol de soupe est arrivé, elle s’est levé, et a renversé le récipient sur la tête de ce pauvre garçon, qui se retrouva élégamment coiffé.
Elle l’a laissé là et est partie finir la soirée avec les hollandaises.

Ba a écrit:
Il y des mondes de lumière aveuglante
Qui désigne de loin le noir
Aux aveugles sans monde...

Jha a écrit:Le parc enluminé


Tu cours dans le jardin


Les arbres se sont croisés


Sur la pelouse

La lumière a déposé leurs dessins

Janis a écrit:
Une semaine après ta disparition

inacceptable

le petit chat est mort